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Il ne sut dire combien de temps il resta prostré, attendant un relatif mieux qui finit par montrer timidement son bout de nez. Il ressentit néanmoins un souffle au cœur en apercevant près du lavabo le sosie de la pire nuit de toute sa vie. Pâle comme un mort, claquant presque des dents, les cheveux collés en mèches cassantes sur son front en sueur, rien ne l’avait préparé à cette confrontation avec son reflet. Il détourna le regard, prit une grande inspiration en franchissant la porte et heurta presque Mathieu. Ce qu’il vit dans ses yeux écarquillés lui certifia que lui aussi avait reconnu cette expression. Un éclair de panique traversa le visage de son ami. Craignait-il que Bastien replonge à nouveau, cette fois sans aucun espoir de retour ?

— Que t’es- il arrivé ? bégaya-t-il. Ils t’ont viré ?

— Qu’est-ce que tu fabriques ici ? rétorqua agressivement Bastien.

Mathieu parut à la fois affligé et inquiet.

— Je te cherchais, pour le conseil. Que t’ont-ils dit ?

Bastien se décida pour un pieux mensonge qui ne porterait pas à conséquence et qui justifierait sans problème son absence aux cours de sport.

— Que je ne reprendrai pas l’option sport et que je devais surveiller ma conduite.

Mathieu se détendit légèrement.

— C’est tout ? Alors pourquoi fais-tu cette tête, il n’y a pas de quoi en faire un drame ! Vraiment, tu m’as fait peur, tu as une mine affreuse !

— Je vais très bien, j’ai juste mal dormi.

— Tu es sûr ? insista son ami, toujours sur ses gardes.

— Puisque je te dis que tout va bien, tu ne vas quand même pas chercher des poux là où il n’y en a pas !

— Bastien…

Par ses accents, la voix de Mathieu ressemblait trop à son goût à celle de Claire et Bastien n’aimait pas cela.

— Quoi ? demanda-t-il de son timbre las.

— Si tu avais un problème, n’importe lequel, tu me le dirais ?

— Oui, bien sûr, répondit-il, bien peu convaincant.

Mathieu ne releva pas et hocha la tête, ayant reçu le message cinq sur cinq. Bastien avait refusé la perche qu’il lui tendait depuis trois mois et n’avait toujours pas envie de l’accepter, quoi que lui coûtent les mensonges. De toute manière, ils se connaissaient trop bien tous les deux pour savoir qu’il ne lui confierait pas ses soucis, quand bien même ce qu’ils avaient partagé.

— On se voit demain en cours ! lança rapidement Bastien en se dégageant.

— Eh, Bastien !

Ce dernier se retourna à contrecœur, conscient que Mathieu allait sans doute lui faire la morale.

— Je suis là si t’as besoin de moi, y a pas de souci pour cela.

Puis il s’en alla sur un sourire, laissant Bastien interloqué. Interloqué mais reconnaissant. Mathieu était un chic type qui était bien placé pour comprendre que certaines situations devaient rester personnelles sans s’en offusquer malgré tout et sans lui retirer son amitié, quel que soit son comportement. Et Bastien dut admettre qu’il tenait à lui aussi pour cela.

*

Adossée contre la barrière du lycée, Claire attendait patiemment la sonnerie et la sortie des 1ère ST2A. Elle finit par repérer celle pour qui elle s’était tout spécialement déplacée. Lorsqu’elle la vit lui faire un signe amical, la jeune fille se liquéfia sur place avant de plaquer sur son visage un air de résignation accablée. Claire la plaindrait presque si elle ne trouvait pas désolant cette attitude de fuite alors qu’une petite discussion s’imposait. Cécile devait sûrement fuir comme la peste une fille impulsive de son genre et cela restait compréhensible sachant qu’elle attirait les ennuis à des kilomètres à la ronde, prête à foncer tête baisser au-devant du danger plutôt que de patienter tranquillement qu’on vienne la chercher. Mais pour une fois que ce coup-ci n’était pas de sa faute…

Ne trouvant aucune échappatoire possible, Cécile démarra au pas de course sans même prendre la peine de vérifier si Claire arrivait à la suivre. Ok, elle se la jouait celle qui ne la connaît pas. Arrivée à sa hauteur, Claire lui adressa un grand sourire.

— Eh, salut, tu te souviens de moi au moins ?

— Comment m’as-tu retrouvé ? demanda Cécile sans s’arrêter, les yeux rivés droit devant elle.

Allons bon, le rôle de la fille snobinarde à présent.

— Secret de professionnelle, ma chère.

Disons plutôt que la délicatesse féminine toute en stratégie valait toutes les approches brutales et masculines du monde. Claire l’avait jouée beaucoup plus finement qu’Arthur, dont la défaite était à ce titre plus que méritée. Au lieu de tenter inutilement de taxer le numéro de Cécile, Claire avait abordé Camille tout en douceur et lui avait expliqué qu’elle comptait organiser une petite soirée et inviter sa nouvelle amie en personne. Elle souhaitait pour cela lui rendre une petite visite surprise à la sortie de son lycée. Seul problème : ils ne parvenaient plus à se mettre d’accord sur le nom du lycée rapidement évoqué par Cécile et ce benêt d’Arthur n’avait trouvé de plus brillante idée que de se renseigner sur les horaires de Cécile auprès de l’intéressée en personne, au risque de se faire passer pour le prototype même du harceleur. Claire s’était donc excusée auprès de Camille du comportement façon artillerie lourde d’Arthur qui n’était après tout rien de plus – le pauvre enfant – qu’un garçon. Son charme naturel avait fait le reste et beaucoup moins suspicieuse, compatissante même, Camille avait gracieusement fourni à Claire les informations demandées en riant par avance de la tête que Cécile allait faire. Sur ce point-là, Claire n’avait pas été déçue.

— Je pensais, puisque je suis là, qu’on pourrait discuter un peu entre filles ?

Cécile lui jeta un regard torve qui en disait long.

— Discuter ? Parce qu’on n’a pas assez discuté la dernière fois ?

— Bon, c’est vrai, la discussion a un peu dérapé, admit Claire. C’est en grande partie ma faute et je m’en veux terriblement pour ce qui s’est passé.

Ce qui était vrai.

— Mais tu en sais beaucoup plus que moi et je voudrais que tu me racontes ce que les garçons refusent de me dire.

Ce qui était vrai également, du moins dans le cas de son frère. Elle ne précisa cependant pas que c’était surtout elle qui ne voulait plus traiter avec aucun d’entre eux. Furieuse d’apprendre qu’on lui avait cachée une grande partie de la vérité, elle avait pris Arthur à part pour l’accabler de toutes les menaces possibles et inimaginables s’ils envisageaient ne serait-ce qu’une seule fois de recommencer. Bastien ne méritait même plus son attention et quant à l’autre crétin… Elle avait eu beau ressentir de la culpabilité et la peur de le voir trépasser, elle estimait tout de même qu’il y avait des limites. En bref, il ne lui restait plus que Cécile, seule personne trouvant encore grâce à ses yeux.

Cécile ralentit, semblant peser le pour et le contre. Claire y vit sa chance et s’engouffra dans la brèche.

— Je t’en prie…

Cécile soupira et repoussa une mèche folle balayée par un soudain coup de vent.

— Un quart d’heure maximum, capitula-t-elle.

C’était mieux que rien. C’était même plus que ce qu’espérait Claire. Elle n’essaya même pas de négocier et entraîna sa camarade dans le café le plus proche. Par chance, il y avait encore peu de monde, le rush ne viendrait sans doute pas avant 16h30.

Une fois installées, elles ne s’attardèrent pas sur le choix de leurs commandes, choix qui aurait pourtant pu leur faire gagner un temps précieux. Car il n’était pas prévu que la gêne s’invite à leur table : Claire ne savait pas comment commencer et Cécile ne semblait pas disposée à lui venir en aide. Elle se tritura les méninges, désespérée de n’obtenir aucune accroche, elle qui s’était tellement démenée pour lui parler. Nerveuse, Cécile se mit à tambouriner sur le bois verni en attendant que les questions commencent. Il était visible qu’elle souhaitait être à des kilomètres de là. Mais ce n’était pas dans sa compétence. Amusée par cette pensée, Claire esquissa un sourire et Cécile s’empourpra, se croyant visée.

Elle n’avait pas forcément été gâtée par la nature en se voyant octroyer une peau diaphane pour un visage si propice au rougissement, songea Claire. Tout en elle, jusqu’à son attitude constante de biche effarouchée, clamait la poupée fragile de porcelaine qu’on n’osait toucher de peur de la casser. Ou une Blanche-neige des temps modernes avec des cheveux noirs qui tombaient en boucles sur ses épaules. Son petit nez retroussé et sa fine bouche cerise faisaient écho à sa petite taille, mais détonnaient face à de – trop – grands yeux bleus. Si elle était somme toute assez jolie, elle attirerait sans doute davantage avec des traits plus réguliers, une plus grande confiance en elle et une meilleure mise en valeur (parce que là, elle était attifée comme un sac). Mais comme elles n’étaient pas là pour parler fringues et maquillages, elle décida d’attaquer.

— Bon, arrête-moi si je me trompe débuta-t-elle en adoptant une octave plus basse qu’à son habitude. Tu fais de la télékinésie depuis bientôt deux ans et tu n’as jamais croisé de monstres ni d’adolescents psychopathes alors qu’Arthur s’en cogne des pelletées depuis le début, c’est bien cela ?

— Oui, enfin… je n’en fais pas depuis deux ans, j’ai évité de m’en servir au maximum, la reprit Cécile en se tortillant presque sur sa chaise. En fait, à part au début, je n’ai quasiment jamais… Je veux dire, ce n’est pas une chose dont on peut se vanter quand… quand on cherche à être une fille normale.

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