Chapitre 6 : Par amour.

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De son temps d’adolescente, Eglantine n’avait jamais eu peur de donner naissance. Soumise à des lois désuètes, elle avait trouvé dans cet acte miraculeux une vraie vocation. L’idée de devenir mère lui plaisait plus que tout. Aux côtés d’un homme qu’elle n’aimait pas, elle se sentait capable de tout surmonter, rien que par le fait d’imaginer son futur bébé dans ses bras. C’était l’espoir dont elle avait besoin, la petite étincelle qui lui permettrait de tenir face à ses parents trop sévères, ce qui lui permettrait de tenir le coup dans le futur.

À cette même époque, Madame Karen avait été bluffée de découvrir son courage en tant que jeune fille forcée d’enfanter. Ses propos sur l’accouchement l’avaient même émue :

  • Je mentirais si je disais que je n’ai pas un peu peur, gloussa-t-elle en déposant ses mains sur son gros ventre, mais je suis impatiente. Peut-être que je me trompe et que je changerais d’avis en le portant dans mes bras le mois prochain, mais je l’aime déjà de tout mon cœur, avoua-t-elle en se dotant d’un sourire tendre. Vous savez, fit-elle en prenant du recul, presque émue, ce petit garçon dans mon ventre, après autant de souffrances, je me dis que c’est ce qui pouvait m’arriver de mieux. Même s’il est né de ces lois grotesques, il n’en est pas la cause. Alors, même si je regrette de ne pas pouvoir faire ma vie avec Michael, je l’ai au moins lui. Et je le traiterai avec respect, je serai une bonne mère pour mon enfant, affirma-t-elle les larmes aux yeux.

Toutes les deux entretenaient une relation très profonde et réciproquement de confiance. Il en était né de belles conversations. Lors de leurs séances, elles avaient eu le temps de discuter en long, et en aussi large que le ventre d’Eglantine lors de sa grossesse, des craintes liées à la venue de son futur fils.

  • Quand tu parles d’être une bonne mère... Qu’est-ce que ça signifie pour toi, exactement ? J’ai l’impression que c’est quelque chose qui te tient très à cœur, je me trompe ?

Avant de répondre, Eglantine avait fermé les paupières pour se recueillir dans ses pensées. La maturité qu’elle avait acquise depuis qu’elle était tombée enceinte avait grandement étonné la psychologue. La petite fleur fragile s’était transformée, déjà pleinement investie envers l’enfant qui dormait encore dans son ventre.

  • Ça compte, car je refuse qu’il ait une mauvaise éducation. Vous allez me dire, c’est aussi ce que pensaient mes parents, mais… Mon fils, oui, je veux le pousser au meilleur, mais dans de bonnes conditions. J’ai déjà foi en lui, en ce qu’il sera capable de faire si je l’accompagne. Contrairement à ce que j’ai pu vivre, je ne souhaite pas faire de lui… Une espèce de machine à étudier. J’estime qu’il aura le droit de se tromper, de faire des erreurs et d’en apprendre de belles leçons. Je veux que nous soyons des compagnons de vie, annonça-t-elle avec émerveillement, que nous nous entendions bien et que nous soyons honnêtes l’un envers l’autre, le plus possible. Voilà, conclut-elle après un temps de réflexion supplémentaire, en fait, ce qui me tient le plus à cœur, c’est de ne pas lui mentir…

***

La fraîcheur du gant de toilette sur son visage donna un second souffle à Loyd qui mourait de chaud. Il passait les deux dernières semaines des vacances d’été dans une des propriétés de son père située en Grèce. La villa s’étendait dans les hauteurs, offrant une vue magnifique sur la mer brillante sous le soleil. Les chaleurs grimpantes à Santorin avaient poussé Loyd à se ruer sous la douche dès la rentrée de leur rare balade en famille. Entre quelques contrats, Jona Akitorishi prenait le temps de se joindre à sa femme et son fils pour déguster des bons plats traditionnels. Si Eglantine dégustait des mets en repoussant la majorité de son travail, son mari voyageait bien pour le business.

De cette manière, Loyd avait déjà visité de nombreux pays, mais peu importe où il se trouvait dans le monde, le constat restait le même : il n’y avait rien de plus bon que l’eau froide coulant le long de son corps après avoir fait un tour sous le soleil tapant. Sous le filet clair qui le caressait, il profitait de cet instant de détente, la figure rivée sous le jet d’eau qu’il attrapait continuellement dans sa bouche. Il passa son gant par pression sur chacun de ses membres, épuisé d’une longue journée de visite, puis il attrapa celui entre ses jambes. Celui-ci, au contraire, était loin d’être fatigué, fougueux sans Laure à ses côtés. Il plaça la paume de son autre main sur la vitre pour prendre appui. L’autre travailla sans peine jusqu’à le rendre bouillant.

Quand il sortit, les joues encore plus rouges qu’à son entrée, mais soulagé, il apprécia l’air qui se faufilait dans la salle de bain spacieuse. Tout en laissant pendre sa serviette sur son épaule de manière à ce qu’elle cache tout l’avant de son corps, Loyd vérifia son téléphone. Un sourire grandit sur ses lèvres en voyant l’appel manqué de Laure. Il lui fallut une seconde pour la rappeler :

  • Hello, mon bébé. Je pensais justement à toi, l’accueillit-il d’une voix enjôleuse depuis l’autre bout du fil. Ça ne va pas ? sortit-il immédiatement de la drague quand il entendit sa voix remontée, alors qu’il passait sa serviette dans ses cheveux blancs.

La chevelure ébouriffée, il l’écouta attentivement, perdant son sourire au fil de ses explications.

***

Loyd respectait son père, mais il avait toujours été plus proche de sa maman. Avec le premier, il parlait de l’école, de ses projets futurs et de tant d’autres choses qui ne touchaient pas à l’affectif alors qu’avec Eglantine, ils partageaient un lien très spécial. Ils se soutenaient en tout. Quand son paternel ne pouvait l’accompagner lors d’événements spéciaux, il devenait immédiatement son bras droit. D’ailleurs, cette place, au fil du temps, n’était plus que devenue la sienne.

Sous l’arcade en pierre de leur maison de vacances, dans une tenue légère, Loyd embrassa son père qui partait pour un dîner d’affaire. Ce dernier lui dit au revoir, également dans un costume adapté à la chaleur, en attrapant doucement l’arrière de sa tête pour lui souhaiter une bonne soirée :

  • Loyd, je voulais te dire… décida-t-il d’enchaîner, coupable de partir loin de son fils même en vacances. Bon, j’imagine que tu préfères te reposer, mais rien ne t’empêche de m’accompagner aux prochains dîners si tu le souhaites. C’est aussi une manière d’en apprendre plus sur nos affaires…

Il n’aurait pas été contre de partir en sa compagnie afin de se rapprocher davantage de ce père si différent de lui. En effet, d’origine Islandaise, plus massif et blond de cheveux mi-long, Loyd avait plutôt hérité des traits élégants et sveltes de sa mère. Quand cette dernière arriva dans une longue robe azur, il la prit d’ailleurs pour excuse :

  • C’est une bonne idée, mais ce soir, je reste avec maman. Bonne chance pour ton contrat, papa, lui répondit-il en attrapant son avant-bras pour l’encourager.
  • Ne sois pas trop requin, ajouta Eglantine qui lui accorda un petit baiser avant que ce dernier s’en aille dans une belle voiture. Est-ce que toi aussi tu as une petite faim ? lâcha-t-elle une fois son mari parti, surprise par les gargouillis de son ventre. Après le repas de ce midi, je ne pensais rien pouvoir avaler de plus…

Tout en écoutant sa mère, Loyd la suivit jusqu’au salon principal qui s’étendait en une pièce avec la cuisine. Le plafond était plutôt bas. Un carrelage marron clair ornait le sol où s’étendait plusieurs canapés bleus rois. Les murs en pierres blanches apportaient un côté traditionnel à la jolie villa. La tête enfouie dans le frigo, Eglantine cessa toute activité en découvrant son fils, planté devant le plan de travail, scrutant l’ivoire d’un air préoccupé. Elle déposa le plat de salade qu’elle tenait entre ses deux mains sur l’îlot devant elle d’un air incertain. Une petite inquiétude la gagna, parce que Loyd restait silencieux malgré le fait qu’elle lui montrait de l’attention. Quand les yeux bleus qu’elle lui avait donnés se plantèrent dans les siens, ses instincts de maman s’alarmèrent :

  • Chéri… ? Ça ne va pas ? demanda-t-elle en appuyant tous les bouts de ses doigts sur le plan de travail, concernée par son état.

De côté, il glissa sa main dans sa poche en même temps qu’il baissa à nouveau sa nuque. Il réfléchit un instant en pinçant ses lèvres, puis sortit son téléphone dont il tapa le code.

  • Je ne sais pas… répondit-il en s’approchant de sa mère, le plan de travail au milieu de la cuisine les séparant. À toi de voir, ajouta-t-il en y faisant glisser son téléphone.

Machinalement, Eglantine le rattrapa. Un vieux sentiment dont elle se serait bien passé se logea dans sa poitrine à l’instant où elle prit conscience de ce qu’il y avait sur l’écran. En se voyant, main dans la main, avec Michael, des souvenirs désagréables la traversèrent. Alors que sous le regard attentif de son fils, elle essayait de rester digne, la vision d’un tableau déchiré lui revenait en mémoire. Elle plissa les paupières, toujours blessée par la réaction de ses parents lorsqu’ils avaient découvert sa relation avec Michael. Doucement, elle se contrôla, inspirant avant de relever la tête vers Loyd. Ce dernier ne lui laissa pas le choix que de parler la première. Il n’y avait rien de plus humiliant que de se faire prendre par son propre fils. En jetant un œil à l’écran, elle découvrit le nom de l’envoyeur, suivi d’un joli cœur qui lui fit poser une première question :

  • Puis-je savoir… qui est “bébé” ? Comment se fait-il que…
  • Maman, l’arrêta-t-il d’un geste. Avant toute chose… dit-il en remuant sa mâchoire inférieure, j’ai besoin de savoir. Tu es sorti avec Michael Challen ?
  • Hum, acquiesça-t-elle deux fois, la parole lui manquant.
  • Ok…

Sa réaction l’étonna. Elle fronça les sourcils et se pencha en avant :

  • Ok ? C’est tout ? l’interrogea-t-elle, perturbée.
  • Je digère, dit-il en se balançant légèrement. J’étais déjà au courant pour… les autres couples, donc… expliqua-t-il en débutant les cent pas dans la longue pièce. Tu sais que nous nous entendons entre Richess de toute manière. Pour Elliot et Katerina, ce sont Selim et Faye qui nous l’ont dit, avant même d’avoir les infos récentes. Chuck et Marry, nous l’avons appris par Alex. Pour Blear et Dossan… Sky était vraiment mal…
  • Alors vous en savez à ce point-là, fit-elle d’un ton plus sérieux, digérant à son tour.
  • Mais j’avoue que j’aurai été loin de me douter que… Ha, fut-il prit d'un éclair de génie. C’est pour ça ? pencha-t-il ensuite la tête.

Eglantine sut exactement où il voulait en venir. Quelques semaines plus tôt, Loyd avait découvert un autre de ses secrets :

  • Que tu te présentes aux élections ? rectifia-t-il, un peu sous le choc.

Elle abaissa son regard et joignit ses mains pour les frotter nerveusement. Cet acte lui permit de reprendre son calme. Elle observa son fils réfléchir à toute allure. Il sembla être pris d’une illumination, refermant sa bouche à mesure qu’il lisait la détermination de sa mère.

  • Tu vas lever les lois ? souffla-t-il, sans y croire. C’est pour ça que tu t’es inscrite ? Tu veux nous débarrasser de… continua-t-il d’un ton rapide en calant ses mains sous le plan de travail où il se pencha. Mais alors... tu l’aimes encore ? comprit-il ensuite.

“Foutue.” C’est le mot qui la traversa en premier quand elle vit dans son regard qu’il avait déjà tout compris. Elle déglutit. Quelque chose, peut-être l’instinct de survie, la poussa à essayer de se sortir de cette situation :

  • J’aimerais… que nous soyons libres d’aimer qui nous le voulons, oui. Y compris toi, Loyd. Pour ton avenir, c’est…
  • Tu parles. C’est à toi que tu penses là.
  • Loyd…
  • Mais fais-le.
  • Pardon ? s’illumina-t-elle à son tour.
  • Fais-le. En fait… Maintenant que je sais ça, je ne peux pas te laisser échouer… Brise ces foutues lois. Tu n’as plus le choix, déclara-t-il, enflammé.
  • Est-ce que… tu as conscience… que je risque de me séparer de ton père ? demanda-t-elle en détournant doucement le regard pour ensuite le replanter sur son fils.
  • Parce que… tu veux te remettre avec lui ? demanda-t-il, incertain. À moins que… ce soit déjà le cas ? tenta-t-il ensuite de la tester.

Son incapacité à lui mentir la trahit. Même si elle ne voulait pas qu’il sache, elle n’y arrivait pas. Loyd soupira. Il pensait déjà à ce qu’il allait raconter à Laure et même à Nice.

  • J’aimerais que tu n’en parles à personne. Pour les élections… Tant que ce n’est pas annoncé publiquement. Je réfléchis… Encore.
  • Et donc, tu es avec lui ? Avec Michael Challen ?
  • Et toi ?
  • Comment ça, et moi ? s’insurgea-t-il.
  • Tu as un intérêt à ce que les lois soient brisées, si j’ai bien compris ? dit-elle en faisant référence à son "bébé".
  • Maman… Tu me fais du chantage ? prit-il du recul. Je te demande juste…
  • Je ne peux pas répondre à ta question, répondit-elle d’un ton un plus rapide, le cœur lourd.
  • Moi non plus, déclara-t-il alors, sur ses positions.
  • Loyd, souffla-t-elle en se rangeant à ses côtés, plongeant ses yeux dans les siens. Je ne veux pas qu’on soit en conflit…
  • Alors dis-moi ! Moi non plus, je… On s’est toujours tout dit et…
  • Tu ne m’as pas parlé de Laure Ibiss pourtant…

Elle savait donc déjà. Loyd pourlécha ses lèvres. Sa mère le regarda avec compassion.

  • Parce que tu avais peur de ma réaction ? C’est la même chose de mon côté, sauf que… Je suis une adulte. Tu comprends ? Pour le moment, il est préférable…
  • Depuis quand tu mens autant ? Dis-moi juste que tu l’aimes ou que… Tu trompes papa ? Ah. C’est pour ça.

Eglantine n’était pas fière, mais elle n’avait jamais voulu se séparer de Michael. C’était ce qui lui permettait de justifier sa tromperie. Qu’une femme comme elle commette un tel acte, le monde ne s’en remettrait pas. Elle grillerait même ses chances de monter au pouvoir.

  • Remontre-moi la photo, s’il te plaît, lui demanda-t-elle gentiment. Tu vois… Cet homme, lui montra-t-elle l’écran, j’ai souffert de ne pas être avec lui, expliqua-t-elle sous les yeux ronds, mais compréhensif de Loyd. Aujourd’hui, nous… Je veux faire les choses bien.
  • Alors fait-les, mais dis à papa que tu as une relation avec lui ou je…
  • Non. Pas tout de suite. Si je me sépare de ton père avant les élections, personne ne votera pour moi, car ils sauront ce que j’ai en tête.
  • Maman une Richess au pouvoir, c’est déjà…
  • Je veux réussir et dans ce cas, j’aurai le droit d’être avec Michael sans avoir à me battre contre le monde entier, ainsi que toi avec Laure.
  • Je ne peux pas leur mentir. Je les ai déjà trop blessé auparavant… Que ce soit Laure ou… Nice, baissa-t-il les yeux. Je suis obligé de leur dire que vous êtes en relation.
  • Mais je ne t’ai rien dit…

Loyd n’avait jamais vu ce côté de sa mère. Pour qu’elle soit sur ses gardes à ce point, elle devait vraiment l’aimer. Il se sentit déstabilisé par son manque de clarté, bien qu’il fût pourtant clair, qu’elle était tiraillée.

  • Pourquoi tu ne me le dis juste pas ? Tu as déjà presque tout avoué.
  • Est-ce que toi tu me l’as dit ? lui renvoya-t-elle la question.
  • Et… qu’est-ce que tu veux entendre ? Que je vais me battre dans tous les cas, lois levées ou non, pour rester avec Laure ? Ouais. Tu ferais bien de faire pareil avec l’homme que tu aimes… Si tu l'aimes vraiment.

Vexé, il s’apprêtait à partir, mais il fut retenu par une voix plaintive :

  • Tu promets de me soutenir ?

Son cœur s’était écrasé. Sa mère, toujours rieuse, affichait une expression compliquée entre la confiance en elle-même et la peur. Par amour, elle tuerait.

Loyd se retourna :

  • Toujours.
  • Et ton père ?
  • Je suis désolé pour lui… mais moi aussi, j’aime une Richess. Par contre, tu devras lui dire.

Elle l'avait tellement bien élevé. Eglantine fut fier de le découvrir aussi sérieux et attaché à la fidélité.

  • Je n’ai pas le choix… Si je veux être avec Michael, lui répondit-elle en lâchant un tout léger soupir. Est-ce que tu… Loyd, où vas-tu ?

Pourtant soulagé d’une part, ce dernier se sentait mal d’une autre. Il avait besoin d’y réfléchir seul, se dirigeant vers sa chambre de vacances.

  • J’ai juste besoin d’un peu de temps.
  • … D’accord, je comprends…

En le voyant s’éloigner, bien qu’elle eût foi en son fils, Eglantine avait mal. Elle avait fini par lui mentir pour son propre bien-être. Elle avait de la chance qu’il soit si compréhensif et que lui aussi, soit si passionné en amour. Pour Laure, comme pour sa mère, il était prêt à soulever des terres. Le compromis finirait sans doute par être douloureux.

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