Chap 25 : Retour à la maison - Part II.

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John-Eric avait prévu de rentrer à la maison avant que les enfants ne reviennent pour le week-end. Après une semaine passée à l’hôtel, le pas de sa porte lui parut étranger. Il était chez lui, mais il n’en avait aucunement l’impression. Néanmoins, il traversa l’entrée et le hall sans appréhension : discuter avec Blear ne l’avait jamais effrayé et ça ne changerait pas, même après leur décision de divorcer. Ils seraient sans doute moins proches, un jour amenés à prendre des chemins différents. Cependant, ils n’en étaient pas là.

Il était encore tôt quand il rejoignit Blear dans son bureau. Cette dernière y était assise, la tête dans les papiers. Peu importe les épreuves à traverser, elle se montrait toujours distinguée, mais en ce jour particulier, elle l’était davantage. Ses cheveux tirés en arrière mettait en valeur son cou et ses épaules habillées d’un superbe chemisier. Discrètement, John l’observa un court moment. Certains tics lui revenaient quand elle était nerveuse, notamment de tapoter son index et son pouce ensemble.

  • Salut, se manifesta-t-il avant d’entrer dans la pièce.
  • Oh… John, salut… Hum, bonjour… Tu vas bien ? finit-elle par lui demander, sur le qui-vive.

Blear s’en voulait de son départ, ayant l’impression de l’avoir chassé de la maison, alors qu’il s’agissait de sa décision à lui seul. Elle estimait qu’il avait le droit au même titre qu’elle d’y rester. Du moins, le temps qu’ils règlent leurs affaires. Dans la logique des choses, la maison reviendrait à Blear, mais ils devaient établir tous les deux les conditions du divorce. Ils avaient d’abord été chez un avocat. Cette première étape avait été la plus simple, mais pas la moins douloureuse. La suite s’annonçait plus complexe avec la rédaction de leur convention de divorce. Ils devaient trouver un arrangement concernant les conséquences de leur séparation. Autant dire qu’entre les heures de travail, tous deux patrons de leur propre entreprise, les futurs ex-époux avaient éprouvés des difficultés à s’y pencher complètement. De ce fait, ils avaient établi un jour dans leur planning pour en discuter.

  • Tu es certain que l’hôtel te convient… ? s’inquiéta Blear.
  • Je ne m’y suis pas senti mal, répondit-il doucement en se débarrassant de sa veste. Cela dit, je compte rester ce week-end pour voir les enfants et… peut-être lundi et mardi, si tu le veux bien ? Je suis en déplacement ensuite.
  • Pas de soucis. Tu restes autant que tu le veux.

Ils se regardèrent dans le blanc des yeux. John attrapa ses lunettes de lecture dans sa poche avant de prendre place à ses côtés. Il se permit de jeter un œil aux documents sur le bureau.

  • Tu as déjà répertorié quelques biens à ce que je vois. La maison de vacances en Espagne, hum… réfléchit-il en entourant le bout de son menton de son index.
  • Je pensais te la laisser, lui avoua Blear, cherchant à savoir si ça lui faisait plaisir.
  • Ne devrions-nous pas plutôt la vendre ? pensa-t-il ouvertement.
  • Je n’en ai aucune idée… Les enfants aimaient bien partir en vacances là-bas.
  • Elle pourrait leur revenir, aussi. Mais je ne pense pas que ce soit la priorité. Nous devons d’abord décider de ce que nous faisons de cette maison, dit-il en balayant les quatre murs de la pièce.

Tous deux s’avachirent légèrement au bureau. John planta son poing dans sa joue, Blear triturant nerveusement les documents.

Ils pensaient à la même chose :

  • C’est compliqué.
  • En effet, lâcha John en haussant les sourcils. Mais il faut au moins qu’on prenne cette décision avant que tes parents n’arrivent.
  • … Oui, soupira-t-elle en déposant un doigt sur sa tempe.
  • … Ça ira ?
  • Il va bien falloir, répondit-elle en déglutissant.
  • Je serai là.
  • Je sais bien, dit-elle rapidement, mais… Ce sont mes parents. C’est à moi de leur dire. Dans tous les cas, l’idée ne leur plaira pas.
  • Et pour les enfants ? Comment veux-tu qu'on procède ?
  • Billy ne sera même pas là, souffla-t-elle en passant ses mains sur son visage. Je devrais peut-être lui sonner avant toute chose.
  • Non. Je ne crois pas que ce soit une bonne idée, s’expliqua-t-il. Billy sera sûrement le plus apte à comprendre. Si on le privilégie avant Sky et Lysen…

Blear acquiesça dans le vide, la peur lui rongeant l’estomac. Elle craignait tout autant de l’annoncer à sa mère qu’à ses propres enfants. Elle n’espérait pas une bonne réaction de leur part. Le plus tôt serait donc le mieux et après l’arrivée de John et de longues conversations, le temps passa à toute vitesse. La sonnette qui retentit dans la maison obligea l’ancien couple à stopper leurs activités. Un instant, ils se jaugèrent l’un et l’autre. Prêts, ils se levèrent en même temps pour accueillir les parents de Blear. Cette dernière s’installa dans le salon directement relié à l’entrée, attendant son heure dignement sur son fauteuil. John fit de même en se plaçant à proximité.

Ce fut Charles qui leur ouvrit, le visage fermé. Un faux sourire s’y étala quand il fit une courbette pour laisser entrer ses anciens maîtres. Dans la famille depuis longtemps, le vieux majordome n’avait guère de sentiments affectueux à leurs égards. Le père, sobre et gigantesque, lui offrit à peine une salutation digne de ce nom, laissant sa femme emboîter le pas. Tout juste cinquantenaire, cette dernière, toute élancée, portait uniquement de belles rides. Aussi froide qu’un glaçon, elle cachait toute sa vileté sous son long manteau dont les motifs transpiraient la vieille noblesse, à l’instar de son regard perçant et méprisant. Elle ne cherchait à tromper personne, niant délibérément Charles quand ce dernier voulut la débarrasser de ses affaires.

  • Ne perdons pas de temps, déclara-t-elle en s’avançant d’une traite vers le salon. Vous voilà, détailla-t-elle sa fille, puis John, en y entrant.
  • Bonjour, Maman, lui répondit Blear, offensée qu’elle ne prenne pas la peine de les saluer correctement.
  • Mère, veux-tu, rectifia-t-elle. Chéri, vient donc t’installer, lui ordonna-t-elle en tapotant doucement le fauteuil opposé à celui de Blear.

Cette appellation avait le don de l’irriter. Elle n’était plus une petite fille. D’extérieur, elle paraissait intacte, aussi bien coiffée que son exécrable mère. En la trouvant toujours aussi peu agréable, Blear jura en son for intérieur et également contre son père qui était mené à la baguette.

  • Nous vous écoutons, les invita ce dernier à prendre la parole.
  • Au téléphone, j’ai cru croire en une mauvaise nouvelle, enchaîna sa mère en la dévisageant. Je n’espère pas. Nous nous sommes déplacés, tout de même.

Mal à l’aise, Blear croisa les jambes pour gagner en confiance. Elle savait que cette position insupportait sa mère. Les mains croisées sur ses genoux, elle essaye de garder une respiration constante. John la laissa prendre les devants, comme convenu.

  • C’en est une. John-Eric et moi… poursuivit-elle, malgré le regard averti qu’elle lui lança… Nous avons décidé de divorcer, déclara-t-elle en analysant directement la réaction de sa mère qui courba les sourcils en se redressant dans le fauteuil.

Elle les prenait de haut. Un gloussement sortit ensuite.

  • Non. C’est inenvisageable.
  • Nous divorçons, insista Blear d’un ton ferme. Nous ne vous demandons pas votre avis. Au contraire, nous voulions simplement que vous soyez les premiers avertis.

En réponse, elle n’eut qu’un lourd silence, ses deux parents la fixant. Elle essaya de déglutir le moins fort possible, nerveuse à souhait. Blear ne pouvait se permettre un signe de faiblesse. Les mains moites, elle soutint le regard de sa mère. Il n’y avait rien de bon à la voir cogiter. Elle devait être en train d’imaginer le meilleur scénario pour leur interdire ce droit. La tension entre les deux femmes était si forte qu’elle se propagea chez John et son père.

  • Puis-je connaître les raisons ? demanda celui-ci, plus raisonnablement.
  • Nous ne nous aimons plus, répondit Blear.
  • Enfin, pouffa sa mère, ce n’est pas une raison.
  • C’est important pour nous.
  • Il n’y a jamais eu de vous, rectifia-t-elle. Vous osez parler d’amour ? Ce n’est pas la base de votre mariage.
  • Nous nous sommes aimés, la reprit-elle, piquée. Avant même le mariage.
  • Tiens donc… Alors, qu'en était-il de ce garçon… Comment s’appelait-il déjà ?

La référence à Dossan l’agaça davantage. Elle ne devait pas y prêter d’attention, mais sa mère mettait tout en œuvre pour la mettre hors d’elle :

  • Qu’importe ? Je n’accepte pas ce divorce.
  • Nous divorçons, répéta-t-elle une énième fois.
  • Ça n'arrivera pas.
  • Ça arrivera. Je ne veux pas rester avec un homme dont… Je ne suis pas pleinement amoureuse et inversement. Chacun de nous, dit-elle en accordant un regard à John, préférons vivre seuls plutôt qu’ensemble si nos sentiments ne sont plus réciproques.
  • Une femme divorcée… Que tu es présomptueuse. As-tu pensé à ce que dira l’opinion publique ? Je ne crois pas.
  • Evidemment. Une femme indépendante, patronne de sa propre entreprise, de nous jours, c’est une réussite. J’avance avec mon temps, finalement.
  • C’est une honte ! pestifera-t-elle entre ses lèvres maquillées. Et vous… pointa-t-elle John-Eric. Vous pensez nous tromper ? Si vous croyez pouvoir tirer quelque chose de notre fortune…
  • John n’a aucune mauvaise intention. Les termes de notre mariage étaient clairs et nos biens sont séparés. Nous avons chacun nos propriétés. Je garde la maison. Nous vendrons les meubles et nous nous répartirons la somme en fonction de ce qui revient à chacun. Autrement dit, votre fortune, je vous la laisse, enchaîna Blear. Cela fait longtemps que je l’ai égalé par mes propres moyens.
  • Comment… comptes-tu vivre sans ton entreprise ? chercha-t-elle à lui faire peur.
  • “Mon entreprise”, tu le dis bien. Tout est parfaitement en ordre de ce côté-là. Elle fonctionne parfaitement. Ton nom n’y apparaît nulle part, ni celui de papa et ni celui de John, d’ailleurs. Je te l’ai dit, maman, prononça-t-elle de manière à la piquer, je suis indépendante.
  • … Tu ne peux pas…
  • Il suffit de prendre exemple sur Marry Stein ou Eglantine Akitorishi pour se rendre compte que si. Ce qui vous revient, vous reviendra. Il n’y a aucun problème.
  • Les lois…
  • Je les ai respectées. J’ai été mariée, j’ai conçu un héritier et j’ai repris le flambeau familial jusqu’à…
  • C’est donc de cette manière que tu parles de ton fils, comme un vulgaire enfant contrat.

Blear bomba la poitrine, inspirant tout son souffle avant de le jeter hors de ses narines. Elle manqua de lui renvoyer l’ascenseur. S’il y avait bien une personne qui avait été injustement traitée, c’était elle. Comment osait-elle mettre en mot ce qu’elle lui avait fait elle-même subir ? Cette femme n’avait aucune morale. De l’intonation de sa voix, cinglante, à son expression particulièrement vicieuse, sa mère la méprisait de tout son saoul. Celle-ci n’avait pas hésité une seconde à sortir ses meilleures cartes pour la blesser, pleinement consciente de la relation tumultueuse qu'elle entretenait avec Sky.

Réciproquement à son dégoût, elle tint bon jusqu’au bout, irritant sa mère à son tour :

  • Bien. Très bien, poursuivit sa mère d’un ton piquant en se levant de son siège, ce que le restant de la famille imita. Tu as raison, Blear. Bravo, tu as répondu à toutes nos attentes. Fort heureusement, il nous reste Sky pour sauver notre honneur. À ce propos…

Debout et impatiente qu’elle quitte la maison, Blear eut un frisson. Elle se sentit étourdie. Les allusions qui la comparaient à son fils lui allaient droit au cœur, le petit sourire narquois de sa mère également :

  • Je suis ravie que les Solaire soient bientôt de retour au pays. Tiens, peut-être que vous ne le saviez pas ? persifla-t-elle, le menton haut en les voyant surpris. J’imagine qu’ils nous inviteront prochainement pour des retrouvailles. Si ce n’est pas le cas, je m’en occuperai. D’ici là… Tâche… de te tenir, lui lança-t-elle en la toisant.

La main avec laquelle John-Eric l’empêcha de riposter amena le vent de méchanceté à regagner sa place, c’est-à-dire en dehors de la maison. Quand l’envie d’entourer ses épaules naquit en lui, sa conscience le rattrapa à toute vitesse : pouvait-il encore se permettre de garder une telle proximité ? Les muscles qui se serraient autour des mâchoires de Blear l’en convinrent, ainsi que la rage naissante dans ses yeux. Il la tourna vers lui pour l’efforcer à sortir de ses pensées :

  • Ne fais pas attention à ce qu’elle dit, tenta-t-il de la raisonner.
  • Comment… ! s’exclama-t-elle, désemparée, un sursaut la prenant ensuite.

Entre ses mains, John l’avait sentit se rigidifier et vu ses pupilles rétrécir. Il se tourna alors pour constater qu’elle fixait le grand miroir derrière eux ou plutôt son reflet. Au-dessus de son nez froncé, des larmes naquirent dans son regard illuminé. Comme si elle se voyait pour la première fois, Blear amena le bout de ses doigts sur sa joue, osant ensuite à peine frôler ses cheveux rabattus en un chignon. Pâlotte, ses lèvres s’entrouvrirent en même temps qu’elle laissa échapper une forte respiration.

  • Blear… ? Qu’est-ce qu’il se passe ? s’inquiéta John.

Elle ne répondit pas, titubant sur ses talons quand elle chercha à s'éloigner et glissant ses mains sur sa taille. Ce qu’elle voyait lui faisait horreur.

  • Je… lui ressemble…

Tout dans son allure lui rappelait sa mère. Tant ses vêtements, le chemisier et la longue jupe cintrée, que ses bijoux, fins et en argent. Elle refusa cette vision, mais même ses manières, la façon dont elle se tenait. Elle était carrée, manquait de souplesse et paraissait aussi froide. Blear se haït.

  • Je suis comme elle…
  • Comme ta mère ? Non. Tu n’es pas…
  • Mais si… regarde-moi ! récrima-t-elle, la voix tremblante, plissant les yeux pour ne pas se voir.
  • Blear. Tu n’es pas du tout comme elle, essaya-t-il de la rassurer.
  • Ah, vraiment ? Alors, regarde ça ! montra-t-elle son collier, et ça, fit-elle de même avec sa montre qu’elle enleva pour la lâcher au sol. Tout ça… Je n’en veux pas ! s’exclama-t-elle en s’avançant dans le hall et en retirant ses boucles d’oreilles qu’elle jeta à leur tour.
  • Hey ! Calme-toi ! s’écria John en la poursuivant. Arrête ! cria-t-il plus fort quand elle tira un grand coup sur son chemiser pour le déboutonner malgré le fait qu’il la tenait fermement. Je te dis d’arrêter !!!

John l’attrapa pour qu’elle se stoppe quitte à la brusquer. La chevelure défaite, elle avait encore sa pince en main. Elle s'essoufflait.

  • Qu’est-ce qui te prends ?! Je t’interdis de dire que tu lui ressembles ! Tu… n’es en rien comme cette sale femme ! Toi, Blear, tu es… une personne merveilleuse. Sensible, belle, droite et…

Lui aussi devint ému, ses yeux attrapant la lumière derrière ses lunettes. Il l’attrapa dans ses bras avec le mince espoir de la consoler. Cette magnifique femme ne lui appartenait plus désormais. Il l’aimait encore, mais il ne pouvait l’embrasser. John encadra son visage meurtri entre ses paumes, friand d’un baiser. Ce n’était pas ce qui l’aiderait, même encore moins. En souffrance, il devait la regarder pleurer sans pouvoir faire quoi que ce soit d’autre que d’utiliser les mots :

  • Entends-moi bien. Tu n’es pas comme elle. Est-ce que tu peux seulement me donner un argument valable…
  • … Parce que je fais les mêmes choses qu’elle, lâcha-t-elle dans une plainte, sa gorge se rétractant.
  • Ce n’est pas vrai. Quoi ? Dis-moi ? essaya-t-il de comprendre quand elle grimaça douloureusement.
  • Je ne veux pas qu’il vive la même chose que moi !

Sa voix écorchée le remua. Désolé, il la reprit plus fort contre lui.

  • Je ne veux pas… S'il ne l'aime pas... Le forcer, ça reviendrait à... Je ne vaux pas mieux...
  • Ce n'est pas toi qui l'oblige, rappelle-toi bien de ça et on ne sait même pas ce qu’il en pense, lui chuchota-t-il. Calme-toi. Je te promets que ça ira. D’abord, on va leur annoncer notre divorce et nous verrons leur réaction. Ensuite, nous trouverons l’occasion de lui parler de Jena et… Ne pleure plus. Ça me ruine le coeur, lui souffla-t-il durement. Cette fois, nous trouverons des solutions à nos problèmes.
  • Comment… ? l'interrogea-t-elle d’une petite voix en essuyant ses larmes.

John n’en avait aucune idée. Ils devaient procéder par étapes. Autrement, elle ne tiendrait pas le coup. Après autant d’années, il ne l’avait jamais vu aussi mal en point. Elle se relâchait.

  • Tu dois aussi prendre du temps pour toi. Concentrons-nous sur les enfants, aujourd’hui. Puis, souffle.
  • Je ne peux pas…
  • Je ne te laisse pas le choix. Octroie-toi une pause.

"Souffle”, dans le vocabulaire de Blear, ce mot n’avait pas sa place.

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