2.4 Corriger ses erreurs
Pendant toute la semaine, je m'attelle à faire mon boulot de surveillance des informations. Mère m'appelle chaque jour, toutefois, la discussion ne dure pas. Elle est très fatiguée et a du mal à se remettre de ses blessures. D'après ce que je comprends, elle houspille le personnel hospitalier.
Je me rends compte à quel point, je suis douée pour donner à Mère les réponses qu'elle attend. Pour l'instant, elle ne se doute pas une seule seconde que j'agis en douce pour procéder à quelques petits changements. Rien de bien important. Quelques punitions de Zêtas annulées. De la nourriture de banquets redistribués. Je dirige l'État 25 à ma façon, sous couvert du nom de Mère.
Mère est très faible et va avoir besoin de soins quotidiens et d'aide pour gérer ses dossiers. Elle m'a demandé d'organiser son retour. J'ai pris la décision de faire rapatrier Mère chez moi. Je vais veiller sur elle à ma façon. Dans mon domicile, à l'abri des regards, je saurais comment agir. Je contrôlerais mieux les choses.
J'ai pensé à de nombreux détails. Je vais demander à Louise, une Zêta de Mère arrivée il y a un an et que j'aime beaucoup, de venir habiter chez moi pour prendre soin de ma génitrice. J'apprécie cette fille et elle me semble quelqu'un de fiable qui me soutiendra dans mes actions. Il n'y aura qu'elle qui rentrera chez moi.
Je vais faire sécuriser mon domicile par les forces armées et je vais récupérer toutes les informations possibles au domicile de Mère. Je ne laisserais que les deux reproducteurs enfermés, et ignorants. Ils se retaperont pour le jour où je pourrais les libérer pour qu'ils rejoignent un abri.
C'est d'ailleurs l'heure d'aller apporter à manger aux reproducteurs. Ces deux garçons me font un peu peur. Je suis bien placée pour avoir une idée de ce que Mère a du leur faire subir. J'ai pitié d'eux. J'aimerais les relâcher, mais c'est impossible. Cela grillerait ma couverture. Je remplis le coffre de denrées alimentaires, pansements et autres choses nécessaires.
Je leur dépose le tout assez rapidement, inventant un bobard qui justifie leur enfermement et remise en forme. Je leur confirme l'ordre d'entretenir la maison, Sophie pouvant rentrer d'un jour sur l'autre, et de manger, dormir et se soigner pour être beaux au retour de leur propriétaire adorée. Au moins, ils vont se soigner et reprendre forme humaine.
Alors que je sors en chargeant tous les dossiers et quelques vêtements qui me seront utiles, j'aperçois Louise qui arrive. Tant mieux, cela m'évitera d'aller la chercher. Je lui explique brièvement de faire sa valise et les raisons qui rendent sa présence nécessaire auprès de moi, Mère arrivant demain. Louise m'obéit sans protester, et sa valise est prête en moins d'une heure.
Pendant qu'elle s'installe dans la petite chambre d'amis, je papote avec elle pour m'assurer qu'elle me suivra. Très vite, malgré le ton poli, je m'autoconfirme que Louise hait Alpha Sophie, tout comme moi, je hais Mère. Louise était très proche de l'ancienne Zêta, celle que Sophie a fait violer devant mes yeux. Celle qui a été capturée par les rebelles. À demi-mot, Louise et moi, nous sommes déjà découvert de nombreux points communs, à commencer par une idolation d'Alpha Inès.
Louise est intelligente. Elle comprend en moins d'une heure que Daniel a fui, que je le couvre et surtout, elle a détecté les entraves sous mes vêtements. Elle m'assaille de questions et je finis en larmes par lui dire la vérité. Je veux aider de mon mieux Daniel, car je l'aime, et je veux empêcher Mère de faire du mal. Je lui avoue les petits actes discrets pour aider des Zêtas ou les deux reproducteurs.
Louise me sourit et me fait m'asseoir. Elle me raconte une histoire incroyable sur Cassandra et sur Inès. La jeune Zêta m'informe qu'elle travaille sous couverture pour Inès et me propose de m'assister dans mon projet. Elle me donne des tonnes d'astuces et de petites choses à faire pour mener à bien mon rêve.
Toutes les deux, nous peaufinons les détails du plan que j'ai élaboré et ma nouvelle amie corrige mes lacunes en termes de discrétion et d'actions secrètes. Nous préparons tout pour demain matin, et j'effectue quelques courses pour améliorer la future chambre de Mère.
Le lendemain matin, de nombreuses voitures de police arrivent et sécurisent mon quartier. Une heure plus tard, un hélicoptère se pose devant chez moi. Du personnel hospitalier en descend et très rapidement, fait sortir Mère alitée et le brancard roule à l'intérieur en quelques minutes. Pendant que le médecin nous donne les informations médicales et nous explique les soins à Louise et moi, les infirmiers installent Mère, les perfusions et les machines dans la plus grande de mes chambres d'amis que j'ai préparé rien que pour elle.
Je panique un peu quand le médecin exige la présence d'une infirmière, mais heureusement, Louise a suffisamment de compétences médicales pour changer la perfusion et faire les prises de sang hebdomadaires. Nous pouvons donc vivre en autarcie sans venue extérieure.
Lorsque le personnel médical repart, je prends mon courage à deux mains et vais donner mes consignes à la femme la plus gradée des policières présentes. C'est-à-dire, sécuriser le quartier et particulièrement les abords de ma maison, s'attendre à des attaques rebelles de jour comme de nuit, ne permettre sous aucun prétexte à personne d'autre que Louise et moi de rentrer dans mon domicile.
Quand je referme la porte de chez moi, je m'écroule de nervosité. Louise accourt pour me soutenir et me remonter le moral. Le plus difficile à faire débute. Nous allons mettre en place la partie qui me répugne le plus, toutefois, c'est la partie la plus importante pour la réussite de notre projet.
Je me dirige donc vers la chambre de Mère. Celle-ci est déjà en train de se plaindre de la décoration et d'autres bricoles. Elle voulait être chez elle et non chez moi. En d'autres circonstances, j'aurais été terrorisée par les propos de Mère. Soutenue par Louise, je prends enfin conscience de la méchanceté gratuite dont fait preuve ma génitrice.
Louise rajoute une bonne dose de sédatif à la perfusion de Mère pour me faciliter la tâche. En quelques minutes, Mère sombre dans un profond sommeil. Je déglutis. C'est le moment. Je ne dois pas faillir.
Je m'empare du bracelet de gestion de Mère. L'enfilant sur mon bras, je le déverrouille et accède à la totalité des fonctions possibles. Je désactive les entraves de ses reproducteurs, afin que le jour où ils fuiront, ils ne subissent aucune décharge et ne puissent être repérés. Je m'octroie le droit de ne faire porter que cinq entraves à mon reproducteur. Je me défais donc des bracelets du haut des biceps et des jambes.
Ensuite, sur mon propre centre de gestion, je lance la procédure de changement de bracelets. Avec l'aide de Louise, je me défais rapidement et une à une de mes entraves de chevilles et de poignets. Je les pose sur Mère en pleurant. Je n'ai pas le choix. C'est le seul moyen pour qu'elle soit sous mon contrôle.
Je dois m'y reprendre à deux fois pour le collier, trop tremblante et fébrile. Ma douce amie Louise est d'un énorme soutien. Elle comprend tout à fait mes scrupules et trouve les mots pour me rassurer et me redonner des forces.
Je n'ai pas l'intention de faire du mal à Mère. Elle est et restera ma Mère. Je ne le fais que pour changer les choses avec les moyens dont je dispose. Ainsi, Sophie n'osera pas se débattre et restera bien docile. Nous pourrons, Louise et moi, œuvrer pour protéger et sauver un maximum de vies humaines.
Je finis par y arriver. Mère porte les cinq entraves de Daniel. J'ai son bracelet de gestion et le mien. Je réduis le périmètre de sécurité à la chambre et sa salle de bains pour que Mère soit enfermée dans ce petit espace et ne puisse accéder à mon bureau ou s'enfuir quand elle aura repris des forces.
Ça y est. Je contrôle Mère et l'État 25. Mon assistante de ce coup d'État invisible est Louise. Je sautille de joie. Au même instant, Louise reçoit un message d'une de ses sœurs. Je n'ai pas bien compris comment elle pouvait avoir autant de sœurs. Peu importe, c'est l'information ou plutôt le numéro que nous cherchions. Celui du téléphone portable personnel de Suprême Déborah. Officiellement cassé ou perdu lors du coup d'État.
N'étant pas détenteur d'informations importantes aux yeux des nouvelles dictatrices, ce téléphone perdu passera inaperçu. Pour nous, il est essentiel. Il contient les codes d'accès du bracelet de gestion du compagnon de Déborah. Un homme éperdument amoureux d'elle qui a rejoint la rébellion le soir même du coup d'État. En plus, pas n'importe quels rebelles. Igor et Irène, les plus hauts dirigeants parmi les révolutionnaires et surtout, des personnes qui soutiennent Inès.
En rédigeant le message à destination des rebelles que nous enverrons via le téléphone au bracelet du compagnon de Déborah, j'ai l'impression d'être une héroïne. Je leur fournis toutes les informations dont je dispose sur le lieu de détention d'Inès et Déborah, avec plan d'accès et heures des rondes de la prison qui se trouve sous la juridiction de Mère. Je signe avec un message codé, que seul Daniel comprendra. Pour qu'il sache qui est l'informateur secret et surtout combien je l'aime le jour où il trouvera les rebelles.
Mère dort toujours et je pleure, cette fois de joie, en envoyant le message. Louise est elle aussi émue. Je reste stupéfaite du nombre de connaissances de Louise mais je ne m'attarde pas trop à essayer de comprendre. Nous nous serrons dans nos bras et faisons une courte danse sans faire trop de bruit pour ne pas interpeller les troupes en extérieur. Mère ne va pas tarder à se réveiller alors nous débutons l'installation de notre futur fonctionnement.
Dans mon bureau, j'ai installé mon ordinateur et celui de Mère sur la grande table. Les dossiers sont rangés sur la bibliothèque. J'allume les caméras que nous avons achetées et posées hier avec Louise. Je vois toute la chambre et la salle de bains de Mère. C'est parfait.
Les fenêtres ont des volets roulants que je contrôle à distance. Leurs vitres sont troubles et si elles laissent passer la lumière du jour, elles ne permettent ni de voir à l'intérieur ni à l'extérieur. Elles sont fermées et équipées d'un dispositif anti-ouverture bébé à clés empêchant Mère de s'enfuir ou d'appeler à l'aide.
La porte de la chambre est solide et deux verrous externes dissuasifs la rendent inouvrable de l'intérieur. Mère dispose d'un bon lit, de vêtements chauds et confortables, d'une salle de bains avec douche et toilette, d'une petite table pour manger ou écrire, d'un fauteuil, d'une petite télévision et de très nombreux livres. Au besoin, Louise et moi ne serons jamais très loin de toute manière.
Mère sera prisonnière certes, je la traiterais bien et humainement. Elle m'a donné la vie et je ne suis pas quelqu'un de mauvais. J'ai juste besoin de la garder enfermé pour pouvoir agir en toute impunité. Pour prendre sa place officiellement et aussi en secret, il ne faut pas qu'elle sorte de chez moi.
J'ai acheté à Louise un bracelet de gestion un peu plus perfectionné auquel je donne accès à ma maison, à celles de Mère, au contrôle des entraves des reproducteurs, et d'autres petites choses utiles comme une réserve d'argent conséquente mais suffisamment faible pour ne pas attirer l'attention. De quoi faire des courses pour Mère officiellement, la somme lui permettra de fuir facilement en cas de problèmes.
Louise gérera mon ordinateur et une bonne partie de mes mails. Moi, je m'occuperais de celui de Mère. Comme je rédigeais bon nombre de ses courriers, les gens ne verront pas la différence. Louise m'aidera quand il s'agira de communiquer avec les quatre Alphas complices du coup d'État, cependant, je connais très bien la manière dont Mère s'exprime et n'aurait aucune difficulté à me faire passer pour elle.
Mère commence à se réveiller. Je prépare donc le déjeuner pendant que Louise surveille la caméra. L'odeur de ma cuisine finit de faire ouvrir les paupières à ma nouvelle colocataire. Je pose tout sur un petit plateau et Louise m'ouvre la porte. Nous rentrons et installons le repas sur la table pour manger ensemble.
J'aide Mère à se lever. Elle est encore groggy et n'a pas vu les entraves. Je la fais s'asseoir et la sert. Elle commence à ronchonner sur mes piètres talents de cuisinière, cependant, elle est affamée et débute son repas. Elle réalise en se saisissant de ses couverts qu'elle porte quatre bracelets et un collier de contrôle.
Mère commence à s'énerver et pense à une blague. Elle tente de se lever. Calme, je pianote sur mon bracelet et lui envoie une toute petite décharge qui la fait se rasseoir et se taire direct, abasourdie et choquée.
— Mère ? Je n'ai pas l'intention de vous faire le moindre mal, mais si vous cherchez à me désobéir ou à vous enfuir, je sévirais. Vous êtes ma prisonnière et j'ai pris le contrôle de votre État dans le plus grand secret. Je vous prierais de vous tenir tranquille à partir de cet instant. Vous serez nourrie et soigné correctement. Si vous ne vous soumettez pas, vous apprendrez ce que c'est que d'être esclave.
Mère bredouille et peine à comprendre la nouvelle situation. Elle ne s'attendait pas à cela de ma part. Elle me pense trop faible et trop craintive. Il lui faut plusieurs minutes avant de me demander à qui sont les entraves qu'elle porte.
— À mon ex reproducteur et désormais compagnon qui doit être chez les rebelles à l'heure actuelle. D'ailleurs, je dois vous informer que j'ai intégré leurs rangs à l'instant où Inès vous plantait le premier coup de poignard dans le ventre. Maintenant, mangez Mère !
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