Chapitre 37 : Tout est une question de place.

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Jena, n’ayant aucunement l’esprit vengeur, s’était rendue au réfectoire telle une petite abeille butinant d'une fleur à une autre. La désagréable interaction avec Kyle de bon matin n’avait pas réussi à effacer sa bonne humeur. Le temps y était pour beaucoup. Elle faisait partie de ces gens sensibles à la lumière. En esprit libre, elle aimait d’ailleurs croire que la nature lui envoyait des signaux. Pour sa rentrée, une jolie éclaircie l’avait accompagnée depuis sa demeure jusqu’à Saint-Clair. Le fait de retrouver sa maison familiale après trois années passées à Tokyo l’avait également rendue nostalgique. Fidèle à elle-même, Jena n’avait pas pour autant perdu son âme de Suissesse. Vivre en Asie lui avait inculqué des mœurs qu’elle gardait sous le coude, notamment les fruits de l‘exigence qu’elle avait acquis à travers le karaté : combattre avec respect et franchise, cette discipline lui seyait bien plus qu’elle n’avait pu l'imaginer. Jena comptait assurément poursuivre son cheminement. C’était une compétitrice, parfois même un peu trop. La découverte de cet art lui avait appris la rigueur et une méthode pour se canaliser, le naturel ne se cachant jamais très loin.

“Chassez le et il revient au galop”, cette expression correspondait bien à la fille des Solaire qui possédait une forte identité. Droite dans ses bottes, il en fallait beaucoup pour la dévier de son chemin de croyances. Elle n’était pas pour autant têtue, mais de son point de vue, plutôt déterminée. Elle ne faisait pas fausse route en croyant que ses amis l’appréciaient pour cette raison. Malheureusement, le cercle de personnes avec qui elle restait autrefois à Saint-Clair s’était éparpillé. Ainsi, elle se trouva sans accroche au sein de l’école. Du moins, sans pilier qui lui aurait été tout désigné. Pas qu’elle n’en avait besoin, mais bien sûr, Jena pensait à Sky, notamment pour le repas de midi où elle se vit confrontée à une situation délicate. Des anciennes têtes lui avaient réservé un accueil chaleureux, l’invitant à manger en leur compagnie. L’autre choix qui s’offrait à elle était de prendre place à la table des Richess. Elle savait qu’elle n’y serait pas repoussée. Malgré la bienveillance du premier groupe, elle ne souhaitait pas profiter de leur gentillesse en se mêlant à eux sous prétexte qu’elle se trouvait seule. De là à prétendre qu’elle pouvait réellement s’incruster parmi les enfants des sept familles, Jena tenta tout de même le diable.

Il n’aurait mieux valu pas trop le taquiner, alors que sans en avoir conscience elle mangeait en tête-à-tête avec sa représentation. L’énerver aurait été une belle erreur. Elle ne le savait pas encore, mais si Kimi n’en donnait pas l’impression, elle pouvait changer de visage en un claquement de doigts. Avec des miettes éparpillées au coin de ses lèvres et sur ses genoux, elle ne payait pas de mine, mais attention à ne pas appuyer sur le mauvais bouton. À l’instar de la facilité avec laquelle une grenade pouvait être enclenchée, les dégâts infligés étaient tels qu’ils vous rongeaient le corps. Une chose empêchait la blonde d’en arriver à activer cette bombe : elle n’avait rien à reprocher à Jena. Pourtant, ce qu’elle ressentait depuis ses tripes jusque dans ses dents l’envahissait à mesure que le repas se transformait en un moment de rigolade. En un rien de temps, cette fille avait apporté la bonne humeur au sein du groupe. Même Nice qui ne montrait pas un signe de joie depuis la matinée semblait avoir récupéré du poil de la bête.

Le sentiment qui la parcourait était incontrôlable.

Dès le départ, en la voyant débarquer dans le réfectoire, un élément lui avait fortement déplu. Ulys la suivait, sur ses arrières.

Pourquoi ?

C’était son ami, son confident, son frère, son meilleur ami,... Son ex aussi, mais surtout quelqu’un en qui elle avait cent pour cent confiance. Le voir traîner aux bottines de la bichette de service lui avait donné une drôle d’impression.

Comment pouvait-il se laisser duper ? Mais duper de quoi ? À réflexion, comment en était-elle même venue à penser de cette manière ?

Parce que Jena s’exprimait si facilement et ouvertement avec des personnes qu’elle connaissait à peine que cela la choquait. L’aplomb avec lequel elle reçut Ulys, quand ce dernier arriva près de leur table, plateau en mains, la bouscula.

  • On dirait bien que tu me suis partout, lui lança-t-elle, en attrapant du riz avec ses baguettes depuis sa boîte repas.

Elle avait également ramené quelques habitudes alimentaires du Japon. Entre-temps, Sky leva la tête de son assiette. Il se tendit en constatant qu’Ulys avait déposé son plateau sur le bord de la table. Il n’avait pas intérêt à s’installer.

Voilà un point que Kimi trouvait injuste. Le mannequin ne pouvait prendre place. Elle-même pour se joindre au groupe avait dû faire l’objet d’un conseil alors que Jena avait pu s’y immiscer sans contraintes. Avec facilité, elle s’était installée à côté de Sky qui avait simplement stoppé le geste d’amener sa tartine vers sa bouche. Rapidement, il avait jaugé la réaction de ses amis qui ne semblaient pas perturbés par sa présence. À l’inverse, Kimi était devenue pâle, cherchant chez eux le plus mince des refus. Il n’y en eut aucun. Jena resta là, comme un cauchemar permanent, en train de déballer délicatement son repas de midi. Elle ne loupait aucun de ses grains de riz alors que de son côté de la sauce s’échappait de son sandwich. Pour une fille brutale, elle avait des manières, mais elle restait aussi trop franche à son goût.

  • Tu fais une fixette ? n’hésita-t-elle pas à envoyer au mannequin qui restait debout.

Le rire d’Ulys eut un écho amer dans les oreilles de Kimi.

  • Certaines personnes pensent être le nombril du monde, lui répondit-il gaiement. Mais… J’ai compris…

Il ne finit jamais sa phrase. Les deux se regardèrent brièvement, laissant des choses passer sous silence.

***

L’estomac grondant, Jena était sortie de classe avec l’impatience de manger son petit plat préparé la veille. Parmi la foule qui faisait un bouchon au niveau des escaliers, elle trouva son voisin de bureau, non loin derrière. Ulys Dartan regardait par-dessus son épaule, tout aussi agité par la faim afin d’évaluer le flux vers le réfectoire. L’embouteillage dans les couloirs les amena l’un à côté de l’autre. D’un coup d’œil avisé, Jena s’écarta du garçon :

  • Tu n’as pas d’amis que tu me suis ?

Le mannequin se stoppa, surpris de la voir autant à l’affût.

Il rigola.

  • Tu tires à balles réelles. On va dans la même direction, c’est tout, ne se vexa-t-il pas.

Il chipotait à ses piercings tout en s’engageant dans l’escalier.

  • …J’étais en train de me dire qu’il te fallait peut-être un plan de l’école, ajouta-t-elle, plus légèrement, en dégageant subtilement sa frange.

Elle lui ôta les mots de la bouche. Ulys jouait cette fois avec les grosses bagues en acier qui ornaient ses doigts. Il les glissa sous son menton, pensif. Il n’aurait su dire où se plaçait son sérieux, car il décelait de la plaisanterie dans le ton dur qu’elle employait.

  • Décidément, tu n’en manque pas une, rit-il à nouveau, sa tête blonde dodelinant de joie.

Un sourire vint égayer les lèvres framboise de Jena. Elle haussa les épaules et marcha avec assurance.

  • Il faut bien avoir de la répartie !
  • … Certes, répondit-il en plissant doucement un œil, soupçonnant gentiment quelque chose. Mais c’est un peu dommage, pouffa-t-il ensuite. Des mots aussi crus, sortis d’un si joli minois… Si tu montrais plus de douceur…
  • De la douceur, répéta-t-elle d’un ton moqueur.
  • C’est pas mal non plus d’en avoir un peu, lui répondit-il assez franchement, avec tendresse, histoire de lui montrer de quoi il s’agissait.

Jena s’en stoppa net, l’amenant à se tourner complètement quand il ne la trouva plus à sa hauteur.

  • Euh… Je t’arrête tout de suite, je suis bientôt mariée, dit-elle en exagérant un sourire rectangulaire et en lui montrant son annulaire gauche encore vide. Les jeux de dragues, non merci.

Cette fois, il éclata carrément de rire.

  • Je ne te drague pas ! Tu dois te méprendre à cause de ma tête…
  • C’est clair que… laissa-t-elle ses mots en suspens exprès, mimant un désarroi qui le fit sourire.
  • J’ai une belle gueule, dit-il crûment en continuant son chemin. Et en plus, je suis mannequin, ajouta-t-il en haussant les épaules avant d'enfouir ses mains dans les poches de sa veste.
  • Ça va les chevilles ? revint-elle sur ses côtes.
  • Hum, pouffa-t-il. Tout ça pour dire que les gens croient souvent que je fais du flirt. Ils se méprennent juste parce que je suis beau.
  • D’où l’importance d’avoir de la répartie.

Il y eut un moment de froid qui ne dura que le temps de sortir du bâtiment. Jena fixa le réfectoire en s’avançant, bien droite.

  • J’apprécie très peu le jugement que tu me portes. Qu’est-ce que ça changerait, si j’étais plus douce ? À part confirmer le fait que je suis une nana sous toutes ses coutures ?
  • Je ne…
  • Si, tu émets un jugement, l’empêcha-t-elle d’intervenir. Sur ma manière de parler et sur mon physique, alors que les deux ne sont pas liés. Je vais te dire… Encore heureux que je m’exprime comme ça, parce que si c’est pour être considérée comme une petite pisseuse qui n’a pour elle que son physique et rien dans la cervelle… Pfff, souffla-t-elle, les traits de son visage se contractant, ça vaut pas le coup.

Il ne l’applaudit pas, mais c’était tout comme. Alors que dans sa posture, tout l’avertissait de ne plus tenir de tels propos, Ulys s’en tint à lui ouvrir la porte. Elle était féroce. De par son métier, sa vision de la beauté avait drastiquement changé. Il savait reconnaître une jolie personne. Que Jena en soit une, il le pensait certainement, mais de là à l’assimiler au cliché de la fille belle et stupide… Elle ne lui avait pas donné cette impression et il ne la connaissait pas assez. En fait, comme beaucoup, il avait simplement eu écho de ce qu’elle représentait pour Sky. Elle lui était promise. Quand il voyait l’animal, Ulys comprenait en quelque sorte qu’elle n’espérait pas être réduite à son physique. Il en allait de même pour le Richess. En l’observant se déposer à ses côtés, telle une feuille portée par le vent, il comprit. Si ces gens-là ne se démarquaient pas par leur personnalité, d’eux, il ne restait qu’un arrière-goût de fausseté.

***

Ulys dévia sur ce qui l’importait réellement. Il se positionna sur ses deux coudes, comme à un comptoir, afin d’interpeller au mieux Kimi. Il lui adressa un splendide sourire qui irrita le gamin en bout de table.

  • On se fait quand une séance ? Demain ou mercredi ? Kimi ? l’appela-t-il, car elle ne répondait pas.
  • Jeudi… Je préfère, lâcha-t-elle alors machinalement. Sur le temps de midi ?
  • Ça va pour moi, j’en parle aux autres ? Ça fait longtemps une collective.
  • … Oui, répondit-elle en observant Jena réquisitionner la serviette de Sky et ce dernier lui tendre sans rechigner.
  • Tu ne veux pas ? devina-t-il mal à la tête déconfite qu’elle fit.
  • Si… si, c’est bien comme ça, essaya-t-elle de le rassurer.
  • Ok… Selim, tu viens avec nous aussi ?
  • Un peu mon neveu ! s’exclama ce dernier, plus que ravi de l’invitation.

Lorsque les deux garçons écrasèrent leurs poings l’un contre l’autre, Sky laissa échapper un regard mauvais. Jena le nota, ainsi que la caresse qu’Ulys attribua sur la tête de la blonde. Il espérait la réconforter avant de rejoindre son groupe d’amis de Gordon. L’animation à la table des Richess put reprendre son cours. Jena, n’ayant eu aucun souci à se réintégrer, profita de ce moment pour plutôt chercher des réponses à ce qui l’intriguait.

  • De quoi il parlait ? questionna-t-elle Kimi en prenant des petites bouchées de son repas. C’est ton ex à ce qu’il m’a dit ? Vous avez l’air encore en bons termes, pourtant ?
  • Pourquoi il t’a parlé de ça ? rechigna immédiatement Sky.
  • Nous en avons discuté en classe. Pourquoi, tu es jaloux ? Je ne te savais pas comme ça, le taquina-t-elle en lui offrant des battements de paupières faussement intenses.
  • Arrête, tu me dégoûtes.

Jena éclata de rire. Il y eut un instant où leurs prunelles se remplirent de soleil. Malgré ce qu’elle était, la brune avait toujours réussi à décrocher des sourires à Sky. Aussi minime qu’elle soit, leur complicité existait. Face à eux, une fenêtre se brisait par les éclats des grêlons.

  • Oui, c’est mon ex, répondit Kimi d’une voix plutôt sèche. Oh, coucou… - Un copain de Gordon l’avait salué - ... mais on s’entend très bien.
  • C’est fou, ça, mais j’imagine que c’est mieux ? Pour ma part, je ne parle plus à aucun de mes exs.
  • Ah ? s’étonna-t-elle en jetant un coup d'œil rapide à Sky, puis en faisant un signe à deux filles pour leur rendre la pareille.

La nouvelle arrivante pencha la tête, interpellée par les nombreuses personnes qui l'accostaient.

  • Que j’y pense, réfléchit Laure à voix haute. Si tu étais au Japon… Cela ne signifie-t-il pas que tu es sortie avec des asiatiques ? la questionna-t-elle avec une légère malice et une aisance qui pesait sur les épaules de sa meilleure amie.
  • C’est vrai ce qu’on dit ?? s’amusa Faye, en mimant quelque chose de minuscule avec ses deux doigts.
  • Je préfère vous laisser le plaisir de découvrir la bouffe asiatique par vous-même !
  • Hey, Alex. Je propose qu’on aille vérifier sur Steve, ronronna malicieusement Selim.
  • … Quelle brillante idée, dit-il, une folie égayant ses traits habituellement fades.
  • Yo, Kimi.

Cette fois, un compatriote lui lançait un peace. La blonde y répondit en faisant de même et en pinçant les lèvres. Jena croisa les bras sur la table et s’avança comme pour mieux la voir. Elle l’analysa plusieurs fois avant de parler :

  • Tu m’as l’air sacrément people, lui fit-elle remarquer.
  • ... Pas tellement, répondit-elle d’une mine boudeuse.

La brune en face réfléchissait à toute allure.

Qu’est-ce qui lui valait sa popularité ? Sa place parmi les Richess ?

  • Je connais juste des gens…
  • Comme Ulys ? C’est un mannequin après tout.
  • Ah non. Je le connaissais d’avant.

Comment cette fille s’était-elle intégrée parmi eux ? Laure lui avait bien parlé de la gifle avec Sky, mais cela la titillait. Sans compter qu’elle lisait dans les yeux de la blonde qu’elle n’avait pas totalement conscience de cet engouement. Au contraire, elle avait même l’air embêtée de la remarque, un coucher de soleil se dessinant sur ses joues au plus Jena la fixait. Le côté investigateur de la brune reprit le dessus : il y avait des mystères à éclaircir. Sky le sentit venir, il ne put s’empêcher d’intervenir.

  • Ouais, enfin… Tout est relatif, chercha-t-il à amoindrir l’histoire, avec peu de succès, car il jeta un froid dans le groupe, notamment à cause du regard que Kimi lui octroya. C’est bon.. Je rigole.
  • Tu rigoles, mais Kimi s'est bien adaptée parmi nous, se manifesta Loyd, pour rattraper le coup. Tu es comme une Richess, maintenant, lui sourit-il dans l’espoir de la voir faire pareille.
  • C’est une Richess, rectifia Alex.

Enfin une remarque qui la redora.

C’était vrai.

Vu les antécédents de leurs parents et sa place dans le groupe, elle pouvait se considérer comme telle. Elle se fit un peu plus grande sur sa chaise.

  • … Pourquoi ? Que font tes parents exactement ? investiga-t-elle, encore.

Mauvaise piste. Jena ne pouvait savoir ou même envisager les liens qui unissaient ses parents, Dossan et ceux des Richess. À aucun moment, elle n’aurait pu imaginer que Kimi était la promesse qui les reliaient tous. Non, elle n’aurait pu et ça lui fit un bien fou.

  • Mon père adoptif est écrivain, mais ça n’a rien avoir avec ça… D’ailleurs, je… ne pense pas qu’on puisse… en parler à n’importe qui ? laissa-t-elle traîner la question en cherchant faussement une réponse dans les yeux de ses camarades.

Tout doucement, un fossé se creusa dans une de ses joues. Pour une fois, Kimi avait les cartes en main. Un bref instant, une couronne imaginaire se dessina au-dessus de sa tête : elle avait le pouvoir. Jena avait le regard rond et les bras croisés. Les autres avaient perdu leur langue, ne sachant d’où exactement venait le malaise qu’ils ressentaient. Depuis sa table, Ulys reconnut l’expression terrible qui ornait son visage. Le diable était subtilement de sortie. Il se leva pour la rejoindre, ce qui coupa encore une fois tout le groupe.

La main qu’il posa sur son épaule la réveilla :

  • Dis, j’ai une question, tu es certaine qu’on ne peut pas le faire ce mercredi, finalement ? vint-il avec l’excuse des répétitions.

Sans pour autant prendre conscience du mal l'envenimait, Kimi fut si soulagée de le voir à ses côtés qu’elle lui consacra un geste de tendresse. Leurs doigts se croisèrent. Sky glissa sa langue contre ses dents.

  • Dis, ça te trouerait le cul de rester à ta place ?
  • … Quoi ? s’interloqua Ulys qui, malgré le choc, glissa un œil vers Kimi.

Elle vit blanc.

  • Tu vois pas qu’on mange là ? Qu’on discute tous ensemble ? C’est déjà la deuxième fois que tu viens nous couper durant le repas.

Puis, rouge.

  • C’est franchement pas le moment, tu me casses les oreilles.
  • … Mais t’as un problème, toi… lâcha Kimi, effarée.
  • Kimi, c’est bon, essaya Ulys de la calmer en glissant sa main sous son bras.

La mâchoire décalée, Sky s’efforça dans un premier temps de ne rien ajouter. De manière inexplicable, il se consumait de rage.

  • T’as un vrai problème ! haussa-t-elle la voix en se levant de sa chaise, visiblement écoeurée.
  • Kimi…
  • Quoi, Kimi ?! Tu as vu comment il te parle… ?
  • Je parle à qui je veux comme je veux.

Elle tourna la tête dans sa direction, la bouche grande ouverte à cause du choc. Elle sentit son cerveau s’électriser.

  • Ça va pas dans ton crâne ?? Tu as pas…
  • Je fais ce que je veux.
  • Mais non !
  • Je te dis que si ! Si j’ai pas envie de le voir à cette table, il disparaît de ma vue, point barre.
  • … Ah bah oui ! On l’a vu ça ! Par contre quand c’est toi, tu peux ramener qui tu veux !

Jena se pourlécha les lèvres, puis les retroussa, toujours les bras croisés. Elle hocha de la tête, comprenant qu’elle venait de devenir l’un des enjeux principaux de la dispute. Sky resta tel un poisson hors de l’eau, la bouche béante, un court instant.

  • Tu te prends pour qui sérieux ?!
  • Putain, dévia-t-il la tête, arrête de gueuler.
  • Mais c’est toi qui gueule ! A faire ton petit… ton petit chef, là ! Tu te prends pour qui, Sky ? C’est mon ami…

Il se leva d’un coup, fort agressivement. Ulys se mit devant Kimi par réflexe. Une désagréable sensation, semblable à celle ressentie dans un ascenseur, le traversa. Il eut la l’impression de tomber, son cœur s’accélérant quand la lourdeur des regards des élèves de Gordon s’abattirent sur ses épaules. Aucun n’avait bougé. Il se sentit pourtant écrasé, déchiqueté par la ferveur qu’ils y mirent. La blonde lui apparut soudainement inatteignable, d’immense murs l’entourant. Il n’était qu’au pied de l’escalade.

Pour pallier à sa nervosité soudaine et restaurer l’ego qu’il venait de perdre, il étouffa un rire nerveux. D’un coup de tête dans le vide, il provoqua celui qui semblait avoir la même place que lui au sein de Gordon :

  • Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? s’adressa-t-il à Ulys en ouvrant ses bras.

Comme s’il allait se laisser intimider. Ce mannequin l’humiliait déjà assez au quotidien. Il se trompait de personne. La vraie leader se trouvait sous son nez depuis le début. Elle serra un poing.

  • Eh oh, t’es pas le chef ici…

Elle l’agaçait à vouloir prendre le dessus.

  • Détrompe-toi…
  • Mais non ! T’es rien du tout…

Sky tapa sa main contre son torse.

Elle se trompait.

  • T’as raison, Kimi ! Je suis pas le chef ! Moi, ici je suis le ROI !!! Et il y en a qu’un dans cette école ! C’est MOI !! Et si t’es pas contente : ciao !

Le cri de rage laissa place à un long silence. Kimi déglutissant, Ulys la tint entre ses mains pour la retenir de faire une bêtise. Sky vit autre chose.

Quand allait-il la lâcher ?

Il poursuivit :

  • Donc… Quand je te dis que je veux pas te voir sur le temps de midi, s’adressa-t-il au mannequin. Tu déguerpis.
  • … Très bien, répondit ce dernier qui à aucun moment ne laissa deviner un signe de faiblesse.
  • Faudrait peut-être qu’on revoit les règles.

Kimi avait balancé ça dans le vent, d’un calme étonnant.

  • Parce que tu te sens plus péter, mec. Le roi ? répéta-t-elle avec dédain. T’as cru que c’était Noël ? Le seul poids que tu as dans cette école c’est d’être président des délégués. Et tu sais quoi ? T’as été choisi juste pour le seul autre titre que tu possèdes. Waw, premier des Richess ! Si c’est ça être un Richess, je préfère encore ne pas en faire partie, lâcha-t-elle en s’en lavant les mains. Et je suis gentille, parce que la vérité c’est plutôt que tu as été choisi pour ta belle gueule. Moi au moins, j’ai eu des vrais votes…
  • Des votes qui viennent principalement des personnes que tu as réussi à amener ici grâce à mon père.

La claque. Dans tout le calme qui lui seyait à chaque fois qu’elle gérait un conflit, Laure restait assise à sa place, indétrônable. Les jambes croisées, elle ne prit même pas la peine de se lever. Elle glissa subtilement ses doigts dans sa chevelure, montrant ouvertement son mécontentement. S’il y avait quelqu’un d’encore plus contrarié, ce fut Loyd. Il fronçait les sourcils à côté de sa petite amie, mais c’est son comportement qui sembla l’agacer. Elle s’en ficha. Laure, d’un visage neutre, fit face à sa meilleure copine. L’écart de puissance était trop grand.

  • Donc, je ne pense pas que tu sois la mieux placée pour lui donner une leçon.

Elle était piquante.

Kimi se sentit subitement minuscule. Alors, elle savait pour son marché avec Chuck ? La honte lui monta aux joues. La peine suivit, mais elle la cacha du mieux qu’elle put.

  • Sky… souffla-t-elle. Tu es certes le plus puissant dans cette école, mais ce serait génial que tu calmes tes excès de confiance.
  • … Tu pourrais me…
  • Vous me cassez les oreilles. A un moment donné, soit vous vous parlez, soit vous arrêtez, mais je n’en peux plus de vos conneries, répondit-il d’un ton qu’on ne lui avait jamais entendu.
  • Nous devrions en discuter en conseil, proposa Nice qui profita de l’instant de réflexion pour se mettre en avant.
  • Voilà une bonne idée, acquiesça Laure, froidement.
  • J’aimerai juste… que ça ne se passe pas dans les cris… J’ai aussi envie de vous parler de quelque chose.
  • … Comme quoi ? lui demanda Loyd qui inconsciemment sortit de son silence, car il s’inquiétait du sujet à aborder.

Nice planta ses prunelles noisette dans les siennes. Ils en discuteraient en temps voulu. Alors que Kimi regardait ses genoux, livide et que Sky était enfermé dans ses pensées, Alex entourait Faye de son bras. Selim faisait le poisson avec ses lèvres, extrêmement mal à l’aise. La tension dans le groupe était plus que palpable.

Ce fut Jena qui cassa le rythme, qui au delà de ne pas se sentir à sa place, ne voulait pas se sentir à cent pour cent concernée :

  • … J’imagine que ce n'est pas la peine que j’y assiste… ? Vu que je fais pas partie du groupe ? demanda-t-elle sans une once de colère dans sa voix.
  • Non, pas besoin, lui répondit Sky qui se tenait le front depuis le bout de ses doigts. Tout ça… On peut en discuter juste tous les deux.

Elle haussa les épaules en guise de réponse, si bien que l’une d’elles toucha presque celle de Sky. Il ne la chassa pas. De toutes ses forces, Kimi priva ses yeux de larmes. L’un à côté de l’autre, ils ressemblaient déjà à un vieux couple. Elle les ravala, plus que par fierté, parce qu'il ne s'agissait pas de l'endroit pour pleurer.

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