LES JOIES DE L'INFORMATIQUE
Cela fait plus de vingt ans que Chantal et Benoit ne sont pas partis en vacances. Enfin quand ils parlent de vacances, ils veulent dire de vraies vacances, juste eux deux, sans les enfants. Des vacances comme Michel Sardou les a chantées dans sa chanson "Les vieux mariés". Leur dernier séjour, remonte à plusieurs années, c'était un week-end à Lourdes avec l'association paroissiale du village. Ils étaient partis tous ensemble en bus, avaient logé dans un hôtel pour pèlerins. Ils étaient rentrés le dimanche soir à pas d'heure, complètement épuisés.
Chantal, cinquante neuf ans, infirmière libérale depuis plus de vingt-cinq ans, a sacrifié sa vie aux autres. Les autres, ceux qui ont besoin d'elle quotidiennement. Les personnes âgées dont elle est devenue la seule visite quotidienne, ceux qui n'arrivent plus à gérer la prise de leurs médicaments. Entre les levées, les prélèvements, les soins d'hygiène, ou de confort, elle est sans cesse sur la route, partant tôt le matin et rentrant tard, voire très tard le soir.
Du temps pour elle, elle n'en a jamais eu... elle n'en a jamais pris. Partagée entre son travail, ses enfants et les tâches ménagères. Le tourbillon de la vie l'a happée. Aujourd'hui à presque soixante ans, elle s'aperçoit que tout est allé bien trop vite, une pause serait à présent la bienvenue.
Benoît quant à lui, a repris l'exploitation familiale, transmise de génération en génération. Aujourd'hui, sa propriété compte plus de quatre vingt hectares. Il cultive essentiellement des céréales et possède un cheptel d'une cinquantaine de vaches, des blondes d'Aquitaine.
Cette ferme il l'a portée à bout de bras durant toute sa vie. Alors, aujourd'hui, à l'âge de la retraite, il entend bien lever le pied et la transmettre à son tour à son fils Stéphane qui actuellement le seconde dans les travaux agricoles.
Stéphane est conscient de la vie menée par ses parents, aussi, il les pousse à prendre quelques jours de vacances. Ainsi ils pourraient découvrir un autre coin de France que leur Lot-et-Garonne.
Si Chantal s'enthousiasme à cette idée, Benoît lui, reste plus réservé. Il n'est jamais parti plus de trois jours. Les voyages, il n'aime pas ça et loin de sa ferme, il s'ennuie.
Pourtant, à force de persuasion, il se laisse convaincre. Huit jours sur la Côte Basque leur fera le plus grand bien à tous les deux. Et puis, la destination n'est qu'à trois heures de route, sait-on jamais, si le fiston avait besoin de lui, il pourrait rentrer rapidement. Mieux vaut être prévoyant.
En quelques clics, sur des sites de location entre particulier, Stéphane leur a trouvé un très bel appartement avec terrasse et vue sur l'océan. Les photos sont magnifiques, le charme opère. Ils bloquent la réservation. Départ le 14 juin pour huit jours de rêve.
Dès le lendemain, Benoît s'adresse au "service de remplacement" de la Chambre d'Agriculture pour bénéficier d'une personne qui aidera son fils durant son absence. Chantal de son côté, organise son planning prévisionnel de roulement en fonction de ses congés. Dans moins d'un mois ils partiront loin, prêts à profiter pleinement de ce séjour.
Les semaines passent et tous deux ne cessent de penser à leurs vacances. Jusqu'au jour où, une collègue de Chantal est victime d'un accident de voiture, le planning de travail s'en trouve désorganisé. Chantal est obligée de travailler le week-end du 14 et 15 juin. Et, le 14, c'est le jour prévu pour le départ.
En apprenant la nouvelle, son mari est dépité. Vraiment les vacances, ce n'est pas fait pour lui. Il a l'impression que le sort s'acharne contre eux.
Le soir à table, le repas est morose, Benoît baisse les bras, il est prêt à tout décommander même s'il doit perdre une partie de la somme versée pour la réservation, ça lui est égal.
Heureusement Chantal arrive à le raisonner car elle a la solution. Oui, ils partiront bien à Biarritz. Son mari partira en voiture le samedi comme prévu, Chantal, assurera la garde du week-end et prendra le train dès le lundi pour le rejoindre.
Benoît passera deux jours seul, mais, qu'à cela ne tienne, il saura bien se débrouiller et puis, les retrouvailles n'en seront que plus belles.
Le jour tant attendu arrive enfin. La voiture est bondée de bagages, tout est prêt pour le départ. Bien qu'il sache son père réticent aux nouvelles technologies, Stéphane pose la tablette sur le siège passager du véhicule.
- Ainsi, lui dit-il, par skype je pourrai vous voir et vous me raconterez vos journées !
Même si Benoît n'a pas tout compris, Chantal elle, n'aura pas de difficultés pour converser avec son fils. Puis ainsi, ils garderont un oeil sur la ferme !
Après, les recommandations d'usage, les bisous à sa femme et au fiston, il se met en route. De son côté Chantal se rend chez Madame Castagné pour une prise de sang, puis, elle enchaînera visites et soins auprès de divers patients.
Après plus de trois heures de route, Benoît arrive enfin dans la ville balnéaire de Biarritz. La ville resplendit sous le soleil. Il est émerveillé par tant de beauté, l'immensité de la plage, l'architecture des bâtiments. Ses yeux ne savent plus où regarder.
Il se gare au pied d'une superbe résidence grand luxe, en front de mer. Comme convenu le propriétaire l'attend dans le hall pour la remise des clés et la prise du logement.
L'endroit est idéalement situé, face à l'océan. Equipé de tout le confort, une décoration contemporaine agrémente le lieu, la baie vitrée ouvre sur une terrasse ombragée surplombant la grande plage.
L'appartement possède un espace travail avec connexion wifi. Benoît est excité à la découverte de ce coin travail et bien qu'il ne maîtrise pas entièrement les nouvelles technologies, il sort la tablette de sa housse, bien décidé à partager sa joie et son enthousiasme avec son épouse. Tout est tellement merveilleux ici qu'il tient à le lui faire savoir. Il commence alors à rédiger un message :
"Ma chérie,
Je suis bien arrivé à destination et j'en profite pour t'adresser ces quelques lignes.
A en croire ce que je vois autour de moi, je peux te dire qu'ici c'est vraiment le paradis. J'ai hâte que tu me rejoignes, pour qu'enfin tous les deux, nous puissions profiter pleinement de cet endroit divin.
Je t'embrasse bien fort et je te dis à lundi. Dépêche toi, je t'en supplie, je t'attends avec impatience.
Ton ange qui t'aime"
Au moment de l'envoi il a un petit doute sur le mail de sa femme, c'est vrai, qu'il ne lui a jamais envoyé de courriels. Fouillant sa mémoire, il tapote l'adresse qui lui revient, puis appuie sur la touche envoi du message.
Au même moment en Normandie, Jeanne Louvet regarde par la fenêtre le crachin qui ne cesse de tomber depuis deux jours. Elle est triste Jeanne, la semaine dernière, elle a enterré Marcel, son mari. Après plus de soixante-six ans de mariage, Marcel l'a quittée, juste après le déjeuner, terrassé par une crise cardiaque. Ce fut un terrible choc pour elle. Elle ne peut s'en remettre.
Assise près de sa fenêtre, elle regarde le ciel gris et froid comme son âme. Elle pleure. Ses yeux se posent aux quatre coins de la pièce ou le souvenir de Marcel est omniprésent.
C'est à ce moment précis, qu'un signal sonore provenant de son ordissimo spécial sénior, la sort de sa torpeur. Un message vient d'arriver dans sa boîte mails.
Avec des gestes lents et fatigués, elle se lève de son fauteuil, sûrement les petits enfants qui viennent prendre de ses nouvelles ou lui envoient quelques photos, histoire de lui changer les idées.
Elle ajuste ses lunettes, se saisit de la souris, clique sur l'enveloppe et commence à lire. Ce qu'elle découvre la sidère. Elle ne peut y croire ! Soudain, une boule l'oppresse dans la poitrine, en état de choc, elle s'effondre de tout son long sur le plancher ciré.
C'est ainsi, gisant sur le sol que son fils Michel la retrouvera deux jours plus tard. Le médecin conclura à un arrêt cardiaque, tout comme son Marcel.
En annulant l'écran de veille de l'ordissimo, Michel, aura sous ses yeux le message reçu par sa mère, et lui aussi, à son tour n'en croira pas ses yeux.
Ma chérie,
Je suis bien arrivé à destination et j'en profite pour t'adresser ces quelques lignes.....
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