Mon con pote en compote

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Encore un jour. C'est ce qu'il m'a fallu pour bien comprendre tout ce qu'Emile était venu me dire. Il est parti hier, en fin d'après-midi. Allez, flash back...

On a mangé le gâteau. Puis on a bu le cidre. On a fumé quelques clopes, parlé de rien en sachant tous les deux qu'il avait des mots à dire mais qu'ils restaient coincés au fond de sa gorge. Petit à petit, j'ai vu son regard s'assombrir, sa posture s'affaisser. Feinte nonchalance qui n'a jamais été son fort. Lui, tout en énergie, un vrai bulldozer dans son genre, se retrouvait tout rapetissé sur sa chaise de jardin. Il attendait le moment propice. C'est-à-dire pas de mômes dans le secteur, Hélène absente, pas d'avions dans le ciel, pas de bagnole dans les rues. Pour une fois, il avait presque tout bon, preuve que le confinement peut avoir de bons côtés quand on cherche bien.
Il lui fallait encore un peu de temps pour mettre les phrases en ordre...

Mais ce qu'il avait sur la patate, c'était vraiment du lourd. Comme je commençais à trouver le temps un peu long, conscient aussi que Hélène finirait bien par revenir, je décidais tout à trac de l'obliger à parler. Entre nous, la glace n'est pas bien épaisse, alors il me suffisait d'une chiquenaude pour l'aider à se délivrer.

  • Histoire avec ta gonzesse ?

J'ai dit ça sans trop lever le ton, sans le regarder, en écrasant ma clope dans le cendrier. Je venais de lancer la partie. J'avançais donc mon premier pion sur l'échiquier de ses confidences. A lui de jouer.

  • Ouais, finit-il par marmonner. Je te jure que je vais me barrer de chez moi, tu sais...
  • A ce point-là ?
  • Je sais plus quoi faire pour lui tirer un sourire.

Il aurait bien voulu ajouter quelque chose mais il ne savait visiblement pas par où commencer, ça se bousculait au portillon et, fatalement, ça coinçait aux entournures.

  • Z'êtes pris la tête ?
  • Même pas. En fait, on se parle plus depuis une semaine. T'imagines une femme qui la ferme aussi longtemps ? Même en rêve, ça existe pas !
  • Tout comme j'imagine pas un mec se taire pendant une semaine aussi... que je lui dit en souriant. C'est quoi le problème ?
  • Je sais pas que j'te dis ! répond-il brusquement. J'ai beau faire le max pour lui faire plaisir, y a jamais rien qui lui convient.
  • Et elle te parle pas pour ça ?
  • En fait, je pense qu'elle peut plus m'encaisser, tu vois ?
  • Une semaine de confinement, avec toutes les pressions macabres que nous imposent la télé, les flics, le boulot en rade sèche... ça fait beaucoup de choses à considérer, tu penses pas ?
  • Mouais... Mais je m'en bats les cacahuètes du confinement ! La preuve, j'suis là !
  • Toi, oui. Mais elle ? Tu crois qu'elle supporte aussi facilement que toi ?
  • Beuh ! Y a quoi à supporter, hein ? Tu crois que c'est la fin du monde, toi aussi ? T'es devenu con, ou quoi ? C'est pas une grippe carabinée qui va tout chambouler, quand même !
  • Ouvre les yeux, mon pote. C'est presque toute la planète qui est à l'arrêt, maintenant.
  • Alors faut croire que c'est de vivre en permanence l'un avec l'autre qu'elle supporte pas.

Il a dit ça sur un ton de faux-cul. Je pense illico que nous touchons directement au problème...

  • Tu sais, reprend-il, je pense qu'elle me supporte plus depuis longtemps, en fait. Près de vingt ans qu'on vit ensemble, pourtant.
  • Je comprends. Hélène et moi, des fois c'est pareil. Rien d'anormal.
  • Peut-être, mais moi et ma gonzesse, c'est différent. Elle me fait chier depuis quinze ans, et je l'emmerde depuis plus longtemps encore. C'est dingue à dire, non ?
  • Hé, vu comme ça ! Tu me fais marrer ! Tu crois pas que t'abuses un peu, non ?
  • Nan, je te jure.
  • Eh ben, faut vous séparer, alors. Faut vous donner un peu d'air chacun, non ? Pourquoi tu lui en parles pas ?
  • Parce que j'ai pas le courage, avoue-t-il dans un souffle.
  • Pas le courage ? Tu m'en diras tant ! Tu te prends la tronche avec trois lascars sans problème, et là t'aurais pas les burnes de lui causer entre quat'z'yeux ?
  • Non, c'est pas ça ! se rebiffe-t-il. Mais je me sens plus la force de tout recommencer ailleurs. Tu comprends, si je me barre, faut que j'me retrouve au moins une piaule, que je rachète des meubles, des trucs et des emmerdes par-dessus la tête. J'ai pas envie de remettre le couvert.
  • Vous n'en êtes pas encore là, calmos mon pote.
  • Ben, je crois qu'si...
  • Alors, tu choisis de supporter ?
  • Ben, ouais. Je sais que c'est très con, mais je peux pas me résoudre à mettre les adjas.
  • Et si elle se barrait, elle ?
  • Tu rigoles ? Elle partira jamais.
  • Alors, tu vois bien qu't'as encore de beaux yeux !
  • T'es complètement à côté de la plaque, me répond-il d'une voix pleine de reproches.
  • Pardon ! Si môssieur veut bien m'expliquer, alors !
  • Le pognon. Le pognon, la baraque, les meubles, et tout le cirque.
  • T'as gagné au loto ?
  • Arrête de déconner, s'il-te-plaît. Tu comprends pas ce que je te dis, ou quoi ?

Il est temps de l'écouter, vraiment.

A suivre...

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