10. Procession

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 — Je commence à me dire que Malport n’est accueillant que sous le soleil, commence Nathalie en enlevant sa robe de soirée.

 — Regarde !

 — Quoi ?

 — Il y a au moins quarante barques sur la grève.

 — Tu commences à réellement m’inquiéter, tu t’intéresses à la pêche alors que ta femme est nue, dans la même pièce que toi.

 Robin détourne son regard de la plage où une masse impressionnante d’hommes en cirés jaunes débarquent le chargement des bateaux. Il s’approche de Nathalie et la serre dans ses bras. Ils s’embrassent et peu à peu s’abandonnent à leurs caresses, un instant tendre entre jeunes amoureux qui cherchent à se retrouver pour échapper à l’angoisse qui les étreint.

 Ils s’endorment l’un contre l’autre, l’esprit en communion, les sens endormis par l’amour partagé.

 Robin se réveille en sursaut. Il entend des pas dans la rue, lourds et maladroits. Une boule venimeuse de peur enserre son estomac. Il se lève, nu dans l’obscurité. De curieux éclats de lumière filtrent à travers les fenêtres de la chambre. Ce qu’il voit l’intrigue, il ne sait pas s’il rêve, mais le spectacle le sidère. Les réverbères se sont éteints, une foule de pêcheurs défile en procession éclairée par les torches que tiennent les villageois. À quatre, ils transportent de filets remplis de poissons, ils marchent de manière lourde et malhabile.

 Fasciné, Robin ne peut se soustraire à ce spectacle, il éprouve le sentiment qu’il n’a pas le droit d’y assister. Un peu angoissé, il observe, analyse ce qu’il voit. Dans la lueur des flambeaux, la peau des gens prend un teint verdâtre, il remarque à quel point leurs yeux sont gros et écartés ; il note leur allure courtaude et épaisse, comme des fûts sur lesquels on aurait collé des jambes courtes et grosses et des bras ridiculement petits et frêles.

 Il continue de les examiner, son cœur bat à tout rompre, il reste là fasciné par ce spectacle grotesque. Lorsqu’un des porteurs lève la tête et tourne sa figure vers lui, Robin éprouve un écœurement violent en contemplant ce visage disgracieux, aux yeux trop gros, inexpressifs et suintants. L’absence de toute pilosité sur cette face ajoute à celle-ci une irréalité troublante. Ce regard s’arrête sur Robin. L’homme le fixe, le dévisage. Robin s’écarte vivement de la fenêtre, une profonde angoisse étreint son cœur, la peur lui enserre l’estomac. Il tente de se raisonner alors que le bruit des pas résonne dans la rue. Il s’accompagne désormais d’une mélopée effrayante dont les échos se mêlent au son du ressac en un curieux chant venu des profondeurs de l’histoire.

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