chapitre 25
Mon nouveau psychologue a choisi de valoriser mes aptitudes artistiques.
— Nous allons nous appuyer sur ce que vous savez, et aimez faire. Ce faisant, nous allons identifier les obstacles qui vous empêchent d’avancer au jour le jour, pour pouvoir les dépasser. C’est ma méthode. Êtes-vous d’accord sur le principe ?
Cet homme sûr de lui, énergique, rassurant, me proposait d’agir. Je ne savais pas comment. En lui répondant oui, j’ai eu l’impression d’un saut dans l’inconnu, une sensation délicieusement grisante.
Dans le même temps, Adelina m’a placée auprès d’une de ses amies, aristocrate comme elle, une camarade datant de leur internat qui a des problèmes de vue. Tous les après-midis, je lui fais la lecture et j’écris sous sa dictée de nombreuses lettres. Ma nouvelle patronne a des échanges épistolaires avec le monde entier, à l’image des esprits éclairés du XVIIIème siècle. J’enrichis ma culture et mon vocabulaire italien à son contact. En outre, je gagne un peu d’argent.
Le matin, je continue à tisser laborieusement avec Adrian la trame de ses chansons.
Sur la table que j’ai installée à côté du piano, bousculant l’ordonnancement de ce petit salon où je passe désormais beaucoup de temps, gisent des crayons, des piles de cassettes numérotées, des feuilles blanches et des brouillons, et même un délicat mouchoir brodé aux initiales d’Adelina roulé en boule que je laisse en guise d’appât destiné aux bonnes. Tant qu’il traînera, je saurai que personne ne touche à mes affaires. Je me suis battue pour empêcher que mon bureau ne soit rangé dix fois par jour.
Le docteur Nicolo Paoli m’amène à analyser mes comportements afin de les infléchir. Avec discipline, presque avec acharnement, je consigne mon emploi du temps, mes difficultés, mes sentiments, mes satisfactions… je lui fournis le bilan de chacune de mes activités. Il fait montre d’une inaltérable bonne humeur ; son optimisme, sa positivité me donnent de l’énergie. A force de m'entendre le baptiser Docteur Nicolo, il m’a proposé en riant de l’appeler par son prénom, "celui des deux qui me conviendrait". Il m’a encouragée à conférer à mes journées une organisation militaire :
Je me lève tôt, passe à la salle de bains (le martèlement infernal dans l’antique tuyauterie de plomb doit éveiller toute la maisonnée). Je mets un point d’honneur à descendre habillée, coiffée, maquillée. Je commence à ressembler à la femme dont je me souviens. Il ne m’a pas fallu grand-chose pour coller à la mode : un vieux jean d’Adelina a fait l’affaire, car les pantalons se portent maintenant très courts et serrés, et j’ai déniché un pull trop grand de Vincent dans une armoire. Avant que j’emménage, mon frère rendait régulièrement visite à Ade avec femme et enfants. Je regrette qu’il refuse de revenir à cause de moi.
Ensuite, je prends un copieux petit déjeuner à la cuisine. Au début, le maître d’hôtel s’est évertué à faire lever la cuisinière ou Mimi à tour de rôle, dans l’espoir qu’elles parviennent à me servir à la salle à manger, comme s’il n’était pas convenable que je me prépare moi-même un petit déjeuner, ni que je me nourrisse à l’office. Il a fini par abandonner. Mimi me retrouve pour nos séances d’enregistrement.
L’après-midi je me rends au travail (je me force à concevoir ces deux heures de lecture et d’écriture comme tel), puis j’enchaîne avec de longues marches. Je parcours les musées et les églises.
Je rentre pour l’apéritif et le dîner, pris très tôt, avec Ade. Mes soirées sont solitaires. Je découvre les auteurs de la bibliothèque, me passionne pour Buzzati. J’essaie d’écrire, mais mon vocabulaire erre entre deux langues, j’ai perdu le tempo et la musicalité qui confèrent la poésie aux mots. Je dessine beaucoup. Surtout des portraits, plus ou moins ressemblants, des gens de mon entourage : Mimi, Adelina, Massimo et Adrian… le docteur Paoli lui-même. Je sais qu’il manque quelqu’un à ma galerie... Elizabeth, pourtant présente en permanence à mon esprit.
En présentant mes esquisses à Paoli, je finis par évoquer mon malaise envers elle. Au lieu de se montrer curieux de notre relation, celui-ci me demande ce que je pourrais mettre en œuvre pour améliorer la situation. Elizabeth lui a certainement présenté sa version. Je reste coite. « Comment dissiper un malentendu ? » élargit-il. En se parlant bien sûr, la réponse est évidente, mais je ne m’en sens pas capable.
C'est alors que les auspices se rangent de mon côté. Les températures redeviennent douces, en dépit de l’approche de l’hiver. Adelina, qui culpabilisait d’aller passer les fêtes chez Vincent en me laissant seule à Florence, me propose d’aller « camper » toutes les deux à Cecina le week-end d’avant Noël. Je la prie d’inviter Elizabeth. Lâchement, je lui délègue aussi la tâche de lui dire que je regrette mon attitude.
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