Chapitre 2 - Dunkel, deux années plus tôt
Mon père un jour m’avait dit : « On meurt toujours vaillamment, et avec le sourire. »
Je crois que c’est une des seules fois de sa vie qu’il a eu tort.
Il doit être aux alentours de quatre heures du matin. Il fait froid, dans les jardins. J’ai les pieds nus, les cheveux décoiffés par le vent et je suis vêtu de mon pyjama blanc. En silence, j’arpente les rosiers en fleurs, les chemins, les fontaines et les arbres fruitiers. Cette balade matinale me fait du bien. Un sentiment de liberté m’envahit et un petit sourire apparaît sur mes lèvres, tandis que je m’arrête de marcher et que je ferme mes yeux couleur miels. Là, je savoure la caresse de la vie. Cela me ferait presque oublier le drame familial dans lequel je me trouve.
Oui, mon père est en train de mourir, et alors ? Regardez ce que le monde m’offre !
Bien sûr, ce n’est pas réel. La beauté de ce paysage me coupe bel et bien le souffle, mais je crois que je ne céderai contre rien la beauté des moments passés avec lui. Il est le marionnettiste qui m’anime, le berger de mon troupeau, et l’étoile qui me guide chaque jour.
C’est mon paternel, mon confident et mon ami. C’est celui qui m’a fait des leçons de vie durant des heures, alors que je devrais aller me coucher, dans la salle de conseil, tous les deux en pyjama. C’est celui qui m’a fait découvrir le monde, me parlant de chacun des royaumes, d’une voix teintée de respect. C’est celui qui m’a fait devenir un homme meilleur. C’est celui grâce auquel je sais que je serai un bon monarque.
— Dunkel ?
Je me tourne à l’évocation de mon prénom. Il signifierait “sombre” dans une langue antique. Cela me reflète malgré moi.
Ma mère est là, portant une robe bleue. Ses cheveux bruns attachés en tresse pendent dans son dos. Elle a les joues creuses, le visage fin et des cernes noirs comme mes cheveux. Elle semble épuisée.
— Ton père t’appelle.
Je m’y attendais. Je lui adresse un petit hochement de tête et je passe à côté d’elle sur le chemin.
C’est un tableau triste à voir.
Quelques gardes sont plantés devant la façade intérieure du château. Les oiseaux ne chantent pas. Tout n’est que silence.
Je monte deux à deux les marches de l’escalier menant à sa chambre. Je suis conscient que chacun de mes gestes sont scrutés avec attention par les conseillers royaux et autres figures importantes qui ne me seront bientôt plus inconnues.
On m’ouvre la porte et j’entre dans la pièce plongée dans la pénombre. Mon cœur se serre quand je discerne sa silhouette dans le lit. Son torse se lève et s’abaisse lentement et une toux à faire grimacer émane de sa bouche. Le médecin est à son chevet. Il se lève et se recule, nous laissant ainsi un peu d’intimité.
Je m’approche, les mains tremblantes. Je m’agenouille ensuite à côté du lit, et lui pris délicatement les mains.
— Père… c’est moi.
Le roi leva faiblement la tête en entendant ces mots, le souffle court. Les rides autour de ses yeux se plissèrent sous l’effet de la concentration et un lent sourire étira finalement ses lèvres.
— Ah, Dunkel… Mon petit garçon est finalement devenu un homme.
Je détourne les yeux, la gorge nouée. Les larmes menacent de couler alors, je renifle et me reprends. Pour moi qui avais toujours vu mon père comme puissant, sage et toujours souriant, cette nouvelle facette de lui me désarme. C’est l’homme qui m’a appris à me battre et à gouverner. Et le voilà maintenant malade et fatigué.
— Ne pars pas. Je t’en supplie… Ne pars. Je n’y arriverai pas.
Les maigres mains de mon père serrèrent doucement les miennes.
— Le temps est venu. Tu es prêt depuis bien trop longtemps. Il est temps que tu déploies tes ailes.
Un frisson me parcourut. Le souffle rauque du vieil roi se fit plus lent, signe que la vie le quittait peu à peu.
Je me penchais au-dessus de lui.
— Je ne veux pas que ça se finisse ainsi ! Je suis perdu, sans toi…
Ma voix se brisa.
— C’est ainsi que le cycle se perpétue. Tu seras un des plus grands rois de notre époque. Tes actions feront parler de toi partout dans le monde.
La tristesse était semblable à mille dagues qui me poignardaient une à une. Plus mon père parlait, plus elles s’enfonçaient profondément. Je n’ai jamais connu pareille douleur
— Si c’est ce que tu veux, repris-je d’une voix que j’espérais maitriser, je veillerai sur le royaume. Je le protégerai.
Un silence s’installa, seulement brisé par le sifflement émit par mon géniteur. Le temps s’écoulait d’une manière atroce et je ne pouvais rien faire pour l’en empêcher.
Dans un dernier effort, mon père murmura une phrase, et je continuerai à entendre sa voix dans mon esprit des années encore.
— N’oublie jamais… que l’amour et la loyauté sont les plus puissants des alliés que tu ne pourrais jamais avoir
Et alors, la respiration de mon père s’arrêta. Ses côtes maigrichonnes se soulevèrent pour la dernière fois, à tout jamais. Une ombre se faufila dans la pièce. C’était la mort, qui venait chercher le corps. Je ne m’en rendis même pas compte, trop occupé à pleurer contre le matelas du lit, les épaules secouées par des sanglots. Je ne pouvais pas y croire. Je ne voulais pas y croire.
Finalement, ma mère pénétra dans la pièce. Elle posa une main sur mon épaule, qu’elle serra peut-être comme un vain signe de réconfort. Puis, elle se pencha et murmura dans mon oreille :
— Acclamons le nouveau Roi de Divinity.
C’est à ce moment-là que la réalité me frappa de plein fouet. J’étais le Roi. J’étais le putain de Roi de l’île.
Je me redressai, et quelque chose changea dans mes yeux ambrés. C’est à cet instant précis que je compris que plus rien ne serait jamais comme avant. L’innocence et la gaieté de mon enfance s’étaient envolées avec mon père, se faisant remplacer par le devoir et la patrie, et ce, pour tout jamais.
Comme le disait la tradition, je me dirigeai vers le petit balcon qui était sur la deuxième façade du bâtiment, celle vers le monde réel et la cour royale, et annonçait haut et fort.
— Le Roi est mort !
Et tous ensemble — moi, la cour, ma mère dans la pièce, le médecin et même les gardes —, nous portons notre index puis notre auriculaire à nos lèvres et nous les levons vers le ciel.
— Longue vie au nouveau Roi Dunkel, acclament-ils !!
Les échos de leurs acclamations résonnent encore longtemps dans ma tête après les avoir entendus. J’étais Roi, désormais, et tout allait changer.
Annotations
Versions