Trop près...
"Mais non, vous embêtez pas, je vais rentrer en bus ! Profitez de vos invités !"
Mais quelle idiote je suis... Tout ça parce que je ne veux pas déranger. En même temps, je ne voyais pas dire à ma pote que oui ce serait cool qu'elle me ramène chez moi et qu'elle ignore ses invités juste pour mon confort. Avec du recul, je me dis que j'aurais peut-être dû.
J'ai réussi à chopper le dernier bus, celui de minuit onze, in extremis. Le chauffeur me calcule à peine, je valide mon ticket et je prends le luxe de choisir ma place. J'ai l'embarras du choix, le bus est vide. Allez, je m'autorise un double siège. Un pour moi, et l'autre pour mon petit sac. Je sais que j'en ai pour une vingtaine de minutes de trajet, et je pose ma tête contre la vitre refroidie par l'hiver mordant dehors.
Le bus vrombit - c'est relaxant - et zappe les arrêts qui sont vides. Je vais arriver plus tôt que prévu chez moi. C'est très bien, je n'ai qu'une envie : être au chaud dans mon lit avec une petite tisane et mon chat qui ronronne à mes côtés. L'idée me fait frémir de plaisir et je me tortille en souriant.
Une secousse me fait sortir de mes pensées. Le bus vient de s'arrêter et j'entends la porte avant s'ouvrir. Un homme entre. Il est grand, bien solide. Le genre de gars qui peut t'intimider juste en respirant. Il salue le chauffeur - ils ont l'air de se connaître. Les deux gaillards discutent un peu et je retourne dans mes pensées.
Au bout de quelques secondes, le bus repart, les voix se taisent, et j'entends juste des pas lourds : le passager se dirige vers les sièges. Rien d'anormal. Je ne le regarde pas, les yeux rivés sur le paysage nocture et gelé qui défile à l'extérieur. Mais ma vision périphérique m'alerte. Le grand mec baraqué s'approche.
L'angoisse me fait fermer les yeux quand je le sens s'assoir juste à côté de moi, écrasant à moitié mon sac avec ses grosses cuisses.
Putain, le bus est vide, mec.
Mon coeur a déjà commencé à s'affoler, de peur mais aussi de colère. Je n'ose même pas tirer sur mon sac et je reste immobile, pensant naïvement qu'il va m'oublier. Si je bouge, il va s'interesser un peu trop à moi, je le sens. Je me sens en danger. Putain. Je lève discrètement les yeux vers le l'avant du bus. Au pire, si quelque chose arrive, je n'ai qu'à crier pour alerter le chauffeur... le chauffeur qui a l'air d'être super pote avec mon nouveau compagnon de voyage. Putaiiiin. J'essaye de contôler ma respiration. Mais j'ai peur. J'ai pas envie de me faire emmerder, tripoter... ou pire.
Des secondes puis des minutes passent. Elles sont longues. Je compte les arrêts restants. Ca avance trop lentement. Le gars est silencieux mais sa présence est écrasante. Ceci dit, il n'a pas bougé d'un pouce. Peut-être que je me fais des idées. Je me répète qu'il est sûrement très gentil, pour me rassurer et tenter de me calmer. Oui, c'est sans doute un père de famille qui sort du travail, et qui est tellement fatigué qu'il n'a pas remarqué la jeune femme à quelques centimètres d'elle.
Je le sens bouger et mon coeur saute dans ma poitrine. Mais il ne se passe rien. Il s'est juste décalé un peu pour libérer mon sac. J'attrape la lanière et prends mon bien avant de le poser sur mes genoux. J'esquisse le plus petit des hochements de tête de politesse pour signifier ma gratitude puis me colle de nouveau à la fenêtre. Je commence à me calmer. Tout va bien aller, je suis en train de me faire un film. Je sors dans deux arrêts et dans quelques minutes, je serai dans mon lit avec ma tisane et mon chat. L'idée me fait sourire de soulagement et j'expire lentement.
Mon sourire disparaît au moment où je sens la main de mon voisin se poser sur ma cuisse.
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