PEUR DU NOIR
C'était le soir de la Toussaint, et j'avais tout juste commencé à préparer mon repas, quand soudain l'électricité s'arrêta, éteignant la lumière. Je me trouvai plongé dans un magma d'inquiétude, plein de souffles et murmures issus des recoins les plus sombres de la maison.
J'allumai en tremblant, la bougie posée sur le buffet, juste au cas où... en compagnie des allumettes.
Les murs avaient soudain des oreilles et des ricanements parfumés de miasmes griffus montaient de la cave obscure. Un raclement, écorcha mon sang-froid, comme si on traînait quelque chose sur le plancher du grenier habituellement désert.
Il y avait aussi ce halètement qui faisait trembler les rideaux déguenillée, à un rythme inhumain.
Ma main agrippa quelque chose au passage, et mes doigts se serrèrent avec une mollesse tremblante sur ce qui me semblait être un manche d'outil. Mon cerveau, au bord de la panique, m'envoyait des pics de lucidité, avec une insistance collante et grondeuse : « il n'y a pas d'outil dans la maison !»
Je sentis un gloussement se frotter contre mes oreilles, brûlantes d'avoir observé interminablement le silence glauque et angoissé, et je fis un bond dont jamais je n'aurais imaginé être capable.
Quand je rouvris les yeux, j'étais retranché derrière le canapé, en mode autruche, la tête enfouie sous le tapis. Une odeur de brûlé me fit émerger de la gangue de terreur dans laquelle j'étais pris.
En bondissant dans la pénombre, un peu plus tôt, j'avais renversé le bougeoir sur le tapis qui avait accueilli et nourri les flammes. Elles commençaient à faire connaissance avec mon pantalon et me propulsèrent à la vitesse d' un sortilège vers la porte de sortie.
Ma main, tétanisée était encombrée et ça me gênait pour ouvrir les verrous. Je la portai à mes yeux, avec ce qui s'y agrippait et je compris que le manche d'outil que j'avais imaginé était en fait un os, probablement un tibia, où pendouillaient encore quelques lambeaux de peau.
Mon hurlement couvrit le grondement des flammes. Je balançai le tibia le plus loin que je pouvais, à deux doigts de vomir, et m'acharnai désespérément sur la porte récalcitrante.
Le salon s'était changé en fournaise quand la porte céda, comme poussée de l'extérieur, et je sortis toussant et crachant pour me retrouver dans les bras de l'ex-propriétaire de cette maison vétuste qu'elle m'avait vendue, et très cher, sachant parfaitement que ce n'était pas une bonne affaire. Ça nous avait d'ailleurs valu, par la suite, plusieurs disputes pimentées de mots sans élégance que je ne relaterai pas ici.
Mais ce qui n'allait absolument pas, et qui m'arracha un hurlement de terreur, c'est qu'elle était décédée deux ans auparavant. J'avais même assisté à son enterrement, comme quasi tout le monde au village.
Comment je l'ai reconnue ? Elle avait été amputée d'une jambe, des années auparavant, à cause d'une infection galopante et la créature qui me serrait contre son cœur n'avait bien qu'une seule patte, avec un de ces improbables souliers des années 1970 que cette dame affectionnait tant.
J'entendis vaguement les pompiers déclarer que la maison avait entièrement été dévorée par l'incendie et je m'arrachai à sa joie pestilentielle avant de m'effondrer sur la pelouse.
Elle s'éloigna, mêlée à la fumée noire de mon domicile, en me menaçant de son tibia comme d'une canne.
En grognant et pleurant, à grands gestes horrifiés, je me frottais les mains sur le pantalon, espérant en ôter d'éventuelles restes de viande, pendant que quelqu'un me posait une couverture sur les épaules, en me disant que tout allait bien...
Depuis, je dors avec la lumière, car son ricanement caverneux me persécute, chaque nuit...
Bugarach, 01,11,2019.
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