Jour 4
Un crime insolite, c’est un défi. Une série de crimes, c’est un problème. Mais une suite de crimes très rapprochés, c’est un véritable casse-tête : en temps normal, les policiers ont besoin de temps pour obtenir les résultats des analyses scientifiques, les rapports d’autopsie, pratiquer des recoupements, faire appel à des experts et établir un profil psychologique. Ce travail de fourmi qui nécessite de la patience et de la rigueur est compliqué par le fameux “tryptique des emmerdements”, comme disent les policiers entre eux : les médias, toujours à l’affût de sensationnel, toujours dans leurs pattes ; la population, victime du fameux syndrome d’attirance et de répulsion envers tout ce qui a trait à la mort ; et les politiques, qui veulent des résultats rapides.
Dans cette enquête, la maîtrise du temps échappait complètement aux "fins limiers". Le meurtrier insatiable imposait le rythme, menait la danse. Trois, en trois jours. La fréquence des crimes devenait oppressante : ils n’avaient pas fini d’analyser une scène qu’une autre tombait sur leurs bras.
Toutes les équipes étaient mobilisées, pressées par l'enjeu. Les nerfs étaient à vif. Le meurtrier jouait avec eux comme un chat avec une souris.
Les policiers se demandaient pourquoi le tueur avait choisi Plantin comme interlocuteur, alors que ce n’était qu’un simple inspecteur de police banal et peu charismatique, bien loin des cadors du 36 Quai des Orfèvres. Ils s’interrogeaient sur la signification des déclarations lors des appels anonymes, sur le sens caché des scènes de crimes, sur le profil psychologique du tueur. Les meilleurs experts avaient été mis sur le coup pour dresser le portrait de ce génie du mal, mais ils s'arrachaient les cheveux. D’autres avaient tout tenté pour localiser les appels, mais l’assassin était d’une prudence extrême — il allait jusqu’à brûler les cartes téléphoniques prépayées aussitôt son appel passé. Il était impossible de le tracer, ils en venaient à se demander s'il existait vraiment, s'ils avaient affaire à un fantôme. Ils échaffaudaient des théories auxquelles eux-mêmes ne croyaient pas. Malheureusement pour eux, les crimes étaient bien réels.
L’enquête piétinait déjà, et on leur demandait des comptes.
Le quatrième jour, l'inspecteur Plantin attendait l’appel qui allait lui rendre la journée insupportable. Il avait très mal dormi, de profonds cernes couraient sous ses yeux épuisés par les nuits blanches.
« Bonjour commissaire ! », fit le tueur d’une voix enjouée. Puis il reprit :
« Je pense qu’un peu d’air vous fera du bien. Rendez-vous dans le parc Josaphat derrière le buisson de sorbiaire, dans le coin sud. Les végétaux nous accompagnent tout au long de notre vie : on mange des légumes et des fruits, on s’offre des fleurs, on cultive notre jardin. Mais ils nous poursuivent aussi dans l’au-delà quand on se retrouve dans une boîte en sapin, à manger des pissenlits par la racine, tandis qu’au-dessus, des proches posent des fleurs sur la tombe. »
Plantin aimait le jardinage, c'était son deuxième passe-temps après la pêche à la mouche. Il avait d’ailleurs, dans son jardin, un buisson de sorbiaire. "Est-ce une coïncidence ?" se demanda-t-il. Mais sa réflexion n'allait jamais bien loin, et il tourna vite en rond. Dans sa tête, tout était brouillé comme les œufs qu'il aime prendre au petit-déjeuner.
L'inspecteur se rendit dans le parc à l’endroit indiqué. Il reconnut l’arbrisseau, semblable à celui qu’il entretenait chez lui. Il le contourna, et fut assailli par une nouvelle vision qui le glaça. Une femme, encore, allongée sur la pelouse. Son ventre complètement évidé et rempli de terreau. Des radis et des fleurs poussaient à l’intérieur, composant un petit potager pour le moins original — l'assassin dévoilait sa part de sensibilité dans cette composition florale.
Un employé du parc s’approcha des agents pour leur demander ce qu’ils faisaient ici. Il prit un air horrifié lorsque les policiers lui présentèrent la victime. Il l'affirma, le corps n’était pas là la veille, et il n’avait rien vu de suspect. Plantin lui posa quelques questions succinctes, puis, ayant fini, le laissa partir sans même songer à prendre son identité. Une énigme de plus pour l’inspecteur complètement dérouté qui ne pouvait même pas compter sur le flair légendaire des bons flics. Il retourna à son QG la tête basse, plus perdu que jamais, prêt à se faire enguirlander par sa hiérarchie.
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