Un éclair dans le ciel
Jour 1
Premières heures du confinement national décidé par les dirigeants d'un pays qui n'a presque plus de repères. Cela ne fait que quelques heures, et pourtant on sent qu'une chose irréversible vient d'arriver. Notre petit monde bascule dans un univers inconnu à l'hostilité palpable malgré les mots qui se veulent rassurants de ceux qui tracent probablement les grandes lignes sombres de notre avenir proche.
Le pays s'arrête. La mécanique est lourde et les rouages continuent de grincer sous l'effort habituel d'une course endiablée, certes, mais le ralentissement est là. Et c'est la planète qui tourne moins vite. Les nations autour de nous observent, conscientes que la chose rôde et frappera bientôt dans les rangs des plus vulnérables. La peur s'approche et les plus sensibles frémissent à la perspective des ravages que promettent les médias, à grand renfort de messages apocalyptiques.
Assommé par les journalistes qui rivalisent de cynisme pour annoncer toujours pire, je me dis qu'il est grand temps d'aller fumer ma cigarette dans le jardin. Mais, là aussi, le confinement marque sa présence. Le silence...
Celui-ci est inhabituel à cette heure de l'après-midi. Je me concentre, yeux clos, pour entendre ce qui est le propre des hommes sur Terre : faire du bruit. Mais ils viennent de stopper leurs machines. J'ai beau rester à l'écoute, je n'entends pas les rumeurs des véhicules, des avions, pas même les hurlements lointains des trains qui passent à toute allure. Ce silence est presque menaçant, comme un préambule à de rudes tempêtes à venir. L'humanité vient de choisir le silence.
La Nature est là ; les hommes ne semblent plus y être.
Stupéfait, j'écoute le vent souffler paisiblement dans les branches encore nues des grands arbres. Et puis, partout, il y a les chants des oiseaux. Je distingue la sonorité particulière des plumes des pigeons quand ils passent juste au-dessus de moi. J'identifie aussi les cris caractéristiques des pies, les croassements rauques des corbeaux, et encore les courtes chansons d'autres petits volatiles dont je ne sais rien. Je ne connais rien de toutes ces bêtes, mais je réalise avec étonnement qu'elles sont nombreuses, omniprésentes. J'avais oublié ces vies malgré leur proximité.
Aujourd'hui, je me sens stoppé en plein vol, tombé dans un piège qui m'interdit le plus petit mouvement. J'ai remisé mon gros camion sur son parking, avec l'étrange assurance que je ne le reprendrai pas avant plusieurs semaines. C'est comme une mise au rebut.
Le monde vient de craquer sous les coups d'une maladie d'apparence anodine mais qui promet pourtant de faire des ravages immenses. La menace est devenue tangible en un instant après cinq ou six semaines de flou et de contestations idiotes. Il convient à présent de supporter avec patience et attention les discours cérémonieux et les conseils infantilisants d'une horde de spécialistes de tout poil, tout heureux de nous faire remarquer que nous vivons comme des irresponsables, des inconscients, des désinvoltes privés de neurones.
Voilà tous les maniaques de la sur-hygiène, les malades de l'ordre parfait, les gardiens de l'intelligence, seuls récipiendaires de la médaille ou de la couronne des rois borgnes logés parmis les aveugles imbéciles et imprévoyants que nous sommes. Et les cohortes, plus nombreuses encore, des hyènes du journalisme viennent renifler autour de nous pour débusquer les pécadilles dont ils feront leurs débats stériles pendant des jours, dans l'attente d'une nouvelle plus attractive.
J'ai donc posé mon camion. Et je me sens totalement inutile. C'est un avant-goût de mise à la retraite. Dans ce monde que je comprends de moins en moins à chaque année qui passe, j'ai l'étrange impression d'avoir fini mon temps et qu'on vient de me repousser dans une casse pour personnes obsolètes.
A suivre...
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