Le rire d'Asma

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 Après le départ d’Arthur et de son “ami”, je sentis les regards et les messes basses se river sur moi. Je fis mine des les ignorer pour me resservir un verre de rhum que mon père avait laissé trainer et me remis à la recherche d’Eliott. Comme attendu, il s’était réfugié dehors pour enchainer les clopes : le cendrier en débordait mais il continuait d’en allumer, de tirer quelques taffes et de recommencer. Lorsque je tentais une approche Julien et Asma qui l’entouraient détournèrent leur regard et se levèrent sans mot dire. Eliott ne releva même pas les yeux et reposa brusquement son verre dans un tintement désagréable.

― Qu’est-ce que tu me veux ?

 Son ton glacial me paralysa. C’était une bonne question.

― Pourquoi tu trouves toujours le moyen de casser l’ambiance ? C’est quoi ton problème sérieux ? On aurait dit maman et ses conneries.

― Tu as mal interprété mes paroles et…

― Ah ouais vraiment ? Et j’aurais dû les interpréter comment ?

― Pas comme ça en tout cas. Mais reconnais quand même que ce n’est pas normal.

― Ren. Si tu as l’audace de poursuivre ta réflexion, je te jure de plus t’adresser la parole. T’as été excécrable avec Arthur et sa vie personnelle te regarde pas !

 Je n’étais pas venu redéclencher une rixe, je me gardais donc de rétorquer. Le connaissant, je savais que j’avais plus à perdre qu’à gagner en argumentant.

― Je ne voulais pas te blesser, je suis désolé.

 Elie me scruta un instant avant de terminer son verre en soupirant.

― C’est pas à moi qu’il faut présenter tes excuses, c’est à Arthur et tu le sais.

― Papa m’a forcé à le faire.

― Je sais pas si ça me fait rire ou pleurer que tu sois aussi franc.

 Je haussais les épaules. Je n’allais pas mentir, cela ne servait à rien. On avait nos convictions personnelles et parfois je ne les comprenais pas. Elie était trop sensible et indulgent : pour lui tout était normal. Je doutais fortement de son engagement religieux, à croire qu’il n’avait rien retenu du cathéchisme.

― J’ai entendu dire que t’avais donné à manger au camélia de maman, j’espère que t’as un plan pour te sortir de la merde, ricanna-t-il.

 J’appréciais qu’il change de sujet, même si c’était pour me rappeler cela.

― Je vais en racheter un et le replanter avant son retour.

― Je te préviens, tu te débrouilleras. J’en repaierai pas un.

― Pourquoi tu dis ça ?

― La dernière fois que j’ai bousillé une plante et que j’ai tenté de la remplacer, je me suis fait défoncer.

― Ah, tu parles de la fois où t’as passé un coup de tondeuse où il ne fallait pas, me souvins-je, c’est vrai qu’elle t’as mis tarif. Ne t’inquiète pas pour moi, je vais assumer ma connerie ; si ça passe tant mieux, au pire je serai puni.

― Et après c’est moi qu’on traite de désinvolte.

 Asma revint, nous jaugeant tour à tour comme si elle évaluait la situation. Je la rassurais d’un maigre sourire. Elle s’était couverte pour affronter le froid, ce qui ne retirait en rien son élégance. Je lui demandais où était Julien et Florian, je ne les avais pas vus partir.

― Julien est avec Elodie… Disons qu’il profite de la soirée. Florian je sais pas, je crois qu’il est partit.

― Je vois. Il a bien raison de se lâcher, il en a bien besoin.

― Bon ! Moi je vais me coucher, je vais finir par comater ici si ça continue.

― Tu devrais ralentir sur l’alcool, tu vas finir comme papa surtout.

― Ta gueule, toi tu devrais bien te décoincer le balai que t’as dans le cul, ça te ferait dire moins de merde.

 Je ne relevais pas. Contrairement à papa, Elie avait l’alcool taciturne, ça le rendait agressif au possible. Il se releva tant bien que mal, chancelant et manquant de renverser tout ce qui se trouvait sur son passage. Je ne donnais pas chair à sa gueule de bois. On se retrouva donc seul à seul avec Asma.

― Ca te dérange si je pose ma tête sur tes jambes ?

 Plantée devant moi, les mains dans le dos, elle patientait tandis que je tentais de rassembler mes esprits. J’avais beaucoup trop bu, moi aussi. L’alcool remontait, je me sentais de nouveau cotonneux. Je hochais péniblement la tête en guise de réponse et cela lui suffit pour de nouveau avoir ce foutu sourire qui m’envoutait. Elle se cala sur moi et naturellement je fis courir mes doigts dans ses cheveux.

― Tu vas aussi me faire une leçon de morale ?

― Non, ce n'est pas mon rôle. Cela m'a surprise d'Arthur, je ne l'aurais pas soupçonné d'être de ce bord. Je peux comprendre pourquoi ça t'a fait réagir.

― Ah oui ?

 Elle hocha la tête.

― On n'est pas tous à l'aise avec le sujet. C'est pas non plus dans ma culture même si mon père m'a dit que l'on est tous pareil au fond. "Peu importe notre couleur de peau, notre origine, notre genre ou de qui sommes-nous amoureux, il coule dans nos veines un même sang, et la mort nous place tous sur un pied d'égalité", imagine un peu. Ma mère, elle est un peu comme la tienne, ce n'est pas vraiment de son goût.

― Mon père est pareil, je ne comprends pas pourquoi. Pour moi, c'est juste qu'ils sont malades, tu vois ? Je ne pense pas que ce soit transmissible sinon ça voudrait dire que Florian le serait et je sais très bien que ce n'est pas le cas. Mais je vois ça comme une maladie de naissance. Ce n'est pas entièrement de leur faute s'ils sont comme ça, mais je ne veux pas que ma mère l'apprenne.

― Elle pense que ça se transmet ? devina-t-elle avec tristesse.

 A mon tour je hochais la tête.

― Tu penses qu'il pourrait guérir alors ?

― J'ai entendu parler de thérapies de conversion. Apparemment ça fonctionne bien, je pourrais en parler à Florian. Je me demande s'il était au courant.

― C'est son frère, il doit s'en douter.

― Possible oui. Je trouve ça fou qu'il ne m'en a pas parlé.

― Il craignait peut-être ta réaction ?

 Je haussais les épaules. Je continuais à effiler ses cheveux distraitement lorsque je réalisais soudain mon geste.

― Ca te gêne que je les carresse ?

 Elle pouffa.

― Ca ne me dérange pas, au contraire j’aime bien.

― Tant mieux parce que j’adore les toucher. Tu es vraiment ravissante aussi. Putain je commence à raconter tout ce qui me passe par la tête, je suis désolé, je vais dire de la merde.

― Ca ne me dérange pas non plus, rit-elle, au contraire, j’aime bien ce Ren-là.

 Après un instant de silence, elle tendit son bras vers le ciel comme pour attraper les étoiles.

― Elles sont magnifiques, j’ai l’impression de pouvoir les toucher.

 Tout était calme, le monde entier semblait s’être endormi. Son bras redescendit et s’accrocha à ma joue. Sa main était chaude, agréable. Elle releva ses yeux sur moi, tendres et pétillants.

― J’aimerais que cette soirée ne s’arrête jamais, murmura-t-elle comme un souhait.

 Du plus profond de mes tripes revint cette sensation de chaleur qui me faisait perdre pied. Dans certains instants de vie, nous sommes persuadés que nos souvenirs resteront graver à jamais. Cette soirée étaient de celles-ci, de ces moments que je souhaitais conserver dans ma mémoire pour l'éternité.

― Eh, tu savais que les pinguins ont des genoux ?

 Son éclat de rire résonna dans la nuit et je ne pus m’empêcher de la suivre. Mon père avait raison, alcoolisé ou sobre, cette info faisait mouche.

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