Celle qui n'était pas un lapin
Ce matin, un lapin…non, ça c’est la chanson. Etait-ce un lapin ? Un lièvre, peut-être ? Cela ressemblait-il à un rongeur ? Non, ça n’avait pas de fourrure, c’était nu, complètement nu. Ça, je m’en souviens. Mais ne peut-on pas dire qu’un animal à fourrure est tout de même nu ? Nu et triste, oui, ça m’a rendue triste. Je me suis dit : ‘il en faut de la méchanceté pour faire ça.’ Mais je ne me souviens pas pourquoi. Il y a tellement de choses que j’ai oubliées. Et pourtant tellement dont je me souviens encore.
C’était méchant, pas ça, mais les autres, autour. Le manteau de haine, voilà ce que j’ai vu. Je ne crois pas que c’était un lapin, vraiment. C’était plutôt comme moi. Enfin, comme vous, je veux dire. Comme vous et moi, mais plus comme vous quand même. J’aurais préféré que ce soit un lapin. Le lapin, on le mange, c’est pas grave. Les autres, ils n’ont pas mangé, ils ont juste…c’est comme ça. Les hommes se rassasient de violence. Ils n’aiment plus le lapin. Comment ils disent les jeunes maintenant ? C’est…c’est trop fluffy. Ils sont devenus végétariens, mais sont restés prédateurs. A la télé, il y avait la pub pour la lessive. Toudoudou, plus doux que doux, toudoudou. Toudoudou j’ai vu son nez rouge. Toudoudou, j’ai vu ses côtes violacées. Toudoudou, son bras s’est fait angles. Toudoudoudou…Il faut que j’appelle ma petite-fille, elle aimera cet air. Toudoudou…
Elle est morte, n’est-ce pas ? Celle qui n’était pas un lapin. Je crois que j’ai su quand ils sont partis. Ça sentait le café depuis le réfectoire, et le parfum des toasts. Ils les font bien griller, ici, ça croc et ça crac sous les dents. Enfin, ce qu’il m’en reste, n’est-ce pas…Repus, les hommes. Repus les chasseurs, à l’orée de la forêt. Les loups. Ils l’ont laissée là, dans l’herbe. La rosée en couverture. C’est si beau depuis mon lit. Mais tellement désolant. Il en faut de la haine, de la bêtise ou de la peur. Oui…faut pas croire qu’ils changeront, non. Quand on est jeune, on croit ça. Que l’humanité fait deux pas en arrière pour trois en avant. Mais quand on a vécu un siècle, on voit bien que rien ne change. On chasse les hirondelles qui ne font pas le printemps. Les lapins sautillent avant de finir en écharpe et civet. Les grenouilles s’épilent les cuisses…pour que les autres les croquent plus aisément.
Qui êtes-vous, déjà ? Encore des animaux, on n’en finit pas aujourd’hui. Les lapins, les loups, les hirondelles, les grenouilles et maintenant des poulets. Une vraie ferme ! J’aurais jamais dû quitter la mienne. Elle était belle, la ferme de maman. Les chèvres…l’odeur âcre du lait. Pourquoi vous l’avez laissée si longtemps dans l’herbe, comme ça ? C’est pas bien, non…
J’aurais voulu être un lapin. Tellement souvent. Pour que ce ne soit pas grave. Pour qu’on me mange et que ce soit tout. Je suis sûre qu’elle aussi, elle aurait préféré être un lapin, ce matin.
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