Merci

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Avant de te connaître, je n’étais que l’ombre d’un être humain, un gosse encombré de ses émotions, incapable d’extérioriser les terreurs qui le hantaient, la nuit. Quand le cocon de mes draps se refermait, je pleurais toutes les douleurs des cruautés infâmes, celles du quotidien qui frappent les enfants timides et sans répartie. Je vivais dans l’espoir d’un monde bienveillant, en silence derrière ma petite table, pour que l’on ne me remarque pas, pour qu’on oublie que j’étais là. Mais les mots sont aussi tranchants que les lames, et, dans la tourmente de mon enfance, tous ces copains qui n’en étaient pas, me saignaient et me blessaient. Le harcèlement a ceci de terrifiant, qu’il est dans la lumière, sous les yeux des grands, mais tout est normal, ce ne sont que des enfants.

Pourtant j’avais mal et je pleurais, la nuit, tout seul, dans mon cocon d’obscurité.

Les années défilaient, se ressemblaient et, moi, je pourrissais. Je devenais ces insultes qu’on me lançait, immonde reflet figé dans le miroir de leurs yeux mauvais. Je n’ai jamais souhaité la mort, mais je voulais que tout s’arrête, que la féérie de l’innocence de mon enfance emporte le monde cruel de l’adolescence, je voulais que les maux se taisent, que les douleurs s’évaporent. Noyé dans mes afflictions, je dérivais dans mon quotidien houleux. Lorsque je m’éveillais, une boule de plomb me broyait le ventre, puis la journée se traînait, longue et pénible, dans la peur que l’on m’adresse la parole, et quand le soir m’enlaçait de son accalmie salvatrice, je fonçais vers la nuit réparatrice.

Et puis un jour, tout a changé. Tout est venu de lui, celui qui nous a présentés. Au départ, tu m’échappais. Insaisissable, je t’observais sans vraiment te comprendre, et lorsque je t’ai essayée pour la toute première fois, lorsque tu as guidé mon stylo sur ces pages A4 à grands carreaux, tu as emporté mon cœur dans une folie de battements sans précédent. Les mots se sont succédés, brouillons, tachés, imprécis et estropiés, ils ont virevolté de toutes leurs inaptitudes pour former ces phrases passionnées qui m’ont soulagé. Je me souviens de ce jour, comme l’on se rappelle son premier baiser, de cet intense plaisir qui a donné sens à ma vie.

Mon premier texte s’appelait « L’école est une boucherie », et cet homme, que jamais je n’oublierais, l’a lu devant toute une classe qui, pour la première fois, portait un regard sur l’invisible gosse que j’étais. Cette sensation en moi est gravée dans ma chair, comme une croix rouge sur un calendrier qui marque le début d’une autre vie.

Le quotidien a explosé en fracas d’émotions et de passions, tu étais devenue mon exutoire, ma passerelle vers un esprit plus clair et une joie retrouvée. J’ai recraché le mal et l’horreur par les mots que tu me murmurais et je souriais, je parlais et je vivais. Bien sûr, la cruauté rôdait toujours, tapie dans les regards des gens biens, et me frappait plus violemment encore, mais toujours je me relevais. Et puis je l’ai rencontrée, celle qui m’a apporté les premières ivresses de l’amour.

Sans toi, jamais je n’y serais arrivé. Sans toi, mon cocon d’obscurité m’aurait peut-être dévoré.

Tu as sauvé une vie que je croyais vouée à la souffrance. Si je te dédis ces mots aujourd'hui, c'est simplement pour te dire merci. Tu as été ma compagne pendant tant d’années, dans les bonheurs et les horreurs, dans la tristesse et les maladresses, dans les moments de vie les plus intenses et dans les instants de mort les plus durs.

Un soir, je t’ai laissée ou tu m’as abandonnée. Ou alors, j’ai tout simplement oublié. Parfois je venais te voir, mais on ne se parlait plus, comme une cousine éloignée que l’on ne reconnait plus. Lorsque je suis tombé amoureux de la mère de mes enfants, tu me regardais, sans m’approcher. Lorsque j’ai emménagé dans notre premier appartement, tu te perdais dans les méandres des cartons jamais déballés. Lorsque je me suis marié, tu n’étais même pas invitée.

Ce sont les cris terrorisés d’un petit bébé qui t’ont ramenée à moi, mon écriture. Je t’ai retrouvée dans l’univers de ses yeux et mes nuits éparpillées. Tu as ressurgi d’un passé oublié et depuis quelques années, tu m’abreuves de tes idées. Aujourd’hui, le petit garçon harcelé n’est plus là. Il a disparu dans un passé qui m'a forgé. Je suis un mari, et un papa, un homme qui a bien changé.

Mon écriture, toi aussi tu n’es plus la même. Tu as changé à mesure que je grandissais. Mais jamais je ne pourrais t'oublier.

Merci d'avoir été là, ces soirs des larmes infinies.

Merci d'avoir été loi, ces jours de bonheurs inédits.

Merci d'être toujours toi, près de moi.

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