Chapitre 43 : Coups de fouet.
Depuis sa création, Saint-Clair avait vu défiler un paquet de divas au sein de son établissement. L’argent ou le pouvoir avaient cet effet. Ils poussaient ceux qui les détenaient à entrer dans la fabrique des gens qui ne voyait pas au-delà de leurs nombrils. Il était dur de résister pour les membres appartenant à l’élite de ne pas céder au confort, au luxe, à l’extravagance, mais alors s’ils possédaient les deux…
L’école avait été foulée par de nombreux riches adolescents en quête d’ascension. Seuls quelques privilégiés, tout en haut de la hiérarchie, gagnaient en réalité cette course. De manière injuste, par la simple existence d’un statut. Telle était la compétition dans ce milieu.
Parmi les plus grands, tous ne prenaient pas le chemin du tapis rouge, l’ombre coexistant avec la lumière.
Si Blear Makes à l’époque s’était vu pousser sous les feux des projecteurs, il n’en allait pas de sa décision. La Richess avait toujours agi discrètement et humblement. À l’inverse, l’on se souvenait de Chuck Ibiss, l’exemple parfait de quelqu’un croulant sous la fortune et la reconnaissance. Il lui suffisait d’un claquement de doigts, d’une étincelle, pour que ses souhaits soient exaucés. Là où l’homme aurait pu faire des ravages, il avait souvent accordé ce pouvoir aux autres.
De cette manière, il avait préféré céder une douce prétendante, pour finir au bras de Priss Duchateau. Saint-Clair en avait vu passer des divas, la duchesse en faisant partie. Alors que la capricieuse ne montrait le bout de son nez que quelques fois sur l’année, lorsqu’elle mettait un pied dans l’enceinte, elle rassemblait tous les regards.
“Pétasse”.
C’était l’insulte préférée de Marry Stein à son égard. Les deux adolescentes ne se ressemblaient en rien. Elles étaient comme le jour et la nuit, leur seul point commun résidant dans le fait de briller haut dans le ciel, si l’on ne comptait pas Chuck Ibiss. Le garçon le plus influent, et bientôt l’homme, était sorti avec les deux filles les plus égocentriques que Saint-Clair n’avait connues. Leur passage restait gravé dans les annales, si bien qu’il fallut attendre plus de dix ans pour qu’une autre marche sur leurs pas. Dix-sept ans, précisément, pour que Laure Ibiss piétine leurs traces, à défaut de pouvoir les effacer.
De bon matin, la Richess arriva, dans une courte jupe en cuir dont le dessus remontait sur son ventre. Elle était si fine qu’elle paraissait inhérente à sa peau. Sous sa veste de la même matière, un chemisier bouffant ondulait du fait de la brise. Elle avait attaché sa chevelure de manière à ne pas en faire les frais. La découpe ramenait la première moitié de sa chevelure en arrière, une fine tresse joignant les bouts. Le bruit de ses talons claquait contre les pavés. Elle aussi rassemblait tous les regards, comme sa mère autrefois et comme cette femme qu’elle ne supportait pas.
Le temps était gris. Laure avait protégé son regard d’une énorme paire de lunettes noires, ce qui rendait son visage encore plus petit. En dessous de celle-ci, elle pinçait les lèvres sur la boisson qu’elle avait emportée depuis un de ses cafés préférés. L’image de la paille lui échappant et du mouvement qu’elle fit pour la récupérer en bouche, décrocha des mâchoires.
Ça y est, Laure Ibiss avait fini par péter un plomb.
Un élève la dévisagea à la porte d’entrée du bâtiment principal quand elle marqua un temps de pause à leur croisement. Il la laissa passer, obnubilé par la démarche qu’elle présenta au milieu du couloir. Les cours de piscine reprenant, elle avait un sac à déposer dans son casier. Sur le même ton, le carrelage assaillit par ses aiguilles, elle s’y rendit et lâcha ses affaires à l’intérieur.
Quand elle referma la porte, le visage de Loyd lui apparut.
Il avait un fin sourire aux lèvres :
- Salut, mon bébé, l'accueillit-il, ne pouvant empêcher le mouvement de son sourcil qui se arqua vers le haut. Alors, qu’est-ce que tu nous fais de si bon matin ?
- … Je peux savoir de quoi tu parles ? demanda-t-elle en se détournant, alors qu’il se pencha sur la paille de sa boisson chaude pour lui en piquer.
- Hum, fit-il en prenant le temps d’avaler le liquide. Je parle de ton accoutrement…
Laure prit du recul, sans relever sa paire de lunettes alors qu’ils se faisaient face. Elle posa même avant de reprendre la parole.
- Il y a un souci avec ma tenue ?
- Oh… loin de là, la détailla-t-il de haut en bas. Tu es très belle et toujours aussi sexy. Ça te va très bien. Autant dire que je suis ravi, ajouta-t-il, ses pommettes remontant de plaisir.
- Alors…
- L’autre soir, tu pleurais dans mes bras…
Il vit son nez se contracter.
- … Et aujourd’hui, tu as décidé d’en foutre plein les yeux à tout le monde ?
- Ouais et je pense, que c’est ce que je devrais faire tous les jours d’ailleurs. Si ça ne te plaît pas…
Avant qu’elle n’essaye encore une fois de filer, Loyd la bloqua d’un simple pas. Il fouilla dans ses prunelles à peine apparentes derrière les verres sombres. Bientôt, il déplaça sa main sur une des tiges. Laure y mit la sienne aussi par réflexe.
- Tu sais bien que ça ne me pose pas de problème.
- …
- Et ton attitude ne me dérange pas. Si tu as envie de porter des vêtements aussi séduisants, j’accepte. Si tu as envie de défiler de bon matin dans les couloirs, je veux même bien t’accompagner. J’adore quand tu te pavanes parce que tu te sens belle, je ne peux pas être plus fière, mais… je suis quand même déçu de ne pas voir tes jolis yeux.
Il lui enleva les lunettes.
- Tu as pleuré toute la nuit…
- Non.
Laure remonta les “si jolis yeux” que son amoureux aimait tant dans les siens, pour lui révéler des contours rouges et boursouflés.
Quand il s’apprêtait à la contredire, elle le devança :
- Tout le week-end.
***
Ces derniers temps, un rien mettait Laure en colère. Elle qui avait toujours su se contrôler et garder ses émotions au cœur de sa prison froide, n’arrivait plus à se contenir. Elle n’arrivait plus à geler cette chaleur qui bouillait dans ses entrailles et remontait telle la lave d’un volcan jusqu’aux bords de ses lèvres. Ce même remous brûlant la poussant à cracher des mots aussi tranchants que des rasoirs.
Laure se montrait piquante et principalement envers Kimi.
Après chacune de ses remarques pourtant, elle regrettait amèrement, mais sa rancoeur l’empêchait de faire un premier pas vers sa meilleure amie. Tout autant que son égo et sa fierté qui la poussait à se retrancher dans des réflexions de plus en plus dures. Cela la dépassait et Loyd était bien placé pour le remarquer.
Il la comprenait parfaitement, autant sa déception que Kimi ait négociée avec son père et qu’elle lui ait caché, que sa manière d’agir. Lui aussi avait été confronté à des démons très sombres. Il savait que ce qui animait sa petite-amie était incontrôlable. La façon dont elle s’était comportée lors de leur réunion lui avait prouvé une fois de plus qu’elle n’arrivait pas à faire autrement que de provoquer la blonde.
Loyd ne pouvait lui en vouloir, mais il n’acceptait pas non plus qu’elle agisse avec méchanceté, surtout qu’il voyait de l’autre côté la tristesse de Kimi. Cette dernière était impuissante. Ca aussi, il le comprenait.
Il fallait qu’il la prenne entre quatre yeux. Qu’il ait une discussion avec Laure. Le soir même qui avait suivi la réunion mouvementée, il la rejoignit dans sa chambre, comme à leur habitude. Il ne dit rien cependant, préférant la laisser se calmer. Allongé sur le lit, Loyd remarqua rapidement que ce ne serait pas chose aisée.
En sortant de la douche, Laure l’avait à peine calculé. Tandis qu’il révisait sur son téléphone, il la vit lui jeter un bref regard qui en disait long sur son mécontentement. Il n’avait pas été tendre avec sa dulcinée récemment, s’obligeant à lui dire franchement qu’elle n’agissait pas bien. Alors, elle le snobait en guise de vengeance et Laure Ibiss n’était pas du genre à faire les choses à moitié. En plus, de faire mine qu’il était inexistant, elle attirait son attention par le manque de tissu sur sa peau. Elle était à moitié nue, un short en soie rikiki pour bas et un soutien-gorge noir pour haut quand elle s’installa devant sa coiffeuse. Là, elle entama la pénible coiffe de sa chevelure mouillée. Avant même d’avoir pris place, Laure avait pris soin de se pavaner pour attirer son attention.
Loyd s’était obligé à ne pas lever les yeux au ciel.
À la place, il se releva pour la rejoindre dans son dos, plaçant une main de part et d’autre de ses épaules. Depuis le reflet, Laure l’observa décaler sa chevelure pour déposer un baiser dans son cou. En croisant son regard dans le miroir, elle pinça les lèvres tandis qu’il l’entourait. Il attrapa ensuite sa brosse avec l’intention de la coiffer.
- C’est mieux de commencer par les pointes, puis de remonter, lui expliqua-t-elle tout en cambrant le dos.
- Entendu, dit-il en lui souriant à peine.
Délicatement, il s’appliqua à sa tâche, mais en silence. Si elle ne souhaitait pas discuter, alors il ne lui adresserait la parole que pour le strict nécessaire. Apaisée, Laure restait sévère. Elle refusait d’apparaître plus sereine, alors que ces derniers temps, Loyd la reprenait à chaque mot. Et s’il ne disait rien, son visage parlait à sa place. Pourtant, son toucher et ses attentions lui donnaient envie d’oublier. La façon dont il passait ses doigts entre ses mèches de cheveux et dont il en prenait soin pour ne pas lui faire mal, lui plaisait.
- Merci, dit-elle d’une petite voix quand il eut fini.
À son tour, Laure se leva. Elle contourna sa chaise, en gardant une main sur le dossier, voyant que son amoureux l’admirait. Aurait-elle gagné la partie ? En effet, Loyd rêvait de caresser sa taille et de l’embrasser, mais il ne le ferait pas. Il la fit attendre. Alors, elle craqua à sa place. Poussé par ses baisers, il atterrit rapidement sur le lit. Plus fort, tant physiquement que mentalement, il l’arrêta en joignant sa main à la sienne. À califourchon, Laure chercha à continuer.
- … Tant pis, dit-elle en se dégageant quand il refusa.
Il soupira intérieurement et la retint en l’attrapant par les hanches pour qu’elle atterrisse sur ses genoux.
- Capturée, ma belle ! s’exclama-t-il en la serrant fort dans ses bras.
- Non, lâche moi ! C’est pas drôle… ! s’écria Laure en se débattant en vain, ses jambes pédalant dans le vide.
- Alors là, tu rêves.
- Arrête, Loyd.. Lâche-moi, je te…
- Pas tant que tu refuseras la discussion.
- Mais arrête… Tu n’as toujours pas compris ?! Tu ne… Stop ! Non, tu comprends pas… Tu compr…
Au son de sa voix qui craqua, Loyd comprit qu’il était allé trop loin. Laure n’avait pu retenir ses larmes. Elles creusaient leur chemin sur ses joues. Les bras bloqués par son étreinte, elle fut frustrée de ne pas pouvoir s’en défaire. Une injustice naquit en elle. Au lieu de l’exprimer par les mots, elle s’immobilisa.
Loyd regretta :
- Excuse-moi, lui souffla-t-il en déposant son front contre son dos. Je m’y suis mal pris…. Mais… En fait, je voudrais juste qu’on puisse discuter de ce qui se passe en ce moment. Je suis inquiet pour toi, tu le sais ça, non ?
Oui, elle le savait. Simplement, Laure ne voulait pas l’avouer. Elle voulait effacer ces misérables larmes dont elle avait honte. Quand Loyd le fit à sa place, elle eut un pincement au cœur. La fuite serait plus simple.
- T’enfuis pas, lui demanda-t-il en attrapant ses jambes pour la tourner vers lui. Parle-moi plutôt.
- Je n’ai rien à dire.
- Laure… fit-il d’une mine blessée avant de se plonger dans ses pensées avant qu’un étonnant rire le rattrape. Tu as vraiment essayé de m’amadouer avec une partie sur l’oreiller ?
Des roses fleurirent sur ses joues. Loyd attrapa sa main pour y déposer un baiser. Le regard qu’il remonta dans ses yeux la rendit coton. Elle baissa le sien, puis mordit ses lèvres.
- Les abîmes pas, dit-il en déposant son pouce dessus. Pourquoi tu ne me dis rien ?
- … Je te dis tout…
- Oui. C’est vrai, tu me parles de… Tes projets, de comment tu te sens vis à vis de ton père, mais tu n’es pas honnête à cent pour cent. Je veux bien te suivre, quoi que tu demandes. Qu’on réalise tes rêves les plus fous, mais… Si tu n’es pas honnête avec le groupe… Si tu n’es pas honnête avec Kimi… …
- Je ne veux pas en parler, répondit-elle d’un ton peu affirmé.
Loyd leva les deux sourcils.
- …Tu vas perdre tes amis et ça, c’est hors de question.
De grosses larmes remplirent à nouveau son regard qui tenait encore bon. Ses lèvres tremblaient, par contre. Il serra sa main plus fort.
- Tu es dur en affaires, hein, lâcha-t-il en lui souriant doucement. Mais tu dois lui parler. J’aimerais vraiment que tu lui parles, ok ?
De manière prononcée, Laure acquiesça une fois de la tête. Soulagé, Loyd l’attrapa par la taille et se jeta dans le lit avec. Il la couvrit de baisers, ce à quoi elle répondit en l’entourant. Tous les deux se serrèrent fort. Laure était bien plus fragile qu’elle ne le laissait paraître, il devait en prendre soin, étant l’un de seuls à l’avoir percée autant à jour. Elle se sentait merveilleusement bien dans ses bras, en sécurité. C’était l’endroit où elle pouvait laisser couler sa peine, bien qu’elle gardait toujours une part en elle-même. Loyd savait qu’en plus de son conflit avec Kimi, elle souffrait à chaque fois qu’elle rentrait le week-end. Parce qu’elle se retrouvait face à ses parents qui ne s’entendaient pas, à sa mère qui ne lui donnait aucune attention et à son père qui en faisant l’inverse ne lui rendait pas service. Elle n’en voulait pas, car il lui avait menti, autant en traficotant avec Kimi qu’en niant son ancienne relation avec Marry. Les mots d’Alex lui tournaient dans la tête. Peut-être qu’ils se revoyaient ? Si c’était le cas, elle ne pouvait rien y faire. Rien à part lui mettre la tête à l’envers, mais chaque chose en son temps.
Avant, elle devait régler le problème avec son amie, mais le simple fait d’y penser la mettait dans un état de stress qu’elle n’avait jamais connu.
***
Une mèche rebelle gênait la vision de Kimi. D’un souffle, elle l’expédia en arrière, assaillant son reflet d’un regard aussi noir que la porte des enfers. Il n’y avait aucun doute sur le fait que des flammes y dansaient sauvagement. Quant aux coups de fouet, elle était plutôt d’humeur à les claquer sur les autres que sur elle-même. Ses gestes étaient de même, vifs, rapides, précis et en rythme alors même que le studio de danse devenait une fournaise. L’odeur de la sueur du groupe se répandait dans l’air qui suivait intensément ses mouvements, craignant de commettre la moindre erreur. Le diable était de sortie, régissant à son souhait le couinement des baskets sur le parquet.
Benjamin trembla, ses boucles blondes trempées au niveau de son front, quand il vit dans le retour du miroir la noirceur de ses yeux se poser sur lui. Il déglutit quand elle fit un grand geste, ordonnant que la musique s’arrête. Ce fut Nadeije, la plus proche de la radio, qui s’en occupa. L’ensemble du gang observa la blonde s’approcher en de grands pas vers le petit lapin qui se bouffait déjà les lèvres.
- Oh ! J’ai dit quoi ? le prit-elle entre quatre yeux. Regarde-moi.
- Droite, droite,...
- Ouais. Quatre fois que tu fais l’erreur, t’as toujours pas compris ?
- Kimi… essaya de protester Chen, qui détestait voir son petit ami s'aplatir de cette manière.
- Toi aussi. Tu as pas levé le bras assez haut sur cette partie là. On reprend ce passage. Sans musique.
Les huit du groupe se déplacèrent dans son dos. Il manquait son binôme, Ulys. Parmi les filles, Nadeije et Silka étaient d’une rigueur impressionnante. Tout comme Tiger et Mike, alors que la lapinou et le serpent de la bande enchaînaient les erreurs. Kennedy était à la limite tandis que Leroy excellait. Il avait un sans faute.
L’idée d’une répétition générale était née lorsque ses copains de Gordon remarquèrent qu’elle était d’une petite forme. Tout en se doutant que la première séance pouvait se dérouler sous le joug de sa colère, car la danse lui permettait d’extérioriser ce qu’elle cachait dans son coeur, ils s’y lancèrent quand même.
Kimi tapa dans ses mains, puis balança ses bras avant de reprendre l’enchaînement :
- … Tatatata…
Elle rythmait le tempo, effectuant la chorégraphie avec fougue :
- Voilà !! Ta ! Ta ! Ta !
Le pauvre sol se faisait marteler de ses pieds féroces et le grondement de leurs pas s'entendait depuis même l’escalier qui menait à l’étage de l’auditorium. Loyd et Laure partagèrent un regard, bien qu’elle portait encore ses lunettes qui lui servaient à camoufler sa honte. Quand ce dernier ouvrit la porte le boucan tapa davantage dans leurs oreilles, la musique reprenant de plus belle. Ils s'avancèrent jusqu’au studio concerné par le tapage. En les voyant, Laure croisa les bras, plutôt en guise de malaise que de rechignement.
Elle haussa les épaules :
- Elle à pas perdu de temps pour retourner avec eux.
Encore une fois, sa langue avait claqué tel un fouet aussi fort que Kimi se déchaînait sur la musique.
- Ne dis pas ça… Tu vois bien qu’elle…
Mais Loyd ne l’avait jamais vu ainsi. Il n’avait jamais perçu autant de rage chez son amie. La violence dans ses yeux le troubla, sa voix haute qui balançait le groupe, et eux qui suivaient sans broncher aussi. Elle avait plus que la gnaque. Cette Kimi là, ils ne la connaissaient pas et quand cette dernière remarqua leur présence, il lui fallut un temps pour chasser le démon qui l’animait. Le changement se lut sur son visage, comme si elle devenait une autre personne. L’apaisement soudain se transforma en des traits crispés. D’un mouvement plus humble, elle fit à nouveau éteindre la musique. Ce qu’elle voulut, elle obtint, et après un regard circulaire sur ses compagnons qui respiraient aussi fort que des cachalots échoués sur la plage, Kimi conclut qu’elle en avait assez fait. Du moins, les concernant.
Depuis l’intérieur, elle planta son regard dans celui de Laure qui resta fixe derrière la vitre. Elle n’arriva pas à le capturer à cause de ses lunettes. Quelle diva, pensa Kimi qui les rejoint dans le couloir, laissant le diable et la fournaise à ses copains. Ils savaient s’en occuper, ce qui n’était pas le cas des Richess.
- … Il y a quoi ?
Elle n’en resta pas moins aussi tranchante que Laure ne l'avait traité récemment.
- … Laure et toi, devriez parler, se lança Loyd qui sentait la tension grimper à mesure qu’elles se jaugeaient.
- Pourquoi faire ?
- C’est bon, ça ne sert à rien, abandonna Laure qui s’élançait pour partir.
- Non, Laure. Arrête, la retint-il. Reste. Les filles… Faut vraiment que vous parliez. Tout le monde met de l’eau dans son vin pour le moment. Que ce soit Nice avec moi, Alex avec Laure et inversément, mais vous deux… Je vous en prie. C’est plus possible là.
La manière dont Kimi fit rouler sa lèvre supérieure, sous laquelle sa dentition apparut, lui donna un air de félin. Loyd prit une décision. Il les força à descendre par l’escalier qui menait à la scène de l’auditorium et se décida ensuite à les laisser seules. Toutes deux l’observèrent s’en aller comme moyen pour ne pas entamer la conversation, mais il y eut un moment où le silence fut si présent, que l’une ou l’autre devait le briser. Kimi le fit en première.
- Bah alors… Parle.
- Et pourquoi pas toi ? lui renvoya Laure du tac au tac.
- … - Kimi la détailla longuement -... Il fait drôlement ensoleillé aujourd’hui, dis donc… C’est moi qui t’éblouis comme ça… ?
- Oh, la ferme Kimi !! s’énerva-t-elle en arrachant la paire de son nez pour la foudroyer sur place. T’as vu ça ? T’es contente de voir ça ? l’agressa-t-elle en pointant ses yeux bouffis du doigt. Je chiale pour toi, parce que j’en peux plus qu’on se dispute et c’est comme ça que tu me parles ??
La moutarde prit la blonde au nez.
- Parce que tu crois que je suis contente de m’engueuler avec toi ?! Mais c’est toi, appuya-t-elle sévèrement, qui est abjecte avec moi !
- Depuis quand tu utilises des mots comme “abjecteuuuh” ? Non mais sans rire !
- Depuis que je traîne avec toi !
Tchac.
Le coup la gifla. C'était douloureux. Laure craqua, une moue d’enfant se saisissant du visage qu’elle essayait désespérément de contrôler. Elle jura en son for intérieur contre les grosses larmes qui lui montaient.
Une énorme culpabilité attrapa Kimi qui ne savait comment gérer ce sentiment :
- Pleure, tu pisseras moins, balança-t-elle malgré elle, d'une expression qui cachait ses regrets.
- Ha ! s’exclama Laure, qui n’en revenait pas. Eh bien, eh bien… Pour une fille qui ne veut plus rien avoir avec Sky, tu lui ressembles drôlement, lui renvoya-t-elle l’ascenseur de son ton le plus sarcastique. Quelle ironie…
- Je t’interdis.
- Moi aussi, je t’interdis. T'as été "abjecte" avec lui aussi.
- Parce qu'il l'a pas été lui ?
- Dévie pas le sujet.
- C'est toi qui dévie le sujet, parce que t'es pas foutu de reconnaître tes torts.
- Et toi t'as pas été foutu de reconnaître les tiens non plus.
Silence. Grondement. Ombre et lumière sur la scène de Saint-Clair. Le temps était gris dehors, mais il n’y avait aucun éclair dans le ciel. Ce qui claquait à l’intérieur de l’auditorium y ressemblait, mais ce n’était rien d'autre que des coups de fouet.
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