— Pierre, tu le fais exprès… !

Lucie crie.

— Je suis sûre que tu le fais exprès !

Pierre d’une voix inaudible, vexé :

— Tu m’fatigues… Si tu savais comme tu m’fatigues…

Puis plus fort :

— Quoi ? Qu’est-ce que j’ai encore fait.

— Où est ma ficelle de cuisson ?

— C’est quoi ?

— La ficelle pour les rôtis !

— Ah… ça…

Lucie s’est approchée.

— Oui ça ! Tu sais que je ne veux pas que tu prennes quoi que ce soit dans ma cuisine !

Pierre est dans le garage. Il tient un pinceau à pâtisserie en silicone rose et il est en train de badigeonner de la résine sur une forme arrondie en polyester.

Lucie :

— … C'est pas possible !! J’en ai marre… marre !!

— J’ai du fil de pêche... Si ça peut faire…

Lucie tourne les talons, puis elle revient, comme une furie.

— Trouve-toi à manger pour midi. Tout seul !

Elle s’en va.

— Oh ! Fous-moi la paix ! marmonne-t-il.

 

Dans le rayon quincaillerie, Lucie cherche de la ficelle.

Les poches à douilles, les bougies d’anniversaire. Ah, les ficelles alimentaires. À sa droite, sa vision périphérique l’informe d’un grand mouvement rapide. Elle tourne la tête. Edmond.

Elle quitte le rayon, elle court, elle n’a pas fait ça depuis dix ans. Oh ! Au moins !

Elle rejoint l’allée centrale. Il a disparu. Elle voudrait le voir. Lui demander pourquoi il ne viendra pas demain. C’est la première fois depuis qu’il est rentré. Son tout petit.

Elle avance lentement et regarde à gauche et à droite dans chaque rayon. Une femme avec un enfant, un couple de personnes âgées, une femme mûre, un homme petit. Ah Edmond ! Il est accroché au caddie et quelqu’un le remplit. Oh… !

Lucie recule, s’éloigne, les suit.

 

Elle tire bruyamment le frein à main et sort en claquant la portière. Elle court vers le garage.

Deux fois en dix ans… et dans la même journée.

Pierre est encore là. D’une voix très aigüe, Lucie crie :

— Chéri ! Chéri ! Je sais ! Je sais pourquoi Léo n’est pas là demain !

— Lucie…

— Il a une petite amie. Grande, châtain clair…

— Lucie…

— Jeune, non… disons… comme lui.

— Lucie…

Pierre se tourne vers elle, Lucie montre ses dents du haut, elle dit :

— Elle a…

Pierre tonne :

— Je ne veux pas savoir !