(...)

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— Joli discours, mais tu n’étais vraiment pas obligé de hurler. Avant que tu ne me casses la gueule, s’empressa d’ajouter Claire, et même si je ne peux déjà plus vous encadrer, je dois reconnaître que mon imbécile de frère n’a pas tout à fait tort. Si t’essaies de t’en sortir seul, t’es foutu, Arthur.

— Écoutez les gars, c’est très gentil mais je ne veux pas être responsable de vous. Je m’en suis très bien sorti jusqu’à maintenant.

— Pour combien de temps encore ? Il est évident que ce n’est qu’un jeu pour eux alors que toi tu risques ta vie ! Tu es le jouet avec lequel ils s’amusent mais dont ils finiront par se lasser ! Et là, sept ans n’y changeront rien.

Claire et Cécile restèrent stupéfaites. Sept ans à pourchasser un gamin en guise de passe-temps ? À quoi tenait donc cet acharnement sadique ?

— Tu…tu veux dire que tu combats ces monstres tout seul depuis sept ans ? bafouilla Cécile.

— Enfin, je n’étais pas vraiment seul, rougit Arthur, soudainement mal à l’aise.

Comment pouvait-il expliquer les faits sans passer pour un fou ? Présenter Émile relevait d’un réel défi.

— Au début, il y avait un garçon qui m’a appris pratiquement tout ce que je sais en matière de bilocation et je crois que sans lui je n’aurais jamais su comment éviter les monstres.

— Qu’est-il devenu ? interrogea Claire, pendue à ses lèvres, attendant la suite avec une fascination palpable.

— C’est tout le problème, je n’en sais rien, soupira Arthur. Il a disparu il y a deux ans, en même temps que les monstres. Mais j’imagine que ce n’est pas tellement grave dans la mesure où il était mort depuis longtemps, enfin, je crois…

Arthur sentait qu’il s’enlisait dans la partie la plus délicate de son explication.

— Oui bon, en gros, c’était un de tes visiteurs, le coupa heureusement Claire, les sourcils froncés. Il y a un autre truc que je ne pige pas. Si vous vous êtes fait attaquer jeudi par un monstre, il n’a pas dû passer inaperçu, non ? Tu es sûr que les autres ne peuvent pas le voir ?

Cécile la gratifia d’un œil haineux difficile à interpréter : lui en voulait-elle d’avoir relancé le sujet ou de ne pas avoir été attaquée, elle ?

— Certain, confirma Arthur. Jeudi, la place s’est vidée dès que les monstres sont apparus et après leur disparition, tout s’était remis en place. Et quand tous ces… types débarquent, c’est comme être dans une dimension parallèle. C’est comme si tu n’existais plus pour les gens. Je ne sais pas ce qui se passe dans leur cerveau au juste mais jamais ils ne viendront à ton secours.

— Et c’est complètement flippant, compléta Bastien.

Un silence s’ensuivit, chacun réfléchissant aux conséquences de ce qui venait d’être dit.

— On ne peut pas rester blessé après une attaque, commença Cécile d’une voix tremblante. Mais s’ils arrivent à… à nous tuer dans ta dimension parallèle, est-ce qu’après on a une chance de s’en sortir ?

Claire plaqua la main contre sa bouche. Les yeux écarquillés d’effroi de Bastien firent l’aller-retour entre sa sœur et Arthur, attendant un réconfort de la part de ce dernier. Mais Arthur baissa la tête et s’absorba dans la contemplation du plancher.

— Je ne sais pas.

Pourtant, ils imaginaient la réponse sans peine.

— Non !

Tous sursautèrent au son de la voix désespérée de Florian qui ne s’était pas manifesté depuis un bon moment, au point qu’on l’avait oublié et abandonné, mutique dans sa bulle. Mais il n’avait rien raté de la conversation pour autant. Il s’était dressé d’un bond, tremblant de la tête aux pieds. Limite si on ne voyait pas ses dents claquer. Combinés à son allure, es yeux rougis et éperdus ne jouaient pas vraiment en sa faveur.

— J’en ai assez entendu, ce sont des conneries, tout ça !

Arthur sourcilla. Des « conneries » ? Après tout le mal qu’il s’était donné pour les expliquer ?

— C’est impossible, ça ne peut pas exister ! bégaya Florian avec difficulté. On… on ne peut pas…

— Qu’est-ce qui t’effraies le plus au juste ? De te faire tuer ou de traîner avec des gens qui ne sont pas assez bien pour toi ? le nargua Claire. Attention, si tu restes trop longtemps dans la même pièce que nous, tu vas finir par formuler des phrases entières ! Pas terrible pour ton image de marque, non ?

Claire avait une fâcheuse tendance à la spontanéité : elle ne pouvait s’empêcher d’exprimer ses pensées à tort et à travers sans user du moindre tact. Et là, elle avait poussé le bouchon trop loin. C’en était trop pour Florian. Arthur et Bastien le comprirent au même instant en voyant la lueur meurtrière s’allumer dans ses yeux et ils n’eurent pas besoin de se concerter pour savoir ce qu’il fallait faire. Beaucoup plus vif qu’Arthur, Bastien écarta sa sœur de la portée de Florian avant de se jeter sur ce dernier pour le flanquer à terre. Choquée, Claire ne résista pas lorsque son frère s’en prit ensuite à elle.

— Tu ne sais même pas ce qu’il est capable de faire, et tu ne trouves rien d’autre que de t’amuser à le pousser à bout ! Mais t’as vraiment rien dans le crâne ou quoi ?

Il fit mine de vouloir la secouer. Elle s’écarta violemment et lui fit face, écumant d’une rage qu’elle ne cherchait même pas à déguiser. Ils se dévisagèrent un instant. Ils possédaient le même visage fin et allongé qui contrastaient avec leur chevelure épaisse, les mêmes lèvres pleines, jusqu’aux discrètes taches de rousseur éparpillées aux mêmes emplacements sur leurs nez ou la même résolution froide qui brillait dans leurs yeux. Mais les mystères de la génétique n’apparaissaient pas au moment le plus opportun, dans ce silence figé qui laissait croire qu’ils étaient tous revenus au point de départ. Et le but serait de trouver un nouveau moyen pour séparer les combattants avant que le conflit ne dégénère. Encore une fois.

Leurs corps arqués vers l’avant, leurs poings serrés, leurs mentons volontaires dressés en signe de défi, l’apparition du même pli boudeur qui transformait leur bouche en moue « cul-de poule », toute leur gestuelle identique donnait l’impression qu’ils allaient, d’un instant à l’autre, se percuter pour se donner un coup de boule.

— C’est pas fini, oui ? s’énerva enfin Arthur qui commençait à en avoir sa claque.

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