1.2 Drôles de sœurs
Un jour, alors qu'ils sont tranquillement en train de manger, les rebelles voient une femme arriver avec un groupe de garconnets tremblants. Alertés, ils saisissent leurs armes avant de reconnaitre une scientifique de renommée internationale. Béa Praiss, une des femmes les plus influentes au monde, dont les relations la font craindre par les Alphas elles-mêmes, est là seule devant eux, sans avoir peur le moins du monde des armes.
— Nadia, ma soeur, faut que je te parle!
Béa Praiss interpelle la jeune Zêta rebelle et l'invite à se mettre à l'écart. Nadia calme les rebelles, leur disant qu'il n'y a rien à craindre et rejoint la femme d'un air curieux. Irène refuse de laisser seule la douce enfant et l'accompagne, ce qui fait sourire Béa Praiss qui se met à parler.
— Désolée, j'ai pas eu le temps de mettre les formes. Ils allaient partir dans un bordel. J'ai du agir vite. Tu es la seule en qui j'ai confiance. J'ai besoin que tu me dise où se trouve l'autre folle. Il faut qu'elle m'aide avec Pitbull. Et me fait pas croire que vous êtes fachées! Je ne suis pas idiote et le comportement humain est ma science. Les trois mousquetaires sont plus soudées que quiconque!
— Bonjour soeur, répond la douce Nadia. Merci pour les garçons. On va en prendre soin. Je t'en donne ma parole. Tu sais combien les enfants sont importants pour moi. Quand à Pitbull et Staff, je n'ai aucune nouvelle depuis plusieurs mois. Tout ce que je sais, c'est que Pitbull est pire qu'une mauvaise herbe. Rien ne lui fera plier la tête ou changer ses convictions. Staff se cache. Personne ne la retrouvera si elle ne le souhaite pas. Même moi, je ne le peux. Mais si je la croise, je lui dirais que tu la cherche.
— Soeurs? Nadia, tu es la soeur de Madame Praiss? questionne Irène, surprise.
— Oui, Irène. Je garde l'information secrète. S'il te plaît ne le dis à personne. Béa Praiss est ma grande soeur, avoue doucement Nadia.
— Et qui sont Pitbull et Staff? cherche la chef rebelle qui ne comprends pas grand chose.
— Mes deux autres soeurs. Deux sales caractères qui ont le don de s'attirer des ennuis. Irène... Je n'ai pas envie d'en dire plus sur ma famille. C'est un sujet sensible. Juste, ayez confiance en Béa. Croyez moi, elle agit pour sauver un maximun de vie et pour un monde plus juste, dit en souriant Nadia.
— Je te crois Nadia. La réputation de Madame Praiss m'est déjà parvenue aux oreilles. Une femme qui peut se permettre de remettre des Alphas à leur place, je me devais de la surveiller. Madame Praiss, nous ne nous connaissons pas. Sachez que je vous donne ma parole de prendre soin des enfants et de tous les réfugiés que les rebelles pourront mettre en sécurité. Je garderais secret votre lien de famille et veillerait sur votre petite soeur comme s'il s'agissait de ma fille, déclare Irène.
— Votre réputation est également connue par notre famille Irène. Nous savons que vous protégez les faibles et ceux dans le besoin. Vous n'êtes pas comme votre tante. Ne soyez pas surprise. Nous savons vous et moi qu'elle était un tyran. Sa mort est des plus étranges. J'ai parcouru le dossier à la demande d'Alpha Inès et aussi de Suprême Déborah. Elles enquêtaient toutes les deux et ne croyaient pas les conclusions. Je suis de leur avis. C'est très étrange que les témoins du massacre soient aujourd'hui les mêmes qui ont pris le contrôle du monde, et ce, grâce aux troupes formées suite à ce drame, assure Béa Praiss d'un air sérieux et convaincu.
En entendant ces mots, Irène fond en larmes. Igor et ses fils arrivent en courant et comprennent entre deux sanglots le sujet de la discussion. Plus calme, le chef rebelle parle doucement avec Béa Praiss, essayant de lui soutirer des informations. Les deux jumeaux couvrent leur maman de bisous, sachant à quel point le sujet Tata est délicat et sensible. La scientifique ne peut pas rester et fournit rapidement des données utiles ainsi qu'une grosse liasse d'argent avant de repartir.
Igor interroge sa femme et Nadia sur la confiance qu'on peut accorder à Madame Praiss. Sans dire la vérité, Nadia affirme qu'il n'y a rien à craindre de cette personne et Irène hoche la tête en signe d'acquiessement. Igor n'insiste pas. Avoir une personne aussi influente être partisane des rebelles est une chose formidable. Les contacts et informations de la femme pourront être très utiles à la cause.
Il y a fort à faire pour dissimuler les enfants rapidement. Ils proviennent de différents Etats, principalement le 34, le 25 et le 29. Cela devient de plus en plus difficile tant le nombre d'enfants récupéré chaque jour devient important. Les bambins, surtout les garçonnets, sont ceux sauvés en priorité par les fantômes. Fort heureusement, les étranges alliées fournissent aussi parfois des maisons isolées voire des fermes où il est possible de cacher facilement un grand nombre de personnes, souvent avec l'aide des habitants locaux.
Lorsqu'il s'agit d'enfants, les femmes collaborent facilement surtout dans les campagnes où la pression policière est moins forte. Les visages ronds des poupons et les yeux innocents des bambins ouvrent quasiment toutes les portes. Les femmes enceintes sont également facilement dissimulées. Les femmes, surtout si elles étaient haut placées et les hommes sont plus compliqués. Souvent, ils suivent les rebelles.
Bien qu'elle affirme ne rien savoir des étranges silhouettes sombres qui agissent en commando, Béa Praiss intrigue Igor au plus haut point. La femme tient parole et envoie de nombreux enfants et adultes et surtout, elle fournit des renseignements très utiles. Elle met en relation les rebelles avec quelques Deltas partout dans le monde, ce qui permet de financer ou d'informer la révolte. La plupart des femmes sont adeptes des propos d'Inès et aident en espérant voir un jour se réaliser le rêve de l'ex Alpha dont on a aucune nouvelle.
Les rebelles ne cessent de rechercher des informations et des solutions pour aider Inès. Malheureusement, la forteresse d'Hélionos est gardée par des endoctrinées vouant un culte à Sophie et impossible à soudoyer. Chen et Peter enragent. Ils ont l'impression de ne pas avancer, d'être inactifs.
Les Alphas tyranniques redoublent de fureur. Elles lançent des opérations coup de filet et tentent de capturer les rebelles. Fort heureusement, ils s'échappent à temps ou des amis fantômes les libérent rapidement. Leur alliée secrète, qui dédie tous ses informations d'un message d'amour pour un certain Daniel est l'une de leurs sources de sauvegardes des plus précieuses. Ils ignorent de qui il s'agit. Toutefois, bien des morts et des blessés sont évités, ainsi que des enfants, des femmes ou des reproducteurs sauvés.
En voulant prendre le pouvoir absolu, les tyrans ont provoqué le déclic d'insurection de tous les opprimés du monde. Le nombre de rebelles ou de partisans croît de jour en jour. Igor s'inquiète car il est impossible de vérifier la loyauté de toutes ces nouvelles arrivées. Irène et lui craignent que les Alphas en leur envoient des fidèles pour les débusquer et les anéantir. Pourtant, pour le moment, les opérations de captures font chou blanc.
Les prisons sont attaquées et les prisonniers libérés très vite, que ce soit par les fantômes ou par d'autres rebelles qui obtiennent les lieux de détention via leurs contacts. Quand ce ne sont pas des réfugiés, ce sont des vivres, des médicaments, des vêtements, du matériel et parfois des armes qui parviennent par camions ou colis surprises.
Irène pense que de nombreux cadeaux proviennent de Béa Praiss. Cependant, elle a du mal à comprendre les petites attentions envers Peter ou ses fils. Ceux là sont très personnalisés. Trop personnalisés. La scientifique ne peut savoir des choses aussi intimes, d'autant plus que les arrivages pour Peter sont ceux d'une proche d'Inès, une personne décrite comme un ange de douceur, ce qui ne caractèrise pas du tout Madame Praiss qui est plutôt stricte et autoritaire.
Les taquineries envers les jumeaux semblent également provenir de cette proche d'Inès, l'humour étant le même et la volonté de faire ronchonner les deux garçons aussi grande. Igor aimerait rencontrer cette personne, ne serait ce que pour parler avec elle de sa fille, apprendre à la connaître par procuration. Une façon de rattraper le temps perdu, pendant qu'il pensait sa fille morte.
Seulement, l'ange reste anonyme et ne se manifeste que par les présents étranges. De doux colis bienveillants et presques tendres sont déposés quotidiennement pour Peter. Ceux hebdomadaires à destination des jumeaux portent la même écriture, toutefois, le vocabulaire et le ton employé sont radicalement différents. C'est vraiment bizarre. On dirait des mots dictés par quelqu'un d'autre. Une personne au même humour qu'Inès, mais avec un langage plus cru.
Rudolf est devenu fou un jour où dans son colis, il y avait des photos de lui et d'Inès devant une maison. Son visage portait la trace de la griffure sur la joue qu'il s'était fait deux jours plus tôt. Sur l'image, Rudolf tenait le journal du jour. Or, le jeune homme n'a jamais posé pour une photo et Inès est en prison. Ce qui a énervé Rudolf, c'est qu'il était tenu en laisse et que la maison en question lui est connu. Son ancienne geôle. La demeure de son ex propriétaire.
Une autre image montrait Alpha Inès et Gaël assis sur un banc devant un arbre majestueux en train de se faire un câlin amical. C'est Chen qui a trouvé où l'image avait été prise. Un parc à l'autre bout de l'Etat que Gaël n'a jamais vu. Le compagnon de l'Alpha est allé une seule fois là bas. Il a reconnu l'arbre. Aucune photo n'a été prise lors de sa visite et il n'a pas fait de gestes amicals envers la jeune fille et ne s'est pas assis sur le banc. Il s'agit d'un montage de très haute qualité, quasi indétectable. Si Irène n'avait pas une confiance totale en ses fils, elle douterait devant l'excellence de l'image.
Les rebelles s'interrogent sur la signification de ces photos. Ils les regardent attentivement. C'est avec une loupe que celle de Rudolf révéle un secret. Sur le collier de son cou, il y a inscrit "Grand frère" et la laisse est en réalité ouverte. Plus précisément, l'ouverture a été cassée, probablement par le marteau dans la main de la jeune fille. Sur le cuir, et en utilisant un miroir pour lire à l'envers, on aperçoit "Je délivre ma famille".
Irène se demande si Inès n'aurait pas envoyé l'email qui a permis de secourir son fils. Cela est impossible. Elle était si jeune et encore dans son centre d'éducation de soldates. Tout le monde ignorait son existence et Inès elle-même ne savait pas son lien avec la rebellion. Le journal est celui du jour exact où Rudolf s'est blessé à la joue, rien n'a été modifié sur le titre dont la Une parlait des mesures de séparations mères-enfants instaurées. Aucune autre bizarrerie n'apparaissait.
Plusieurs jours sont nécessaires pour qu'Igor ne réalise pourquoi la photo de Gaël lui disait quelque chose. Il s'agit de la reproduction d'un tableau célèbre très ancien. Une allégorie de l'amour fraternel entre deux soeurs. Tous les replis du tissu, la position, les couleurs ont été scrutées et comparées à l'oeuvre d'origine. C'est identique sauf les visages mais aucun texte caché, aucun symbole.
Peter pense avoir trouvé l'explication aux images. Inès se crée un faux lien, des faux moments avec ses frères. Elle s'interrogeait beaucoup sur son géniteur et sur ce qu'aurait été son enfance si elle n'avait pas été un soldat. Une enfance parmi les rebelles, avec ses frères. Elle posait beaucoup de questions sur les années de jeunesse et les jeux entre Chen, Bruce et Peter, qui ont grandi comme des frères.
Les taquineries qu'elle leur envoyait durant les mois où elle était Alpha n'était que des moyens de mieux connaître ses frères. Elle cherchait à tout savoir d'eux, leur façon d'être, leur nourriture préféré, leurs qualités, leurs défauts. D'après Peter, Inès voulait s'assurer qu'elle avait des liens de sang avec des gens biens, pour compenser la monstruosité de sa génitrice.
Vers la fin de leur colocation, la jeune fille était de plus en plus tendue et nerveuse. Quand une personne soulignait les traits de caractères communs entre Inès et Cassandra, la nouvelle Alpha devenait furieuse et encore plus colérique. Ce qui la rendait encore plus similaire à l'ancien despote et énervait davantage la boule de nerfs. De nombreuses Deltas se faisaient rabrouer séchement voir presque humiliées en public. Quand Inès était de mauvaise humeur, il valait mieux fuir. Le souci, c'est que les moments où elle était de bonne humeur étaient déjà rares aux premiers jours du règne Inès, et plus le conseil se rapprochait, moins les secondes de calme étaient présentes.
Cependant, le caractère impatient se retrouve aussi chez les jumeaux. Chen, Bruce, Peter mais aussi Sybille reconnaissent de nombreuses choses que les trois enfants d'igor ont en commun. Le besoin de se défouler en faisant du sport à outrance, le manque de compassion envers les mauvaises gens, les aspects protecteurs et sauveurs envers les opprimés, le refus de l'injustice, le coté borné et tétu, l'humour pourri parfois au ras de la ceinture, mais aussi une autorité naturelle et une prestance malgré le jeune âge.
Inès est la version féminine des jumeaux. Une seule différence de taille la distingue de ses frères et aussi de sa génitrice. Inès est parfaitement capable de garder le contrôle lorsque cela est nécessaire. Elle analyse la situation et garde la tête froide dans des moments de tension extrêmes, les instants où tout le monde deviendrait fou la rendait réfléchie, calme et efficace. Comme la fois où elle a détécté avant tout le monde les intentions de la Delta suicidaire.
Même lors du conseils des Alphas, où elle semblait fulminer interieurement, ses paroles étaient précises et dénuées d'émotions. Quand l'entrée des soldates s'est effectuée, Inès a su dégoter un couteau de nul part et a blessée le cerveau de l'opération, avec une rapidité et une exactitude digne d'un robot. Les gardes du corps de Sophie ont valsé dans les airs en quelques secondes, sauf une. Celle qui dirigeait les soldates et qui était à l'autre bout de la pièce. La même qui lança un gourdin à Célia pour assommer Inès et que l'on avait pas vu depuis deux mois.
Igor, Gaël et Rudolf apprenent à connaître Inès d'après les papotages de Chen, Bruce et Peter. Ce sont ceux qui l'ont cotoyé le plus ces derniers temps. La jeune fille est difficile à cerner et se livre difficilement. Quand elle le fait, rien ne certifie l'authenticité du témoignage. La preuve en est sur son lieu de naissance et d'enfance. Plusieurs sources disent qu'elle est née et a grandi dans l'Etat 34. Cependant, elle semble connaitre parfaitement plusieurs Etats et en parle comme si elle y avait vécu. Les détails et ses descriptions de certaines villes des Etats 34, 29, 25, 12 ou 18 sont si précises et fournies que personne ne sait si elles sont de mémoire ou totalement inventées. C'est un mystère.
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