Chapitre 19 : Blessé.

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Une fois seize heure et demie sonnée, les élèves se ruaient généralement en dehors de l’école pour regagner l’internat. Certains d’entre eux se plaisaient pourtant à trainer de la patte dans les couloirs :

  • Et voilà ! Première journée à Saint-Clair, terminée ! s’exclama Benjamin en étirant ses bras au-dessus de sa tête. Plutôt une réussite, nan ?
  • Plutôt sympa surtout… lui répondit Chen en guettant les murs autour d’elle.

Le changement était radical. Le lycée Gordon qu’ils avaient connu était poussiéreux et sombre. Saint-Clair se décorait de belles briques ou de couleurs claires. Le carrelage était net, sans fissures et les fenêtres toujours accrochées à leurs chambranles.

  • C’est vachement beau ici, quand même, enchaîna la jolie asiatique en glissant ses mains dans les poches de son bomber kaki.

Son amoureux sautilla à cloche pied pour venir s’écraser dans ses bras. Il amena ensuite son visage en dessous du sien et lui fit les yeux doux. S’il s’adaptait vite, Chen avait plus de difficultés.

  • Peut-être un peu trop beau pour être vrai…
  • Peut-être que oui, peut-être que non ! répondit-il de son éternel ton joyeux. Tant qu’on ne le sait pas, profitons ! Nouveau dicton du jour, éclata-t-il ensuite de rire.

Il arrivait toujours à lui remonter le moral. Derrière eux, aussi sombre que les nuages qui cachaient le soleil et diminuaient la luminosité dans le long couloir, Silka gardait la tête baissée. Il faisait gris. Ses lèvres mouvantes ne produisaient aucun son.

Tout comme Benjamin et Chen, elle avait quinze ans bien qu’elle paraissait plus mature. De ce fait, ils s’étaient retrouvés dans la même classe.

  • Et toi, Silka ? T’en penses quoi ? l’interpella son amie.
  • Hum.
  • Silka ?
  • Hum, resserra-t-elle un peu plus dans sa gorge. Quoi ? Je n’ai pas entendu ? se réveilla-t-elle ensuite, son regard ne sachant où s’accrocher.

Le couple dont les mains étaient rassemblées se consulta en souriant. Silka se perdait souvent dans ses pensées ruminantes.

  • Tu crois qu’on peut se plaire, ici ? reformula Benjamin.
  • Ah…

Elle chercha la réponse dans sa tête et mordilla à peine ses lèvres pulpeuses.

  • Je regrette… souffla-t-elle de sa voix éraillée.

À son air, ses deux copains comprirent que son esprit s’était évadé bien loin. Les yeux plantés sur le sol, les bras le long de son corps et les mains à peine fermées, des images frappaient Silka.

***

Une goutte de sueur glissant sur sa nuque, Leroy avait humblement accepté sa défaite en se penchant en deux face à sa sœur. Quand il se redressa, le regard de chat qu’il remonta dans le sien se consumait en vengeance.

Après toutes ces années, il ne gagnait toujours pas contre Kimi. Elle représentait son plus grand challenge et cette dernière n’en avait pas conscience. À la place, elle lui trouva un tas de compliments. Durant leur face à face, elle avait admiré chacun de ses mouvements au ralenti, époustouflée des progrès qu’elle n’avait pas vu venir. Son temps passé dans les studios de danse de Saint-Clair avait payé.

De manière objective et ayant suivi de prêt chaque membre de leur ancien gang, elle pensa qu’il était celui qui avait le mieux évolué. Leroy avait un potentiel énorme. Silka pensait exactement la même chose.

En l’observant se ruer vers Lysen, les mains autour de la nuque, elle se questionna sur l’avenir de ce dernier. Avec une petite amie pareille, arriverait-il à se développer autant qu’elle lui souhaitait ? Serait-elle même un levier à son ascension ?

Ce dont elle prit conscience, ce furent les freins qui se levaient sur sa route.

  • On discute là, le chassa Sky en glissant un mouvement de tête qui l’invitait à retourner d’où il venait.

Sur le moment, Leroy se figea, sa joie dégringolant bien plus vite qu’elle n’avait précédemment grandi. Il se défendit, sur les talons :

  • Parce que vous discutez, maintenant ? provoqua-t-il Sky en levant un sourcil.

Depuis son point de vue, alors que Sky se plaçait devant sa sœur pour faire barrage avec le monde, Silka vit un court instant le visage de cette dernière se décomposer.

***

Alors que Kimi trônait encore au milieu du cercle de la battle, encouragée et acclamée, Sky avait décidé de se tenir auprès de sa sœur. Il avait envoyé balader celui qui lui servait de petit-ami. Comment pouvait-il se présenter à Lysen comme une fleur après avoir touché une fille de cette manière ? Il détesta la voir troublée.

Dans ces cas-là, vulnérable, il devenait agressif :

  • Et toi, tu ne dis rien ? lui balança-t-il à la figure.
  • Que… veux-tu que je dise ? lui renvoya-t-elle la question en battant des paupières.

Elle se maîtrisait.

En arrière-plan, des exclamations se levèrent. Kimi éclata de rire quand Selim se planta au milieu du cercle. Il n’avait pas froid aux yeux. Son apparition fit sensation auprès des élèves de Gordon. Le fait qu’un Richess se mêle à la fête les apaisa en secret. Ils se sentirent plus proches. Ce dernier dansait de manière explosive, avec une grande touche d’humour ce qui égaya tous les étudiants. Cet amour pour la danse… La manière dont ce petit bonhomme débordant d’énergie s’entendait avec Kimi et comment il la faisait sourire en retour… Ils n’étaient peut-être pas si différents.

Sky ne prêta attention qu’une seconde à la gloire de son ami. En temps normale, il l’aurait soutenu, mais ce n’était pas le moment. Il chassa ses cheveux en arrière, agacé :

  • C’est ton mec. Tu n’as qu’à lui dire que ça ne t’a pas plu.
  • Mais ça va, déguisa-t-elle sa peine en croisant les bras.
  • Non, ça ne va pas ! s’exclama-t-il en la chopant par le bras. Non… ça ne va pas… répéta-t-il ensuite plus doucement en déplaçant sa main jusqu’au-dessus de sa tête.

Il n’eut le temps de la déposer que Lysen l’en empêchant en se raidissant.

  • Qu’est-ce que ça peut te foutre ? lâcha-t-elle d’une voix plus dure. Depuis quand tu joues au grand-frère modèle ?

Comme prévu, celui qui avait manqué à l’appel durant des année, abaissa son bras au lieu de caresser le haut de son crâne. Lui-même se demanda quelle mouche l’avait piqué. Ils n’entretenaient pas ce genre de rapport. Lysen lui avait amèrement rappelé en enfonçant son dard dans sa fierté.

Vexé et touché dans son égo de frère, il se fâcha :

  • Tu ferais mieux de le jeter. Je veux pas que tu restes avec un type qui te respecte pas.

Lysen en eut la parole coupée. Il avait fini par dire la même chose que sa mère ou du moins ce qu’elle pensait fort. Pourquoi personne ne voulait les voir ensemble ? Pourquoi ne pouvait-elle pas avoir de la peine sans devoir le quitter en retour ? Alors même qu’elle avait tenté de réprimer ce sentiment qui grondait de ses entrailles jusque dans sa gorge à cause des horribles mots qui tendaient à en sortir. L’envie d’écraser son frère fut moins forte que celle de pleurer. Le karma s’en occupa seul.

Kimi avait gagné contre Selim. Ils s’étaient serrés dans les bras de l’autre, la blonde touchée par son enthousiasme. Il était sans jugement. Voilà, pourquoi elle s’entendait aussi bien avec lui. C’était un vrai copain et ça, Kimi en avait plein. Avant d’arriver à Saint-Clair, elle avait toujours et plus de facilité à s’entendre avec les garçons. Les filles du gang avaient toutes un petit côté masculin. Ainsi, Laure, Faye eu Nice avaient été une véritable bénédiction pour Kimi. Avec ses nouvelles copines, elle avait put développer la féminité enfouie sous sa carapace. De faire du shopping et parler potins, elle en avait toujours rêvé.

Avant ça, la seule fois où elle se sentit entièrement comme une fille fut dans son apprentissage avec Ulys. Le superbe mannequin avait débarqué sur la battle. Un sourire l’égayait. Ils formaient un duo. Comme Leroy et Silka précédemment, ils se rejoignirent, complices. Leur danse était légère et millimétrée, dynamique et marrante à regarder. Il avait cette manière de l’accompagner qui lui laissait beaucoup d’espace. lI n'avait aucunement pour but de l’écraser, mais plutôt d'offrir un moment de nostalgie. Ils se comprenaient par les étoiles dans leurs yeux. Kimi avait un plus fort caractère. Autant elle s’amusait, autant elle ne se gêna pas pour le mettre au pied du mur. Les mains sur ses hanches, Ulys craqua quand elle tourna sa tête en arrière pour lui lancer un clin d’œil. Celui-ci jura entre ses dents. Il s’était fait avoir. Elle était imbattable.

e

  • … On en reparlera quand tu seras face à Jena.

La lueur dans ses yeux mouillés l’empêcha de lui répondre. Ils savaient comment se blesser l’un et l’autre. Il grogna juste et se rangea plus loin, dans la foule, pensif.

Loyd l’observa longuement. Lui-même préoccupé par nombreuses choses, il prenait du recul sur tout. Il n’arrivait quand même pas à faire fi de ce que traversait son meilleur ami. Il en allait de même pour Laure. Le couple s’embrassa doucement, compréhensif l’un envers l’autre.

***

  • Elle avait l’air si… blessée, murmura-t-elle à peine. Je regrette qu’elle ait fait cette tête.
  • Qui ça ? demanda Benjamin.
  • La copine de Leroy. Je crois qu’elle n’a pas compris…
  • Bah ! laissa échapper Chen en haussant des épaules. Tu t’en fiches. Tu le connaissais d’avant.

Elle acquiesça brièvement. Kimi avait été la première présente pour Leroy. Silka, la deuxième, mais d’une autre façon. Ils avaient partagé des jours à l’orphelinat, bien que partager était un grand mot. Un an les séparait. Elle était l’aînée. Leur répulsion commune au toucher des autres les avait rapprochés dans le temps. Elle se souvenait de leur premier contact comme de la veille, car ce fut aussi un grand pas pour Silka.

De tous les membres du gang et de toutes les personnes confondues qu’elle avait rencontré dans sa vie, Leroy était le seul en qui elle avait une confiance aveugle. Un lien particulier les unissait. Il y avait aussi Kimi.

  • C’est quand même grâce à Kimi que tu l’as rencontré, poursuivit la fille aux cheveux rouges comme si elle avait lu dans ses pensées.
  • Notre groupe… réfléchit Benjamin à haute voix. Que ce soit à Gordon ou le fait de pouvoir être ici, c’est à Kimi qu’on le doit !
  • On lui doit tous tellement…

Dans leur marche, tandis que Silka soufflait ces mots, comme une promesse, le trio fut coupé par les bruits d’une altercation. Alerte, sous ses cheveux noirs, le regard de cette dernière trouva les auteurs dans un couloir parallèle. Il s’arrondit. Quatre élèves de Gordon entouraient Kenji, alors en mauvaise posture. La présence des trois membres du gang du Diable Blanc les firent se retourner quand la hyène s’affola. La silhouette fine de Silka lui apparut comme un mauvais présage. Avec ses vêtements noirs moulants qui recouvraient le plus de sa peau blafarde et plantée dans l’entrée de sa seule échappatoire, elle ressemblait à la faucheuse. Sous la main d’un de ses ravisseurs, il paniqua, tenu par le col. Ses yeux vairons supplièrent la fille qui se déplaça comme une ombre. Chen et Benjamin l’attendaient à l’endroit où ils s’étaient arrêtés. De loin, il sembla à Kenji que leurs dents devenaient pointuese et moqueuses.

  • Arrêtez ça.
  • … Quoi ? fit l’un d’eux, stupéfait.
  • C’est un “Wolf” ! s’exclama ensuite un autre dont la rage transpirait sur son visage.

Le long temps de réponse les fit se remettre en question. Ils baissèrent les yeux.

  • Ils ont dit, pas de violence. Et… Où est passé votre sens de l’honneur ? Vous feriez mieux de partir. Maintenant.

Sous son ton écrasant, les garçons passèrent difficilement à côté de Silka qui resta inerte.

  • Bouh ! leur fit peur Benjamin quand ils arrivèrent à son niveau.

Celui-ci rigola de bon cœur quand ils s’éclipsèrent rapidement. L’expression de Chen se ferma au même moment.

  • Il a de la chance… que Kimi nous ait demandé de ne pas l’attaquer…
  • Et qu’il soit dans sa classe, surtout.
  • Ouais.

De tous les membres de l’ancien gang, ceux-là, particulièrement, avaient une dent contre Kenji. Il en allait de même pour Leroy. En ce qui concernait Silka, elle préférait respecter les paroles de son leader. Sans compter, qu’elle ne comptait pas se battre pour un passé derrière eux.

Devant elle, Kenji déglutit. Il ne savait comment interpréter son expression. Au fond d’elle-même, Silka le plaignait. Une hyène au milieu des lions. Il ne lui restait le choix que de se faire tout petit.

  • On ne sera pas toujours là. Respire, dit-elle avant de partir en levant sa main dans le vide.

Le geste fonctionna comme le levé d’une malédiction. Le cœur gorgé de sang et palpitant, il attendit qu’ils soient partis pour regagner le couloir principal. Kenji tremblait de partout. C’était l’après coup. Il écrasa son dos humide contre le mur et attrapa son visage entre ses mains. Sa chevelure désorganisée, méchée de blond caressa ses phalanges. Soulagé, il respirait à nouveau, mais la pression qu’il subissait des deux côtés, le fit haleter. Il ne ferait pas long feu à Saint-Clair.

En entendant des pas, il crut avoir un arrêt cardiaque. Entre ses doigts, il vit une paire de chaussures noire. Dans ses yeux rouges, ses pupilles s’agitèrent quand il releva la tête. Tiré en avant, il sentit un corps se glisser derrière le sien. Une grande main vint se plaquer contre sa bouche, l’empêchant d’émettre un quelconque son.

  • Mais nous, on sera toujours là.

Kenji n’avait que des ennemis dans cette école. En découvrant le journaliste à qui il avait menti à propos du Diable blanc lui sourire perfidement, il essaya de se débattre. Son acolyte bien plus grand en taille le tenait parfaitement.

En l’inscrivant à Saint-Clair, ses parents lui avaient présenté ce changement d’école comme “une nouvelle aventure”, mais de cette aventure, il était sûr de ne pas en sortir indemne.

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