Chapitre 41 : "A secret Life" - Part II.
Le manoir des Hodaïbi s’était transformé en un cœur palpitant le temps d’une matinée. Le sang qui jaillissait en son sein pour le mouvoir perdit de son débit au fur et à mesure que le soleil montait haut dans le ciel. Avec les pleurs, le calme était revenu, apaisant les membres à l’intérieur, mais pas ceux y entrant.
Selim se glissa dans le grand hall qui accentuait sa petite taille, gardant un œil derrière lui, et se planta devant les portes ouvertes qui menaient directement au salon. Il croisa directement le regard de Faye, en pleurs. Rien n’allait en ce jour. Il tendit sa main dans le vide et d’une voix basse, chuchota : Viens. Katerina étendit son cou pour mieux voir la minuscule main qui s’accrocha à celle de son fils. Avec douceur, ce dernier encouragea sa belle à se montrer. Des yeux aussi grands et larmoyants qu’un lémurien, Nice apparut à ses côtés, le col de son manteau remonté jusqu’à son menton. Elle y aurait bien enfoncé tout son visage, prise par la gêne, une fois arrivée. Les battements répétitifs de ses paupières allaient tous vers le sol. Elle était incapable de relever le regard, timide à l’idée de rencontrer celui de la mère de Selim. Il garda l’étreinte pour la mettre en confiance.
- Ahem, s’éclaira-t-il la gorge. Voici Nice.
Elle eut un élan de courage et jeta un œil rapide dans le salon. Elle vit Faye, décomposée. Celle-ci eut une grimace en la trouvant dans le même état. Elle laissa échapper une plainte aiguë. Les deux copines ne pouvaient se voir malheureuses, la rousse décidant de lui foncer dans les bras, gardant les pleurs qu’elle ne voulait pas lui voler. La chaleur qu’il l'entourait obligea Nice à craquer. De ses petites mains, elle agrippa les épaules de Faye et ne retint plus sa tristesse.
- Petite sœur, s’en alla Alex qui eut du baume au cœur de les voir se réconforter l’une et l’autre, sans même savoir au préalable ce qui les rendait meurtries.
Elliot et Katerina se réunirent, étonnés, quand ils observèrent le blond se diriger vers la fille de Michael. Il la souleva du sol avec aisance. Elle n’opposa aucune résistance, ayant l’habitude que ses pieds s’envolent au contact d’Alex. Il la tenait fort.
- Hey, doucement, se fâcha Selim qui vint s’enrouler autour de la taille de son amoureuse alors qu’elle était encore en apesanteur.
- Si tu pleures, je pleure, s’en alla Faye qui déposa ses mains sur ses joues.
Un gros “hic” prit le dessus sur les trois copains qui entouraient Nice. Les bras autour du cou d’Alex, elle sentit ses pieds vouloir regagner le parquet, perdant équilibre. Faye maintenant son regard en attente de réponses.
- Putain, les gars, lâchez-là… Chaque fois, c’est pareil…
- Selim. Ton langage.
Il frissonna. Pas réellement parce que sa mère l’avait repris, mais parce qu’elle s’était approchée. Déposée, Nice replaça ses vêtements défaits par l’étreinte de ses deux grands amis. Elle se rangea, droite, croisant la beauté de Katerina. Depuis ses talons, celle-ci s’approcha, sublime dans une robe fourreau. Elle était sombre, comme sa longue chevelure attachée en une queue. Selim guetta la réaction des deux, devinant l’anxiété qui prenait Nice. Il voulut intervenir, mais sa mère ne lui en laissant pas le temps. Quand elle leva sa main, elle fut étonnée de voir Nice plisser les yeux.
Délicatement, elle tapota le haut de sa tête, ce qui eut d’abord pour effet de la raidir davantage, jusqu’à ce qu’elle se rende compte qu’elle l’avait approché avec toute la bienveillance du monde. Le contact se fit. Selim eut une émotion.
- Enchantée, Nice, dit-elle en la couvant d’un regard aussi chaleureux qu’un feu de cheminée. Je sens bien que tu es tracassée de venir ici à l’improviste, mais sache que tu es la bienvenue et pour autant de temps que tu veux, d’accord ?
Elle retrouva dans ce “d’accord” une part de son amoureux. Cela la réconforta. Les grandes eaux se renouvelèrent.
- Oh, pouffa Katerina, attendrie par les pleurs si honnêtes de sa belle-fille. Mais que se passe-t-il pour que tu sois si triste ?
- Je… - elle hoquetait -... Je n’arrive même pas à me présenter correctement… !
La petite Challen gagna le cœur de l’ensemble. Elliot se rapprocha également, curieux de voir de plus près la fille de son meilleur ami. Elle n’était plus qu’une mine rougie. Quand Faye se raccrocha à son dos, Nice accepta le câlin et par pur instinct maternel, Katerina fit de même, avec minutie.
- Je vais mourir, dit Selim en s’affaissant, calant chacune de ses mains sur ses genoux, parce qu’il était ému.
Nice s’embrasa au léger contact avec sa mère qui respectait malgré tout une distance, mais ce qui la rapprochait de Faye physiquement. En la voyant sourire avec le cœur d’une mère, cette dernière se sentit en lieu sûr. Un semblant d’embrassade les tenues toutes les trois, la rousse laissant dodeliner sa tête sur l’épaule de Katerina. Elle resserra alors ses bras sur les deux filles.
- Moi aussi, dit Elliot, la gorge serrée.
- Voilà pourquoi j’aime autant les femmes.
La réflexion d’Alex arracha un rire à la troupe et permit à l’ensemble de prendre congé dans les fauteuils. Bien entourée et parfaitement accueillie, Nice se sentit entre de bonnes mains et à l’aise de raconter ce qui l’avait amené à fuir sa maison.
***
En allant récupérer ses enfants le vendredi soir, Dossan se retrouva démuni. Leroy et Kimi ne s’adressaient presque plus la parole, sauf en cas de pure nécessité. Il ne connaissait pas la nature de leur conflit, mais il finirait par crever l'abcès de lui-même s’ils tardaient à se rabibocher. Il y avait alors une mauvaise ambiance permanente chez les Dan’s qu’il n’arrivait à améliorer. Décidément, l’adolescence lui donnait du fil à retordre. Kimi avait l’air particulièrement mal en point. Des cernes sous les yeux, le sourire bas, elle manquait de vie. Cela lui crevait le cœur.
Le soir, ils faisaient la vaisselle tous les trois, comme à leur habitude, à l’exception qu’ils ne parlaient pas. Le journal parlé courait en fond dans la grande pièce qui réunissait la cuisine et le salon. Dossan frottait sans grande rigueur une assiette quand il fut interpellé par les news qui hurlèrent au flash info :
“ Il y a quelques mois encore, nous apprenions qu’Elliot Fast et Katerina Hodaïbi entretenaient une relation amoureuse. Ce soir, à notre grande surprise, ou bien devrions-nous croire en une rébellion déguisée, nous avons obtenu des informations qui devraient vous régaler, non pas une fois, mais deux fois plus que les nouvelles de cet été.”
- Ils ne peuvent pas les laisser tranquilles, grogna Leroy qui arrêta de frotter pour regarder l’écran.
“Alors que les candidats pour les listes électorales viennent d’être révélés et que parmi eux, nous retrouvons Eglantine Akitorishi, cette dernière a profité d’une interview pour officialiser son nouveau couple avec Michael Challen. Oui, comme vous, nous ne nous en serions pas douté. Chez eux, il semblerait que la case divorce, c’est comme au jeu du destin, elle peut être sautée, s’en allait à coeur joie la présentatrice.”
Dossan se figea. Il se tourna à peine, une tasse en main, que la suite des propos de la dame vinrent le heurter :
“ Tant que nous en sommes à parler de Richess et de divorce, d’autres ont décidé de procéder, plus traditionnellement, c’est-à-dire par étapes. Eh oui, à ce rythme, cela ne relève plus de la surprise, s’exprima-t-elle en haussant les épaules.”
Le passage d’un oiseau devant les portes-fenêtres du salon fit sursauter Kimi. Il faisait sombre dehors. Le bruit de la vaisselle s’écrasant au sol lui arracha un cri et envoya Leroy à l’autre bout de la pièce, pris de peur. Ils suffoquèrent, mais pas moins que leur père qui avait la respiration lourde. Il y avait un éclat dans ses yeux à cause de la lumière bleu de l’écran plat.
“ En effet, voici l’autre grande nouvelle du jour : Blear Makes divorce de son mari, et ce dans la règle de l’art.”
Cette phrase le tint en haleine, fixée sur les images du couple qui sortait du tribunal. Ils se faisaient assaillir par les journalistes.
Ce fut John qui se prononça :
- Oui, nous divorçons, car nous avons jugé… - il marqua une pause et regarda la caméra -... Blear et moi, en adultes, que nous avions fait notre temps.
Il bloqua ensuite le micro harceleur d’un mouvement bien placé. Il ne répondrait plus à aucune autre question et encore moins celles concernant le statut de Richess. Ils disparurent tous les deux, dans la même voiture, démontrant qu’ils avaient été capables de gérer cette affaire en bons termes. Même quand Blear ferma la portière et que les images revinrent sur la journaliste, Dossan ne quittait pas la télévision des yeux. Leroy, à peu de choses près, était dans le même état. Il se questionnait sur les conséquences de ce divorce, sur ce que cela impliquait pour son couple : N’était-ce pas une bonne chose ?
Longuement, d’une mine abattue, dont elle ne se cacha pas, Kimi observa son père. Il avait le regard brillant, mais de tristesse ou d’espoir ?
- Papa… ? l’appela-t-elle, un drôle de sentiment la parcourant.
Il sursauta.
- Ah, oui… ! Mince, la tasse…
Vite, il se pencha pour constater les dégâts au sol. En ramassant les morceaux, ses doigts tremblaient. Kimi le vit. Et dire qu’il n’avait pas voulu lui répondre quand elle lui avait demandé si elle l’aimait encore. Quelle connerie. La colère prit le dessus. Tandis qu’il ramassait minutieusement les bouts de céramique, elle passa son chemin et rejoignit le hall. Dossan releva la tête. Il ne comprit pas l’élan d’agressivité qui la poussa à claquer la porte derrière elle, ainsi que de marteler l’escalier à pas d’éléphant.
- Qu’est-ce qui se passe… ? lâcha-t-il avant de se hâter à l’étage. Kimi ? l’interpella-t-il depuis le couloir, car elle s’était enfermée dans sa chambre.
Leroy l’avait suivi à pas de velours, d’un air blasé. Dossan le questionna du regard, alors qu’il vint s'adosser au mur près de la porte de sa sœur.
Il plissa légèrement les lèvres et regarda ailleurs :
- … Tu sais pas ?
- Je sais pas, “quoi” ?
- … Qu’elle est amoureuse de Sky ?
Sa tête s'enfonça au plus bas entre ses épaules quand la porte s’écrasa violemment contre le mur. Quand elle apparut, Kimi avait la clenche en main et les canines apparentes.
- Répète ? tonna-t-elle, les pupilles rétractées.
- Tu…
- Répète !!
- Les enfants…
Au petit sourire qu’il lui envoya, elle se rua sur lui et le cloua contre un mur, ses doigts enfoncés dans ses épaules.
- Je l’aime pas, cracha-t-elle hors de sa bouche. Ça n'a rien avoir avec ça.
- … Alors, c’est quoi, hein ? lui répondit-il d’un ton méprisant, n’hésitant pas à relever le nez vers le sien.
- Commence par te demander ce qui va advenir de toi et Lysen, maintenant que…
Il s’apprêtait à lui envoyer un coup de genou dans le ventre.
Dossan vint les séparer.
- Ça suffit !
L'essoufflement le prit, ses ados se regardant en chien de faïence.
- Bon sang, soupira-t-il, son cœur galopant à toute allure. Je comprends bien que vous êtes tous les deux touchés par les nouvelles, chacun à votre manière, mais ce n’est pas une raison…
- Parce que tu n’es pas touché, toi ? lui balança Kimi, d’un regard qu’il n’aimait pas.
Celui-là, il le connaissait d’antan et Dossan ne supportait pas quand ce diable s’emparait d’elle.
- Rentrez dans votre chambre tous les deux, je veux plus vous voir jusqu’à demain matin. Que ça saute ! s’efforça-t-il de jouer le père autoritaire jusqu’à ce qu’ils s’exécutent.
Il resta un moment, debout dans le couloir, afin de veiller à ce qu’ils restent bien en place.
Si cela le touchait ? Il avait envie de rire. En fait, du moment que cela concernait un Richess, peu importe lequel de ses anciens copains ou de leurs enfants, chacun d’eux se voyait touché par la situation.
***
Nice avait des sursauts.
- Mon père… alors que… Tout le pays vient d’apprendre qu’il s’est mis avec la mère de Loyd et alors que ma mère à décamper… Tout ce qu’il a trouvé à faire, c’est d’inviter cette femme à la maison…
Ce n’était pas évident pour Elliot et Katerina de l’entendre parler ainsi d’Eglantine, mais ils ne pouvaient que se mettre à sa place.
- On dirait qu'ils avaient tout prévu… L’annonce, puis le fait que je la rencontre, alors que je n’ai pas eu le temps d’y réfléchir correctement…
- Quel imbécile, jura Katerina dans ses dents.
Elle surprit tout le monde.
- Excuse-moi. Je ne devrais pas parler ainsi de ton père.
- Non. Il est con ! se lâcha-t-elle après l’avoir entendu.
- Ah, je…
Cela arrachait les entrailles de son meilleur ami qui ne fut pas si étonné de recevoir un appel. Quand on parlait du loup…
Il se leva pour répondre à Michael qui ne lui laissa pas le temps d’en placer une :
- Dis-moi qu’elle est chez Katerina… Je sais que tu es chez elle et n’essaye pas de mentir, tu me l’as dit le week-end passé. J’ai encore le message.
- … Bonjour, d’abord, lâcha-t-il, estomaqué.
- Elliot, vraiment, je suis inquiet. Réponds-moi.
- Non… Elle n’est pas ici.
Nice releva brusquement la tête. Elliot eut beau lui faire un signe que tout allait bien, elle ne fut pas rassurée en voyant quelques secondes plus tard son visage se décomposer. Il lui avait à peine répondu : "d’accord", que Michael lui raccrochait au nez. Le sentiment d’avoir foiré son coup gagna le roux. Il réfléchit.
- He, merde.
- .. Qu’y a-t-il ? l’interrogea expressément Nice.
- C’était ton père et… il m’a demandé si tu étais, ici, sans spécifier qu’il parlait de toi… Et j’ai dit que non, se mordit-il les lèvres. Je suis désolé, je suis trop con.
Quelque part, elle eut envie de lui donner raison, mais elle n’était pas en état de s’énerver contre Elliot Fast : son père arrivait et la panique la prit à la gorge. Elle eut à peine le temps de réfléchir à toutes les tentatives de fuite possible, Faye, Alex et Selim tentant de la calmer, qu’elle entendit le bruit de sonnette retentir dans la maison. Elliot attrapa son visage dans toute sa paume avant de prendre ses responsabilités en mains. Il se dirigea vers la porte, un poids lourd sur la conscience.
Dans le hall, une voix claire et déterminée s’éleva :
- Où est-elle ?
- Michael…
Katerina s’éleva et fit signe aux enfants de ne pas bouger. Ils n’auraient pas osé vu l’expression de son visage. Michael, dans son long trench-coat, se fraya un chemin, plus inquiet qu’énervé, jusqu’à l’entrée du salon. Le bras étendu de son ancienne amie, étendu de tout son long dans l’entre-porte, lui barra la route. Elle avait l’autre main sur sa taille.
- Kata… Qu’est-ce que tu fais ? demanda-t-il, alerte, en tendant le cou pour essayer de voir sa fille.
- Je t’empêche de faire une connerie.
- Laisse-moi passer, devint-il plus impressionnant.
- Ma maison. Je décide.
Elle vint carrément coller sa poitrine contre son torse pour le faire reculer. Depuis le salon, le quatuor d’ados l’observait en cachette avec des yeux ronds. Ils surent à cet instant précis qu’ils pourraient toujours compter sur Katerina Hodaïbi pour les défendre en cas de pépin. Michael ne supporta pas de ne pas l’avoir dans son champ de vision.
- Je veux juste la voir ! Je suis inquiet !
- Elle va bien, répondit-elle d’un ton ferme. Enfin… tout dépend de comment on voit les choses.
Cette simple réflexion replongea Nice dans la peine. Quelqu’un prenait enfin pleinement son parti. Même sa mère n’avait pu le faire, aveuglée par la haine et dévastée par la tristesse. Elle avait laissé sa fille de côté. De grosses larmes dégringolèrent sur ses joues.
- Qu’est-ce que tu insinues ? se vexa-t-il alors qu’Elliot derrière tournoyait dans le couloir, les mains sur la tête, car il vivait un des pires moments de sa vie.
Il ne voulait prendre parti pour personne.
Plus que ça, il ne pouvait pas.
- Que je n’ai jamais fait pleurer mon fils comme ta fille a pu pleurer aujourd’hui, Michael ! Et je n’insinue rien. Regarde-moi bien dans les yeux, je te le dis en face : tu lui as fait du mal.
- Tu ne sais pas…
- Oh, si je sais bien des choses ! Je sais que tu as trompé ta femme et je sais aussi que tu as fait des erreurs, dit-elle en le pointa du doigt. Je ne doute absolument pas du fait que tu en aies parfaitement conscience et que tu n’as certainement pas voulu en arriver là, mais…
Katerina reprit sa respiration, le regard planté, plein de couteaux, dans celui de son vieil ami.
- Comme j’ai pu le dire à Eglantine, vous avez tout fait à l’envers.
La première pensée qui traversa Nice à cet instant fut qu’elle aussi, savait. En fait, tout le monde l’avait su avant elle ?
- Et je refuse de vous féliciter pleinement pour vos retrouvailles quand vous avez blessé autant de gens avec vos actes ! Vous auriez dû, certes, en discuter, car ces choses-là se font à deux, mais delà à…
Elle pensa au fait que sa fille les écoutait.
- Vous avez mal fait les choses.
- C’est pour ça que nous… chercha-t-il à se défendre.
- Que vous avez décidé de quitter vos partenaires respectifs et que l’avez annoncez, oui. Bien. Cela dit, tu ne crois pas que c’est un peu rapide pour ta fille de rencontrer Eglantine le jour d’après que ce soit devenu officiel ?? Tu as réfléchi une seconde ?! Je pensais que tu étais le plus intelligent d’entre nous, mais visiblement…
- Arrête de tout ramener au passé ! Je pourrai faire la même chose !
- Je te défie de le faire !
Tous les deux face-à-face, ils se tenaient tête.
- Tu es un idiot fini, Michael. L’amour t’aura fait perdre la tête et si tu continues sur cette voie, tu vas finir par perdre ta fille aussi. C’est ça que tu veux ?!
Pour le réveiller, cet entêté, il fallait des morts percutants. Une main de part et d’autre des chambranles de l’entrée du salon, il baissa les yeux, abattu. Michael se rangea dans le silence. Il releva ensuite la tête vers le plafond. Le regret le rongeait. Katerina le vit. Cela aura moins eu le mérite de l’apaiser.
- Fais-moi confiance et laisse-lui un peu d’espace, dit-elle d’une voix bien plus calme.
Il recula et fit un geste qui marqua sa frustration.
- … Tu ne comprends pas…
Sa voix se cassait. Katerina eut du mal à retenir la montée de larmes en le découvrant si pitoyable.
- J’ai l’impression que je l’ai déjà perdue, pleura-t-il, même s’il étouffait ses sanglots. Qu’est-ce que je suis censé faire… ? La laisser ici, toute seule… ?
- Elle n’est pas seule.
- … Quoi, ça y est, tu as décidé de la prendre sous ton aile…
- Alors, premièrement, oui. Mais ensuite, je ne parle pas que de moi. Elle a des amis. Des Richess, Michael.
La manière dont elle l’amena lui fit quelque chose.
- Tu te souviens ? Quand c’était nous ? Et qu’on faisait tout pour fuir nos parents ? Hum ?
- … Oui, murmura-t-il à peine, réalisant ce qui se déroulait.
Il hocha plusieurs fois de la tête en recouvrant tout le bas de son visage de sa paume. Le supplice dans ses yeux ne put qu’attendrir son amie. Alors qu’elle ne le voulait pas, Nice ressentait la même chose en l’entendant pleurer. Il en était à ce point-là de l’inquiétude.
- J’aurais juste voulu lui dire… que…
Katerina lui laissa au moins cette parole.
- Que je regrette d’avoir tout fait de travers et que je comprends qu’elle m’en veuille, parce que je suis vraiment… Comme père, je n’ai pas…
Pour l’empêcher de dire une bêtise, Elliot agrippa le poignet de son ami. Les larmes reprirent de plus belle.
- Je vais faire mieux. Je te promets que je vais faire mieux et je… je te tiendrais loin des secrets, parce que je sais… que c’est ça qui t’a fait le plus de mal… Que je mente. Je suis désolée, Nice.
Il toussa plusieurs fois ses pleurs.
- Je suis désolée de te faire vivre cette vie-là, dit-il en essuyant le dessous de son nez. S’il te plaît… Je sais que c’est égoïste, mais… Non, laisse-moi finir, Kata, dit-il en attrapant doucement sa main. Reviens-vite vers moi, parce que… Je ne supporte pas quand tu es loin. Je suis prêt à entendre tout ce que tu veux me dire.
La mustang sourit.
D’un tapotement sur l’épaule, elle l’invita à s’en aller.
- Je t’aime, souffla-t-il, mais assez fort pour que cela atteigne les oreilles de Nice.
Dans son coin, cette dernière restait à l’affût en écoutant son père quitter le hall. Elliot l’accompagna à l’extérieur. Il devait le soutenir. Même au fond du trou, la petite souris qu’elle était se rendit compte de toute l’amitié qu’il y avait entre les deux hommes. Il en allait de même pour Katerina qui avait osé lui dire ses quatre vérités. Seule une vraie amie pouvait se le permettre. Et ils avaient vécu comme ça durant des années, sans se voir. Nice comprenait. Bien sûr qu’elle comprenait, même les couples qui se réunissaient. Elle savait, car elle aimait Selim de toutes ses tripes. Ce dernier lui tenait la main et veillait à son bien-être, autant que ses deux amis qui vivaient aussi une histoire incroyablement illégale.
En fait, s’il y avait une chose qu’elle ne pouvait comprendre et mesurer, c’était l’amour de son père. En seize ans, il ne lui avait jamais exprimé, comme il l’avait fait en cet instant. Elle n’arrivait pas non plus à croire qu’autant de larmes pouvaient se déverser de son corps. Si elle avait pu, après l’avoir entendue, Nice aurait préféré les garder secrètes, mais comme son père l’avait précisé, c’était de ça, dont elle n’en pouvait plus : des mensonges, mais encore de cette vie secrète qui les rongeait tous.
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