Embrassons-nous
J’ai mon vol de retour à trois heures du matin. Dalil me dépose à la gare routière à minuit pour que je prenne la liaison menant à l'aéroport. Dans la voiture, il me fait cadeau de deux objets importants pour lui.
— C’est un ancien étudiant pilote que j’ai entraîné en Allemagne qui me l’a offert.
Il me tend une petite figurine d’aéronef en bois sur lequel était peint en couleurs : “Thank” - “You” sur chaque aile.
— Et ça, c’est un petit manuel de français — islandais que Léonore a oublié dans ma voiture. Je n’ai pas l’habitude de m’encombrer d’objets, mais en tous cas, ceux-ci signifient beaucoup pour moi. Comme notre rencontre, c’est pourquoi que je te les confie.
Lorsque nous sommes sur le point de nous séparer dans la station de bus, la situation prend tout à coup une autre tournure :
— Tu vas beaucoup me manquer, Juliette. Puis-je te donner un baiser avant de partir ? Mes lèvres sur les tiennes. Comme ça, une fois dans l’espace-temps. Pour sceller notre amitié...
— Dalil, je t’en prie, ne me fais pas ce coup-là ! Ne me provoque pas maintenant avec ce genre d’humour. On ne sait jamais sur quel pied danser avec toi.
— C'est pour de vrai. Je ne te parle pas de mêler nos salives, Dieu m'en garde ! Je te propose un baiser symbolique, à la manière des présidents russes. Comme ça, on reste amis et on se quitte en sachant qu’on se reverra.
— Tu me testes encore pour savoir si je sais enfin dire non ? Eh bien c'est non. Voilà.
Face à un refus si net, mon drôle de compère fait mine de plaisanter. Puis il se décide à partir avec une accolade moins forte que ce qu’elle aurait pû être.
Une fois seule dans le bus, j’éprouve des sentiments confus. Déjà la fin de ce séjour exceptionnel vécue sur cette île majestueuse. Une semaine imbibée de la compagnie de Dalil, energumen déniché sur le couchsurfing, ex-militaire de l’armée indienne bavard et enflammé que la vie avait mené jusqu’ici. Nous avons partagé beaucoup, et même eu des conversations intimes. Son comportement avec moi été demeuré parfois ambigu. À quel point fallait-il se méfier de lui ? Au départ, je considérais cette rencontre comme ponctuelle et circonscrite dans ce voyage, ce qui me conférait un sentiment de protection. Or, nous voilà maintenant liés pour de futurs étapes puisque Dalil compte venir chez moi en France et que de mon côté, je songe sérieusement à revenir en Islande pour y faire une saison l’été prochain.
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