chapitre 11
J’espérais, en l’appelant à l’aide, que ma psy contribue à désembrouiller ma mémoire. Au lieu de cela, elle m’a imposé un défi. Son but : que j'arrache les clefs de ma guérison au seul membre rescapé de ma famille, pour les donner à celle qui fut la rivale heureuse de ma mère, même si elle s’en défend… Où est la vérité ?
J’ai besoin d’intégrer ce qu’Adelina m’a livré. Son histoire contredit par trop mes certitudes. En même temps, elle s’emboîte si parfaitement avec les bribes d’informations que j’avais déjà… Je cherche un stylo avec fébrilité tandis que, cette fois, les phrases se bousculent. On dirait que l'italienne est encore ici à essayer de me convaincre. Je m’installe à la table, concentrée, attentive à reproduire le plus fidèlement possible les mots qu’elle a employés.
Elle a tenu d’abord à resituer longuement le contexte dans lequel les évènements se sont déroulés : mon grand-père, le père d’Enzo, faisait partie de la haute bourgeoisie. Fasciste, catholique, diplômé de l’Académie militaire navale de Livourne. Il était en affaires avec le banquier juif Angelo Donati, ancien officier d’état-major comme lui, réfugié influent à Nice dès le début de la guerre. Ce Donati avait joué un rôle majeur dans le destin des miens, en ralliant Enzo Agnesi à son grand projet de sauvetage des Juifs du sud de la France. En 43, un convoi de quatre navires attendait, à Gênes, de les emmener vers l’Afrique du Nord et au-delà vers la Palestine. Mais l'annonce de la reddition de l’Italie avait précipité l’intervention des nazis, impatients de récupérer l'enclave stratégique et d'y appliquer leur solution finale.
Après ce point historique, forcément partisan, Adelina en est venue à Enzo Agnesi. Le jeune militaire, informé de la défaite prochaine, avait ignoré l’ordre paternel de regagner l’Italie. Alors le père avait envoyé une voiture le chercher. Au moment où Donati s’enfuyait en Suisse, Enzo Agnesi avait voulu agir une dernière fois : il avait mis ma mère dans cette voiture et l'avait envoyée à Cecina, chez les Sanpierri.
À ce moment de son récit, les épaules d’Adelina se sont un peu affaissées. D’une voix douce, elle a décrit la détresse de maman. Un autre pays, un autre milieu social, la solitude. En petite bonne, Anna s’échinait à faire briller la maison, mais ce qu’elle aimait par-dessus, tout c'était s’occuper de la ménagerie. Les animaux la suivaient toute la journée, elle leur parlait. Petit à petit, ma mère avait pris des responsabilités et s’était retrouvée gouvernante, pourtant Adelina l'avait toujours considérée avant tout comme une amie.
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