Chapitre 3 : Dangereuse.

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Les roulettes du charriot matinal du room service s’entendaient à peine dans le couloir de l’hôtel. Dans un superbe peignoir vert d’eau, Marry ouvrit en toute légèreté à l’élégant employé doté d’un petit couvre chef rouge qui vint toquer à sa porte. En le saluant, elle recoiffa sa chevelure défaite d’un geste fatigué. La nuit, bien que peu reposante, avait été bonne.

  • Voici votre petit-déjeuner, Madame Stein, débuta-t-il en courbant l’échine, puis en s’apprêtant à pousser le chariot dans la suite.
  • Ne vous inquiétez pas. Je m’en occupe, le coupa-t-elle en s’en saisissant.
  • Très bien… répondit ce dernier, surpris, tout en évitant galamment de plonger un œil dans son décolleté qui s’ouvrait à cause de la douceur du tissu. Je vous souhaite un bon appétit. Si vous avez d’autres requêtes, nous restons à votre disposition.

Quand l’homme fit demi-tour pour reprendre de son service, Marry l’observa s’éloigner en se penchant légèrement depuis l’entre-porte. Une fois certaine d’être seule, elle s’empara du charriot et l’amena à sa chambre.

Dos à la porte, elle tourna directement la tête et leva un sourcil. Simplement vêtu du pantalon noir de la veille où se jetait sa musculature en “v”, Chuck lui répondit par le même. Un sourire coquin aux bouts des lèvres, il déposa une main sur son ventre nu. Ce dernier gargouillait. Il contourna la belle blonde, feignant d'ignorer sa présence et piqua la viennoiserie la plus sucrée qu’il trouva sur le plateau repas.

  • Huuuum, je ne m’en lasserais jamais, s’extasia-t-il en se laissant tomber au bord de l’immense lit. De ça, précisa-t-il d’un ton amusé en prenant une autre bouchée de la viennoiserie.

Toujours plantée à l’entrée de la suite, Marry prit le temps de le détailler : une main aplatie en arrière contre le matelas, Chuck gardait les jambes écartées tandis qu’il dégustait son petit-déjeuner. Les cheveux qui tombaient devant ses yeux, habituellement relevé, lui fit gagner quelques années. Elle apprécia que la façade tombée durant cette nuit mouvementée se poursuive une fois le matin levé. Marry était la seule à lui connaître ce naturel.

Après s’être emparée d’un croissant fourré, joueuse, elle s’approcha, gagnant immédiatement l’attention de Chuck. Quand d’un geste subtil, elle détacha la lanière de son peignoir, il ne se priva pas une seconde d’admirer son corps de rêve. Il retraçait ses courbes emballées dans un superbe ensemble noir d’un regard avide et se replaça doucement quand elle vint le prendre à califourchon. La main sur sa taille, l’autre sur sa fesse, serrés l’un contre l’autre, il profitait de sa chevelure dorée qui lui chatouillait le torse et de l’odeur du croissant qui faisait de même sous son nez :

  • Puis-je ? demanda-t-il en ouvrant la bouche, réclamant un morceau.
  • Tu n’as vraiment pas changé sur certains points, gloussa-t-elle en lui donnant la bectée. Qui croirait qu’un homme de ton envergure puisse autant aimer le sucré ?
  • Ça et bien d’autres douceurs, dit-il en se léchant les lèvres avant de les déposer sur le galbe de son sein. Mais ça signifie, enchaîna-t-il en relevant ses yeux dans les siens qui le regardaient de haut, que tu sous-entends que j’ai changé sur d’autres points ?

Marry trémoussa son nez, essayant de se retenir de sourire.

  • Tu es… devenu un homme, le glorifia-t-elle d’un regard séducteur, passant ses mains sur les muscles de son torse avant de descendre un peu plus bas.
  • Le petit-déjeuner, l’arrêta-t-il en attrapant son poignet, est déposé là-bas, très chère, déclara-t-il en pointant le chariot.
  • Pfff, pouffa-t-elle en passant ses deux bras au-dessus de ses épaules pour les joindre dans sa nuque. Chuck Ibiss… prononça-t-elle avec fierté.
  • C’est bien moi, répondit-il, les yeux plein d’amour.
  • Comme tu as bien grandi…

Elle se perdit dans son regard, se remémorant leur jeunesse. En beauté, Marry et Chuck avaient bravé tous les interdits, mais ils étaient également restés très liés par la rivalité après leur rupture. Sans cette compétition qui leur aura permis de veiller de loin sur l’autre, l’amour aurait-il survécu ?

Pleine de nostalgie, le cœur serré, elle se revoyait plus jeune, âgée de vingt-quatre ans précisément, reprendre les couloirs de Saint-Clair après l’heure des cours :

  • Vous savez, j’ai longtemps pensé… Non, ce n’est pas ça. Excusez-moi, je m’embrouille, avait-elle dit, jouant de ses ongles sur le bureau.
  • Pas de soucis, je vous laisse le temps d’organiser vos idées, lui répondit Madame Karen.

La psychologue avait peu changé, ayant hérité d’à peine quelques rides liées à la quarantaine. Sa tignasse brune accrochée en arrière par une pince, elle attendait patiemment que son ancienne patiente formule une réponse à sa question : “Comment envisagez-vous l’amour aujourd’hui vis-à-vis des propos que vous aviez pu tenir à l’époque sur Chuck ?”

Si quelque chose était différent, ce fut qu’elle la vouvoyait. Mal à l’aise la première fois qu’elle était retournée la voir après la mort d’Alicia, Marry s’y était habituée. Elle était une Richess après tout.

Sérieuse, elle releva ses yeux émeraude dans ceux de Madame Karen, eux doux et attentifs :

  • En fait, poursuivit-elle la gorgée serrée, je ne pensais pas que je m’entendrai réellement avec William. Il manquait trop de passion à mon goût, mais… Après la naissance d’Alex, lorsque nous avons emménagé dans notre maison… Je suis beaucoup partie en voyage. À chaque fois que je rentrais, il m’a toujours bien accueillie. Nous passons de merveilleux moments ensemble, alors… J’ai parfois pensé que… - elle resserra ses sourcils - … ce que je ressentais pour Chuck pouvait… s’en aller ? Mais même maintenant ! s’emballa-t-elle soudainement, ses pupilles se rétrécissant. Le simple fait d’avoir cette pensée, j’en ai la chair de poule ! J’ai l’impression de le tromper… abaissa-t-elle la tête tout en se grattant les bords de ses pouces.
  • Ce n’est pourtant pas lui… Votre mari, formula Madame Karen.

Longuement, Marry garda le regard rivé sur ses genoux.

  • J’ai longtemps eu peur que mon amour pour lui s’envole… souffla-t-elle d’une minuscule voix, sauf que… C’est impossible, déclara-t-elle en refermant un de ses poings. Tous ces moments avec William, j’ai l’impression qu’ils ont existé pour me soulager, avoua-t-elle durement. Je le cherche. Constamment. La vérité, c’est que je n’arrive pas à me détacher de Chuck ! s’exclama-t-elle, les joues rouges de honte. Je suis une femme, une Richess, j’ai une famille, des responsabilités, et il suffit d’une image, de croiser son regard à la télévision pour que… Il m’appelle. Il me cherche. Je le sais… et ça me torture tout autant que j’adore ça. Parfois, il m’arrive même de penser qu’il serait plus facile de ne plus l’aimer. C’est tellement douloureux. Madame, je vous assure que…
  • Quoi donc ? lui demanda-t-elle après qu’elle se soit enfermée dans le silence, les mots bloqués au fond de sa gorge.
  • Aimer de cette manière… C’est profondément dangereux.

Boucle d’or cligna des yeux quand Chuck passa une main sur sa cuisse. Il la regardait d’un air énigmatique :

  • À quoi penses-tu ? lui demanda-t-il, pour une fois, sans une once d’ironie dans sa voix.

Comme une gamine, son cœur s’affola dans sa poitrine. Le soupir qu’elle lâcha rendit son amant encore plus attentif. Il glissa sa main dans la sienne et observa tristement l’expression douloureuse qui se formait sur son visage. Marry se fit violence, de longs tiraillements la prenant dans le ventre et le torse, en mettant sa fierté de côté :

  • Au fait que… Je t’aime.

Elle vit des petites lumières s’illuminer dans les yeux de Chuck. L’instant d’après, elle se retrouva allongée sur le lit, ses doigts toujours coincés avec les siens. Un air grave se dessinait sur son visage :

  • Je pensais que tu regrettais.
  • Comment je… s’insurgea-t-elle en essayant de se relever.
  • Redis-le.

Son poids lourd la paralysait autant que son ventre qui se tordait encore après toutes ces années. Marry se sentit rougir. Chuck pouffa.

  • Qui croirait qu’une femme de ton envergure puisse être aussi mignonne au lit ?
  • Pourquoi toi, tu ne le dis pas… ? lui renvoya-t-elle, vengeuse.
  • Je te le dirais tout les jours, du moment que tu l’assumes...

Tiraillée, elle dévia d’abord la tête, puis prit son courage à deux mains :

  • Je t’aime.

L’écho de ces mêmes mots prononcés dans son oreille l’emmenèrent au paradis. Serrée dans ses bras, elle en profita pour lui souffler ses inquiétudes :

  • Et maintenant ? Que fait-on ?
  • On trouvera bien une solution.

***

Depuis des mois, la même phrase avait tourné dans la tête de Kimi.

Face à la demeure des Ibiss, Dossan à ses côtés, elle pensa enfin avoir trouvé la solution à ses problèmes. Quand ce dernier fit un pas dans l’allée principale, elle l’arrêta d’une voix sèche :

  • Non.... - Elle n’arrivait pas à lui parler autrement -... Je veux dire, regretta-t-elle son attitude. Je préférerais y aller seule.

Dossan, au pied du mur, se voyait mal lui refuser cette requête, tout comme il souhaitait rester à ses côtés pour ce moment particulier.

  • Je vais le saluer, ainsi que Laure… répondit-il en y joignant un mouvement de tête qui montra la jeune Richess ouvrir la porte massive, habillée d’une jolie petite robe d’été.

Son immense sourire leur parvint, ravie d’accueillir pour la première fois sa meilleure amie dans sa maison. En hâte, elle alla à la rencontre de Kimi et l’attrapa dans ses bras. Elle sentit immédiatement le malaise de la blonde, mais préféra ne pas le relever face à Dossan. Tout en la traînant par la main, elle les invita tous deux à rentrer, empêchant les employés de maison de faire leur boulot. Un doux fond de musique trônait tandis qu’elle les fit monter à l’étage. Kimi tomba de mille marches en découvrant peu à peu l’intérieur luxueux.

Pour Laure Ibiss, il s’agissait d’un jour particulier. Elle n’avait jamais eu la chance d’inviter des copines, la plupart du temps gênée par le comportement de ses parents. De bonne humeur, elle joua son rôle d’hôte à merveille :

  • Voici le bureau de mon père, annonça-t-elle en déposant sa main sur une clenche d’époque. Papa ? Dossan et Kimi sont arrivés, dit-elle en ouvrant la porte aux vitraux troubles.

Ce dernier, assis à son bureau, dans une tenue classe, mais confortable pour la maison, se retourna vivement. Il se leva tout de suite lorsque les invités entrèrent derrière sa fille.

  • Laure, je pensais t’avoir demandé de me prévenir quand… Ce n’est rien, se reprit-il en voyant son visage se fermer avant d’écarter des dossiers confidentiels.
  • Comment tu vas ? lui demanda Dossan en lui tendant sa main. J’espère qu’on ne te dérange pas trop…
  • Bien sûr que non, lui répondit-il en l’attrapant par la nuque pour le câliner ouvertement sous les yeux de leurs deux filles.

L’expression de Laure se déforma quelque peu. La complicité qu’elle découvrit pour la première fois entre leurs pères lui fit un peu mal au cœur. Elle ne le montra qu’un court instant. Quand Chuck salua Kimi, il la trouva bien moins joyeuse qu’à la rentrée scolaire qu’il avait animée. Il vit tout de suite à son regard qu’elle ne souhaitait pas traîner, si bien qu'il attrapa au pied de son bureau, une belle boîte en carton décoré et la présenta dessus :

  • Bien. C'est ceci qui t'intéresse, dit-il en ouvrant délicatement le couvercle comme pour ne pas la brusquer.

Kimi s'approcha gravement de la boîte pour y glisser un œil, puis déposa ses deux mains dessus. Les souvenirs qu'elle n'avait jamais découverts de sa mère y résidaient. Son pouls s'accéléra, la tête basse sur les premiers albums.

Dossan eut de la peine en la voyant se mordiller les lèvres compulsivement.

  • Tu… préfère être seule ? lui demanda celui-ci, bien qu'il se doutait déjà de la réponse.
  • Oui.

À sa réponse, Laure se plaça à ses côtés et attrapa son épaule pour la soutenir tandis que les deux hommes se préparaient à quitter la pièce. Son manque de réaction lui fit hausser les deux sourcils. Elle aurait pensé qu’être seule ne la concernait pas.

Avant de quitter le bureau, la boule au ventre et incapable d’attraper les photos, Kimi interpella Chuck :

  • Monsieur Ibiss.
  • Oui ? se retourna-t-il à la porte.

Elle chercha ses mots, toujours le regard fixé sur le carton.

  • Est-ce qu'il y a… des photos de mon père ?

Chuck se tourna vers Dossan qui était déjà dans le couloir avant de penser à Louis.

  • Oui. Il y en a, oui, acquiesça-t-il.
  • … Alors… Vous pouvez rester… et me montrer les photos où... il n’est pas ?

À nouveau, un peu perturbé, surtout par le ton dur de sa voix, Chuck prit connaissance de l'avis de son ami avant de s'avancer. Ce dernier lui lança un léger sourire embêté, mais Dossan n’était pas contre. Il ferma alors les paupières un instant avant de la rejoindre dans le bureau. Lorsque la porte se ferma sur leurs nez, Laure se retrouva bête, mais surtout outrée. Pourquoi son père pouvait-il rester alors qu'elle n’en avait pas le droit ? Sur le coup, elle ne comprit pas sa copine. Cela manquait de logique.

Seuls dans le bureau, Chuck garda la tête haute malgré le fait qu'il s'apprêtait à fouiller à nouveau ses photos, mais cette fois en présence de la fille d'Alicia. À la voir, la nuque courbée, ses longs cheveux blonds pendant devant son visage, il aurait pu croire que c'était sa défunte amie. Elle lui ressemblait.

  • Es-tu prête ? demanda-t-il par politesse, conscient de la difficulté que pouvait lui procurer ce moment.

Elle n'avait peut-être pas au fond l'envie de déballer ces photos toute seule. Avec un inconnu, la tâche semblait peut-être plus aisée. Il s'empara du premier album qu'il ouvrit dans ses mains et tomba directement, comme il s'en était douté, sur un cliché d'Alicia et Louis. Sans rien dire, il la sortit de la pochette en plastique et s'apprêta à la mettre sur le côté quand Kimi s'en saisit. Chuck fut troublé :

  • Celle-ci, c'est…

D'un air lugubre, Kimi détailla l'image, puis la déposa sur le bureau, juste en dessous de son visage. Machinalement, Chuck lui tendit alors l'ensemble des photos, croyant qu'elle arrivait peut-être à passer ce cap, mais elle ne s'en occupa en réalité que très peu. Rarement mal à l'aise, il ne comprenait pas son étrange silence.

Kimi se décida à parler après un temps :

  • Finalement, je crois que je les regarderai chez moi, annonça-t-elle d'un ton décidé, mais maladroit.
  • Oh, je… vois… Je comprends. Dans ce cas, je préfère faire une copie avant de les...

Chuck tilta enfin, une intuition grandissant subitement en lui.

Il réfléchit. Elle aurait très bien pu réclamer les originaux sans venir chez lui.

Son silence. Son étrange comportement et la nervosité qui se dégageait d'elle. En pleine réflexion, Chuck la détailla davantage. Kimi chipotait aux photos, jouant avec les coins. Elle avait les lèvres entrouvertes et son corps basculait légèrement en avant, comme si elle essayait de rassembler son courage pour dire quelque chose. Chuck la devança.

  • Pourquoi… récupéra-t-il son attention tout en plissant les yeux et en levant le menton, ai-je l'impression que tu n'es pas venue ici seulement pour ces photos ?

Ses doigts s'arrêtèrent de gigoter.

Kimi ressemblait à sa mère. Seulement, quand elle releva son visage baissé jusqu’ici pour remonter ses yeux bleus sombres et déterminés dans ceux de Chuck, son sang se glaça. Elle avait l'air bien plus dangereuse.

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