chapitre 37
Adelina n’était plus à Cecina, où tous ses employés s’affairaient effectivement à préparer la saison d’été, mais à Rome où elle avait rejoint Marco. Ils étaient attablés dans l’un des meilleurs restaurants de la capitale. Après le baisemain de rigueur, Marco lui avait avancé sa chaise, repoussant le maître d’hôtel. Il en était immédiatement venu au sujet qui la préoccupait.
— Ton argent ne sera pas mal investi avec ce repas, Adelina. Le docteur, celui qui a constaté le décès, n’a pas été long à se mettre à table. Il jure ses grands dieux être rongé par le remord, parce qu’il n’a pas seulement fait un faux portant sur le nom de la victime, il a aussi caché qu’elle était morte d’un coup sur la tête qui lui a fait éclater le front. Je préfère te le dire avant qu’on ait commencé le repas. Quelqu’un a pris grand soin d’effacer les traces de sang et de déplacer le corps, mais la gamine, elle a bel et bien été fracassée. Il est formel. Et il s’y connaît parce que c’est lui le légiste que les gendarmes appellent sur les scènes de crime. Oui, je sais, c’est une situation totalement improbable, paradoxale je dirais, du coup personne n’a douté quand il a conclu à une overdose. Par contre, il ne peut pas dire si elle était consciente ou pas quand on l’a frappée. Il a pensé que c’était ton Évelyne qui l’avait estourbie, c’est ce que lui ont dit les deux autres, les… Quenaille, merci Comtesse, c’est ça, quel nom ! Ils le tiennent avec du chantage sur sa vie privée. Et il se dit qu’il n’a pas intérêt à parler puisque de toute façon la gosse est morte et qu'Évelyne doit vivre tranquille quelque part.
Ils réfléchirent un moment à une solution qui réhabiliterait Évelyne, mais les Quenaille s’étaient bien couverts. De leur côté, tout était en ordre : même si le docteur témoignait, ce serait en dernier recours la parole d’une fuyarde junkie contre la leur.
— Et si on modifiait son identité ? C’est l’idée d’Elizabeth. Est-ce que tu crois que ce serait possible ?
— Oui. Sur un seul mot de toi, je m’en occuperai, ma Reine. Mais tu n’avais jamais nagé dans les eaux troubles où frayait ton défunt mari, tu es sûre que tu veux faire cela pour cette fille que tu connais depuis un an à peine ?
— J’ai mes raisons… Que je n’ai pas à te fournir.
— D’accord, d’accord. Si c’est ce que tu veux, je connais quelqu’un qui m’arrangera le coup. Ça te coûtera une somme considérable mais c’est faisable. Le plus sûr est de dupliquer l’acte de naissance.
— Comment cela ?
— Une autre personne, identique, sauf le prénom… Deux bébés Rugani. L’une de ces jumelles est décédée, l’autre non. On lui sort des papiers, permis de conduire, passeport, diplômes... Tu me diras ce dont vous avez besoin. C’est assez sûr, elle devrait être tranquille. A condition qu’elle ne trucide plus personne, évidemment.
Familière de ses traits d’esprit, Adelina lui pardonna son ironie piquante. Ce à quoi elle ne s'attendait pas en revanche intervint à la fin du repas. Soudain, Marco s’effondra à ses pieds :
— Adelina, pour la troisième fois, veux-tu m’épouser ?
Elle se trouva affreusement gênée de la démonstration théâtrale en public. La précédente datait de son deuil et la première, de leur jeunesse…
— Relève-toi, enfin, Marco, tu es ridicule.
Mais face à son sourire faussement réprobateur, il s’enhardit et se hissa vers son oreille :
— Une petite place dans ton lit comme autrefois, au moins ? Non ? Encore raté ? Et bien, je réessayerai dans vingt ans, c’est un bon rythme ; tu finiras par dire oui.
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