chapitre 31

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Étienne la fixa un moment, comme si le cheminement de ses pensées avait heurté un mur.

— Oui, mais c’est que…

— Je ne veux pas être indiscrète. Si cela vous gêne, je m’abstiendrai. Je me permets parce que vous avez été si gentil de m’ouvrir votre porte et votre mémoire…

— Non, ce n’est pas ça. Anne est ici, au village, je peux vous y emmener. Et Marthe aussi, mais Évelyne, elle est loin. Il faut prendre le train, et puis le bus…

— Mon chauffeur nous y conduira. Combien de temps de route à peu près ?

— Je ne sais pas. Il faut passer Marseille, Nîmes, c’est encore après, vers Bagnols-sur-Cèze. (Étienne semblait considérer qu’elle comprenait ses indications géographiques) Et puis il faut que je leur téléphone, pour être sûr qu’ils soient là…

La décision d’Adelina faisait pleuvoir sur le pauvre Étienne un déluge de soucis plus ingérables les uns que les autres, pour un vieux monsieur enfermé dans le train-train et la nostalgie. Elle tenta de le rassurer :

— Donnez-moi juste la ville où se trouve le cimetière, nous nous débrouillerons très bien.

— Oui, bien sûr. Mais c’est qu’elle n’est pas au cimetière, ils l’ont mise au château. C’est pour ça que je dois appeler, pour que quelqu’un vous ouvre.

— Le château ?

— Oui, son château. Celui où elle habitait. Qu’elle avait acheté avec l’argent de l’héritage. Vous n’étiez pas au courant ? Le château

Etienne posa le doigt sur le dessin resté sur la table.

— Elle est dans la chapelle. Louis-Paul, voilà que son nom me revient, c’est lui, son ami il a bien voulu. Enfin, ils s’étaient mis d’accord. Il continue ce qu’elle avait commencé, les concerts, les expos, tout ça. Pour qu’elle reste un peu vivante. Laissez-moi juste téléphoner. Est-ce que vous voudriez rencontrer madame Massenet également ? Paulette… Son professeur de piano. Elle habite à Laudun, elle aussi. Une femme extraordinaire, vous verrez, elle a beaucoup travaillé avec Évelyne. Attendez, laissez-moi juste retrouver le numéro…

Au téléphone, Adelina s’entendit présenter comme « une amie d’Anne qui a connu les enfants tout petits… Qui vient d’Italie spécialement pour parler d’eux… oui, la dame qui s’occupait de Vincent… ». Elle comprit qu’on acceptait de lui ouvrir les portes du château, et que Paulette Massenet la recevrait dans l’après-midi. Étienne la laissa partir en s’excusant de ne pas entreprendre avec elle le voyage, trop fatigant.

Et de fait, le trajet au long de la côte méditerranéenne et puis de la vallée du Rhône parut interminable. Lucio avait acheté une carte Michelin dans une station-service. Adelina enrageait de ne pas avoir suffisamment préparé le terrain. Elle nageait en plein brouillard : pourquoi Vincent était-il allé récupérer sa sœur en pleine nuit alors qu’ils n’avaient plus de contact ? Pourquoi l’avoir ramenée en Italie alors qu’elle avait l’habitude d’être soignée en France ? Pourquoi était-elle considérée comme morte et enterrée par son entourage ? Qui savait la vérité ? Que lui avait-on caché ? Elle n’avait pas atteint l’âge qu’elle avait pour se faire balader ! A ce stade, elle aurait dû rentrer, convoquer directement Évelyne et lui demander de s’expliquer… ou Vincent. Mais elle détestait être placée dans des situations qu’elle ne contrôlait pas. Si elle voulait être franche envers elle-même, toute au bonheur de retrouver sa petite, elle n’avait jamais posé les questions nécessaires. Par peur de la brusquer, par crainte de ses colères aussi.

Brutalement, Lucio stoppa en plein virage, devant un panneau en forme de flèche sur lequel on lisait : « Château de Lascours, XVIème siècle ». La voiture quitta la route, s’engagea dans les ornières caillouteuses et boueuses d’un chemin et s'arrêta net face à une colline couverte de végétation. À gauche, une haie de lauriers, à droite, un ruisseau : une marche arrière s’imposait. Anticipant les fastidieuses manœuvres et prise d’une impérieuse envie de sortir, la passagère s’extirpa de la banquette. Après quelques pas hésitants, elle réussit à se dégourdir suffisamment pour se diriger d’une démarche un peu plus assurée vers la route. Soudain, une modification dans l’air, la sensation d’une pesanteur lui firent tourner la tête. Elle s’approcha d'une brèche dans les broussailles : comment avaient-ils pu passer sans le voir ? Un château gigantesque ! Le dessin qu’en avait fait Évelyne, quoique très fidèle, ne rendait pas compte des proportions de la bâtisse. Quelques secondes après, Adelina s’avançait sur un pont par-dessus des eaux brunes, entre deux piliers monumentaux, puis pénétrait dans une cour par un énorme portail qui bâillait.

Elle sourit. Elle n’aurait imaginé Évelyne dans aucun autre lieu qu’ici, c’était comme si son odeur y était imprégnée, comme si son âme y planait encore. Cependant, ce fut une grande femme mince d’une quarantaine d’années aux cheveux courts très noirs qui surgit du rez-de-chaussée pour lui demander sèchement :

— Bonjour, je peux vous aider ?

— Adelina Sanpierri. Bonjour. Étienne vous a téléphoné tout à l’heure…

Un homme, jusque là dissimulé, s’avança :

— Nous vous attendions, soyez la bienvenue. Nous aurions bien sûr souhaité faire votre connaissance dans des circonstances moins tragiques.

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