Chapitre 6
Samedi, 18h43, appartement de Katherine.
« C’est à cette heure-ci que tu rentres ? Demanda l’homme blond qui était debout, entre l’encadrement de la porte.
-Devrais-je vraiment me justifier ? Tu vois bien que je suis allée faire quelques courses. »
Katherine sortit de la cuisine d’un pas vif, elle n’avait même pas eu le temps de retirer ses chaussures, ni sa veste. Elle devait également avouer que la visite surprise de son frère n’arrangeait en rien les choses. Pourquoi était-il là ? Qu’est-ce qu’il était venu faire à Londres ? Et surtout, comment avait-il réussis à entrer chez elle ? A cette pensée, la blonde arrêta ses mouvements et tourna son regard interrogateur vers Cédric. Ce dernier l’avait suivie jusqu’au pas de la porte d’entrée, où un meuble pour chaussure était posé dans un coin. Katherine cacha ses souliers et enfila des pantoufles à la place, elle en sortit une autre paire et les tendit à son frère, lui faisant comprendre qu’il devait également retirer ses chaussures.
« Père m’a donné ses doubles des clés. Annonça le blond tout en enfilant les pantoufles. Il ne sera pas très jouissif lorsqu’il apprendra que sa fille rentre tard le soir.
-Je suis partie acheter pour me ravitailler. Marmonna-t-elle en retournant dans la cuisine et cacher ses achats.
-Tu aurais pu le faire un peu plus tôt, n’oublie pas que tu n’as aucun droit de sortir à partir de 18h et les weekends à partir de 16h. »
Même à 556km loin de sa famille, elle réussissait toujours à gâcher sa vie. Ce couvre-feu dont Cédric parlait, c’était son père qui l’avait instauré la veille de son départ. Au début, elle le suivait à la lettre de peur, qu’un jour, sa famille débarque sans crier gare. Ce fut le cas ce soir-là, son frère ne l’avait pas prévenue de sa visite et après des mois de séparation, la seule chose qu’il trouvait mieux à faire c’était de la disputer comme un enfant. Que faisait-elle de mal ? Certes, elle n’avait pas un comportement exemplaire durant ces quelques mois ; elle rentrait la plupart du temps aux environs de 22h, mais durant les weekends, elle dépassait largement les deux heures du matin….Si ses parents l’apprenaient, elle ne donnerait pas cher de sa peau !
Katherine cacha les sacs en plastique dans le dernier tiroir d’un meuble de la cuisine, ignorant tant bien que mal la présence de son frère. Cédric s’était assis sur une chaise et l’observait en silence, les sourcils légèrement froncés. La jeune femme avait toujours été quelqu’un de docile, une personne qui écoutait sans rétorquer. Toutefois, il avait l’impression qu’il n’avait plus sa sœur en face de lui, à voir son expression crispée, l’homme devinait facilement qu’elle ne le supportait pas dans sa cuisine. S’était-il passé quelque chose ?
« As-tu des préférences pour le dîner ? Demanda-t-elle sans le regarder.
-Fais ce que bon te semble. »
Cédric se leva de la chaise et se dirigea vers la salle de bain, sans oublier de prendre sa valise avec lui. Katherine déduit qu’il allait se changer tandis qu’elle remplissait la bouilloire. Elle jeta un œil sur son horloge qui affichait 19h18. Son expression se changea en bouille déçue ; elle ne pourra pas rejoindre Karen et Kaylani au bar. Au fond, la jeune femme espérait que le séjour de son frère ne durerait pas longtemps.
Samedi, 22h23, bar Freddy
Assise sur le tabouret du comptoir et les jambes croisées, Kaylani tapotait le bout des angles sur le meuble en bois. Katherine était en retard, ce n’était pas de ses habitudes pourtant. La brunette observait la porte d’entrée et attendit l’arrivée de son amie blonde. Ce fut Josh, en posant un verre de Daïquiri, qui la sortit de sa rêverie, un sourire moqueur au coin des lèvres.
« Ta petite protégée a disparu ?
-Très drôle, Josh. Répliqua la jeune femme, les yeux toujours fixés sur l’entrée.
-Elle vient pas tous les soirs, je croyais que t’avais compris que vos rencontres sont un pur hasard.
-Ce matin, on s’était promis de se revoir ce soir. Soupira Kaylani. »
La jeune femme se redressa et remarqua enfin le verre posé à côté d’elle. Elle contempla le contenu jaune, une tranche de citron finement coupée était accrochée au rebord du verre. Elle prit ce dernier entre ses mains, le secoua légèrement avant d’en boire une gorgée. Elle sentit le liquide lui brûler la gorge, mais n’en fit rien. A la place, elle tourna une dernière fois le regard vers la porte d’entrée.
« Depuis quand vous êtes amies toutes les deux ? Demanda Josh. Je croyais que ta seule copine était Karen.
-Je le pensais aussi, mais j’apprécie beaucoup Katherine, elle a un je-ne-sais-quoi qui m’attire vers elle.
-Tu vires de bord ? Oh, j’en connais un qui va être déçu…Ou content ? Plaisanta le barman en envoyant un clin d’œil à son amie.
-Pas dans ce sens-là, abruti ! S’exclama la jeune femme en tapant son épaule. Ce que tu peux être pénible !
-Je vous laisse une soirée et je vous retrouve en train de vous chamailler ? »
La voix de Karen retentit derrière les deux personnes. Etonnés de la trouver dans le bar, Kaylani et Josh la regardèrent avec un air interrogateur ; le samedi était sa journée de congés, que faisait-elle ici ? Prenant place à côté de la brune, la barmaid leur annonça qu’elle jouerait la cliente. Les propos de Karen enjouèrent Kaylani, ravie qu’elle ne passe pas la soirée seule, elle faillit même oublier la présence du barman s’il ne se présentait pas de temps en temps pour la taquiner.
Josh Stevenson n’était pas un homme qu’on décrirait de lourd, mais plus un joueur qui aimait bien taquiner Kaylani, trouvant ses réactions des plus hilarantes. Ils s’étaient connus dans la période difficile que traversait la brune, bien qu’elle ne lui ait porté aucun intérêt à leur rencontre. La jeune femme avait rapidement tissé un lien avec Karen, qui ne le ferait pas après tout ? La barmaid était réputée pour être la consolatrice du bar ; chaque client avait une histoire à raconter, se plaignant de leur vie professionnelle comme personnelle. D’une part, Karen écoutait tout le monde dans le but de les fidéliser, mais d’autre part, elle aimait entendre leurs récits, les trouvant tous extraordinaires. Ça lui avait permis l’obtention du surnom « La psychologue », une appellation qu’elle aimait bien.
« Kate n’est pas là ? Demanda la barmaid en observant autour d’elle.
-Elle ne viendra pas, ne me regarde pas comme ça. Je l’ignore tout autant que toi.
-Peut-être qu’elle a été prise par son examen ?
-Peut-être, oui. Elle n’est pas du genre à mentir…N’est-ce pas ? Demanda Kaylani, cherchant une confirmation chez son amie.
-Non, elle ne l’est pas. Je n’ai même pas son numéro de téléphone ! S’exclama la femme aux yeux sombres.
-Quatre mois que tu la fréquentes et tu n’as pas demandé son numéro ?
-Je croyais qu’elle serait une cliente comme tant d’autres. Haussa-t-elle les épaules, elle poursuivit après un long silence : Je suis partie voir ma mère…
-Comment va-t-elle ?
-Elle se porte aussi bien qu’une malade d’un cancer. D’après les médecins, il ne lui reste plus beaucoup de temps… »
La discussion s’arrêta là. Un long silence s’installa entre les deux jeunes femmes, ne sachant plus trop quoi dire. Kaylani ne sut comment réconforter la barmaid, sa mère étant hospitalisée depuis des mois, elle ne l’avait jamais vu en dehors du lit blanc. Karen dormait le jour pour rattraper ses heures perdues au travail et puisque le samedi était sa journée libre, elle en profitait pour lui rendre visite.
Elles se connaissaient depuis peu, mais l’absence de la peintre se fit étonnement sentir, était-ce son innocence et sa naïveté qui les attiraient à ce point ? Elles n’en avaient aucune idée, mais étaient certaines qu’elles lui demanderaient son numéro de téléphone la prochaine fois. Les yeux noisette de Kaylani tombèrent soudainement sur le pendentif en forme de tournesol, accroché au collier de la barmaid. Elle se rappela de sa discussion avec Katherine et demanda aussitôt à la jeune femme de lui en acheter un, son amie accepta.
« Excusez-moi. Retentit une voix grave. »
Karen et Kaylani se tournèrent vers la voix peu familière de l’homme et n’eurent aucun mal à l’identifier ; comme un homme peu discret pour l’une, et le chocolatier abattu par la trahison de sa femme pour l’autre. Alistair les observa une à une et perdit ses mots alors qu’elles le dévisagèrent. Il portait un t-shirt épais de couleur gris et une veste noire par-dessus, un jean délavé et des chaussures marron foncé. Il ne portait pas ses lunettes ce soir et ses cheveux n’étaient pas coiffés.
« J’aimerai vous parler en privé…Dit Alistair, le regard fuyant en s’adressant à la barmaid. »
Karen ne le fit pas attendre. Elle s’excusa auprès de Kaylani, lui promettant de faire vite et la laissant en compagnie de Josh, le temps de quelques minutes. Une fois éloignés des oreilles indiscrètes, Alistair frotta nerveusement ses mains et regarda autour de lui.
« Je voulais vous demander pardon pour…La dernière fois. Commença-t-il difficilement avant de poursuivre d’une traite : je n’étale pas ma vie d’habitude et surtout pas à n’importe qui, je ne suis pas comme ça, haha ! Veuillez m’excuser si je vous avais dérangée ce soir-là, j’avais trop bu et ne faisais pas attention à ce que je disais et-
-Calmez-vous ! Ria Karen face à tant de nervosité. Ne vous sermonnez pas pour si peu, vous ne m’aviez en aucun cas dérangée, au contraire, j’étais ravie de vous écouter.
-Ah, tant mieux ! Très bien, très bien ! Sourit l’homme, peu convaincu par les propos de la jeune femme. Euh…J’aimerai que nous fassions un nouveau départ…Accepteriez-vous un dîner avec moi, un de ces jours ? »
Karen resta silencieuse face à la proposition d’Alistair. Elle n’était en rien surprise. Ce n’était pas la première fois que les clients s’excusaient de leur comportement envers elle, et ce n’était pas la première fois non plus qu’ils lui proposaient un rendez-vous pour « un nouveau départ ». En réalité, elle s’y attendait, mais espérait que cet homme soit différent des autres. La barmaid ne pouvait se mentir à elle-même, elle trouvait le chocolatier un tantinet intéressant et intriguant à la fois. Sa façon de parler de son ex-femme était…Unique ? Il ne lui en voulait pas à elle, ni à l’homme qui l’avait consolée, mais il culpabilisait de ne pas avoir été à la hauteur de son mariage. Trop occupé par son travail et l’ouverture de sa boutique, il avait inconsciemment délaissé sa femme. Bien sûr, il n’avait rien avoué de tout ça, Karen l’avait lus entre les lignes.
« Mademoiselle ? Tenta Alistair timidement.
-Pourrais-je y réfléchir ? Dit subitement la jeune femme.
-Euh…Oui, bien sûr. Haha !
-Pourquoi riez-vous ? Demanda-t-elle avec un sourire, amusée par le comportement de son interlocuteur.
-C’est juste que le mariage m’a bien engourdis, je me rends compte que je n’arrive même pas à obtenir une réponse rapidement, haha ! »
Alistair rigola de honte, Karen le remarqua à son frottement des mains et aux rougeurs qui atteignaient même ses oreilles. Elle ne put contenir un sourire attendri, peut-être était-il différent ? Ils restèrent quelques instants sans rien dire, puis, se rappelant avoir délaissé son amie, la barmaid mit fin à cet échange et retourna vers Kaylani. Elle trouva cette dernière seule, sa tête entre ses mains et regardait dans le vide.
« Désolée du retard. S’excusa Karen en prenant place à côté de son amie.
-Tu en as mis du temps, ça va ?
-Oui, oui, rien d’important. »
Karen changea rapidement de sujet. Toutefois, son regard se posa machinalement sur la porte d’entrée et découvrit Alistair sur le point de sortir. La barmaid contempla son dos quelques minutes avant de se lever sans prévenir la brune et se diriger vers lui. L’homme aux yeux pers fut surpris lorsqu’il sentit une main le retenir par son bras. Perplexe, il se tourna et fut encore plus étonné d’apercevoir Karen, quelque peu rougissante.
« Laissez-moi votre numéro, pour que je puisse vous prévenir quand je serai libre. »
Encore sous l’effet de la surprise, Alistair ne répondit pas tout de suite et observait la jeune femme sans sourciller. Ce fut en claquant ses doigts devant son visage qu’il sortit de sa léthargie et se précipita sur son téléphone, baragouinant au passage une excuse sur le fait qu’il ne connaissait pas son numéro par cœur. Karen inscrit les chiffres sur son répertoire, puis remercia le chocolatier avant de disparaître à l’intérieur du bar, laissant derrière elle, un Alistair stoïque qui n’avait pu empêchait d’exprimer sa joie en levant son poing en l’air et criait intérieurement un « yes ! »
Certes, ce n’était pas la première fois qu’on lui présentait des excuses, ni la première fois qu’on lui demandait un rendez-vous. Toutefois, c’était bien la première fois que Karen en acceptait un et cette fois-ci, ce n’était point pour le fidéliser, mais plutôt pour apprendre à mieux le connaître. La barmaid n’était pas le genre à agir sans réfléchir, elle n’aimait pas vivre avec des regrets et bien qu’elle ait l’habitude de mettre certaines distances entre les hommes et elle, elle se laissa tenter par ce chocolatier.
Annotations