Nevada, Zone 51, samedi 9 mai 2020, 3h15:

Comme chaque nuit depuis un mois maintenant, je me réveille en sursaut. Depuis le temps, je pensais m'être débarrassé de toutes ces images. Je pensais que 1,9 millions d'années avaient suffi pour oublier les scènes macabres auxquelles j'ai assisté.

Mais comment voulez-vous oublier quoi que ce soit quand tout, autour de vous, vous rappelle inlassablement qu'ils vous ont tout pris ?

Chaque nuit, je revis le moment de panique lorsque les Premiers Colonisateurs sont arrivés. Comme une nuée d'abeilles, ils ont traversé nos portails inter-galactiques au-dessus de l'Océan Panthalassique. Je me souviens de ma stupéfaction quand ils ont détruit nos vaisseaux de garde, nos stations d'exploration, nos sites de surveillance et nos satellites de communication en un éclair.

Chaque nuit, je revis le sentiment d'incompréhension et de peur qui nous à tous envahit face à cette attaque que nous ne pouvions pas prévoir. Nous n'avions pas connaissance de l'existence d'une intelligence à notre égal quelque part dans l'univers. Nous ne nous étions donc jamais préparés à l'éventualité d'une confrontation.

Chaque nuit, je revis la détresse lorsque nous avons compris que nous ne pourrions pas nous défendre. Notre technologie, bien que supérieure, ne pouvais rien. Nous ne pouvions rien contre ces vagues de vaisseaux et d'Êtres, qui comme la ruche, avaient la capacité d'être reliés. Nous ne pouvions rien face à leurs bombes qui eurent la capacité de déchirer la Pangée ou encore face à leurs armes capables de nous réduire en poussière.

Chaque nuit, je revis nos trois années de fuites dans les régions jugées les plus hostiles, même pour nous, qui se sont soldées par notre capture. Et alors que je pensais – que j'espérais – que nos envahisseurs se réjouiraient de pouvoir enfin nous tuer, ils nous ont simplement capturé. Simplement...

Rien n'est jamais simple.

Chaque nuit, je revis le jour de notre arrivée dans ce qui deviendra notre prison. Ce lieu mystérieux qui suintait la mort et dont personne ne connaissait les véritables secrets. Là où j'ai subi leurs innombrables tortures, là où ils se faisaient un malin plaisir de tester leurs théories sur nous et surtout, là où ils tentaient tant bien que mal de mettre à exécution la dernière partie de leur plan: prendre le contrôle de la mémoire.
D'abord l'effacer puis ensuite la remodeler. Voilà quels étaient leurs buts. En revanche, ce traitement ne nous était pas destiné. Bien que ce soit au prix de la vie et de la mémoire de certains de mes semblables qu'ils y soient parvenus.

Peu après, leur peuple a oublié. Pas moi.

Vous êtes arrivé il y a 1,9 millions d'années. Vous vous êtes permis de tout détruire sur votre passage pour vous approprier cette planète que nous foulions depuis près de quatre cent milles ans, déjà. Vous nous avez attaqués, traqués et massacrés les uns après les autres. Vous nous avez emprisonnés et traités comme de vulgaires expériences pendant que vous preniez entièrement possession de notre Terre. Terre sur laquelle vous n'êtes en réalité capable de vivre qu'une petite centaine d'années, puisqu'elle vous est inhospitalière. Vous avez fini par voler votre propre mémoire pour y implanter des souvenirs fabriqués de toute pièce dans l'espoir de masquer vos crimes et vos erreurs. C'est à cette occasion que vous avez décidé, avec beaucoup de mépris, de nommer notre prison la Zone 51.

51, pour 51 prisonniers. 51, pour 51 Humains.

Vous n'aviez cependant pas prévu ce qu'il se passe en ce moment. Ceux à qui vous aviez arraché la mémoire parmi les miens commencent à se rappeler. Je garde donc l'espoir qu'il en soit de même avec les vôtres. Qu'ils se souviennent...