chapitre 23

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Ce matin, coup de tonnerre ! Un courrier à en-tête de la clinique de Piombino : « Nous avons l’honneur et le plaisir… blablabla… les conclusions de notre consœur… blablabla... honorés de vous avoir comptée parmi nos patients… », accompagné d’une lettre d’Elizabeth, en français :

Chère Évelyne,

L’examen collégial du bilan auquel vous vous êtes soumise nous incite à interrompre la prise en charge pour laquelle vous nous aviez été adressée. À titre personnel, je vous félicite pour l’engagement dont vous avez fait montre pendant votre thérapie, et je me permets de vous indiquer les coordonnées d’un confrère qui pourra, à Florence, vous recevoir si vous l’estimez nécessaire.

Meilleurs sentiments,

Elizabeth K.

C’était donc ça la grande idée du restaurant de pêcheurs ! Un dernier rendez-vous, pour rester sur une note positive ? Une rupture qui ne dit pas son nom ? Car pas une seule fois, si je dissèque les souvenirs de notre conversation, elle n’a mentionné cette éventualité. Je me rappelle qu’elle m’a demandé si je comptais retourner bientôt en France et j’ai éludé, comme toujours : bien sûr, un jour, mais je n’y avais plus beaucoup d’attaches. Et puis il fallait savoir tourner la page… Tous ces poncifs que j’ai mis au point et peaufinés au cours des derniers mois…

Pourquoi m’écarte-t-elle ? A-t-elle finalement appris que je suis recherchée par la police, malgré toutes les précautions de Vincent ? Ou alors elle a déduit de mes confessions dans le carnet que je suis trop corrompue, depuis trop longtemps, pour pouvoir m’en sortir et elle pense que je ne mérite pas son aide.

Pourquoi ne m’a-t-elle pas avertie en face ? Je songe à l’appeler. Je n’ose pas. De quel droit irais-je lui demander des comptes ? Elle a été mon médecin, elle a estimé que son rôle était terminé, fin de l’histoire. Sauf que je sais bien que notre relation allait au-delà de ça. Ou peut-être me le suis-je imaginé ? Il paraît que les psychiatres craignent les transferts. C’est peut-être pour cela qu’elle ne peut plus diriger ma thérapie ? Est-ce que je me suis trop attachée à elle ? Suis-je devenue trop dépendante ?

Ce courrier me laisse totalement désorientée. Les bases sur lesquelles je m'appuie se déroberont-elles, toujours, comme un sable mouvant s’efface sous les pas, m’obligeant à des efforts que le commun des marcheurs ignore, sous peine de m’enfoncer à nouveau ?

Je cache à Adelina le vide engendré par la défection d’Elizabeth, car je ne veux plus susciter son inquiétude. Sa fragilité m’est apparue avec les maladies qui l’assaillent les unes après les autres, et dont je me rends responsable, à tort ou à raison.

Au demeurant, j’ai fort à faire : je me suis engagé dans le sauvetage d’Adrian. Tous les matins à dix heures, celui-ci me téléphone depuis chez son « grandpa Raymond ». Je n’ose imaginer ce que les appels longue distance coûtent à l’aïeul, lequel se déclare heureux de pouvoir aider Adrian dans le dos de sa belle-fille. Il la déteste. J'ai cru comprendre qu’il lui reprochait d’avoir délaissé l’enfant, petit, et de s’en être débarrassé lorsque les problèmes, afférents à une éducation qu’il jugeait trop permissive, étaient survenus. Je souffre pour mon ami en liberté surveillée, soumis à des influences adverses et à qui on veut rogner les ailes que lui donne la musique... Adrian écoute mes compositions et m’ordonne les modifications. Je transcris le résultat sur des portées que je lui envoie par la Poste.

Nous avons conscience de l’absurdité du projet : un chanteur rock anglophone écrit des textes. Une pianiste classique française enregistre en Italie les arrangements sur des cassettes, assistée d’une vieille bonne. L’auteur déchiffre les partitions sur un demi-queue désaccordé avec l’aide de son grand-père... Pourtant nous faisons preuve d’une motivation sans faille, malgré les coupures de téléphone et les retards de courrier. Et surtout, nous rions de nous-mêmes, de nos deux êtres à la dérive dénués d’existence sociale, secondés chacun par son vieux, lancés à la conquête des Charts ! En un mois, nous « tenons » déjà deux chansons.

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