Chapitre 4 : Un nuage tombé du ciel
Nous avions débarqué dans un quartier que je n’avais pas pu voir depuis le haut de la butte du cimetière. Le tunnel avait débouché dans un coin de rue, à l’écart des habitations. Aussi je ne vis pas immédiatement les signes distinctifs de cette partie de la cité de Christoval, le temps de regagner les zones peuplées.
Robin connaissait le chemin comme sa poche. Pas une fois il n’eut une seconde de doute ou d’hésitation concernant la direction à prendre. Il aurait facilement pu reproduire ce même trajet les yeux fermés, j’étais persuadée qu’il ne se serait pas trompé. Il savait exactement à quel moment il fallait accélérer le pas, le ralentir ou derrière quel coin de mur il était nécessaire de vérifier la présence d’autres individus.
J’en conclus qu’il avait l’habitude de déambuler ainsi discrètement dans la ville sans que personne ne puisse le remarquer. J’avoue m’être demandée si c’était ou non une bonne chose. Je me demandais pourquoi ce garçon se donnait tant de mal pour passer inaperçu et en quoi cela pouvait lui être utile au quotidien, lui qui était un citoyen à priori plutôt ordinaire. Il avait une maison, un travail dans lequel ses capacités étaient reconnues, sinon il aurait certainement été dématérialisé il y a bien longtemps. Alors pourquoi tant de précautions ?
J’étais de plus en plus intriguée par le jeune homme qui m’avait découverte et ramenée dans sa ville telle une clandestine ou une dangereuse hors-la-loi. D’un autre côté, cette situation avait un petit quelque chose d’assez excitant. Je me sentis aventurière pour la première fois de ma vie, confrontée à un danger et des rebondissements imprévus, ce qui était complètement absent de mon ancienne vie bien rangée de jeune adolescente parisienne, menant une existence monotone et prévisible, sans véritable objectif, ni projet d’avenir.
Plus j’y repensais, plus je réalisais que ma vie était bien triste. Je me souvenais du vide et de l’indifférence que j’avais ressenti dans les limbes. J’étais maintenant bien contente de ne pas être morte finalement. Qui sait ? Mon arrivée à Christoval était peut-être une deuxième chance qui m’était offerte pour apporter ma contribution au monde. Je me plaisais à penser cela. J’avais une chance de me rattraper.
Ça y est. Nous étions arrivés au cœur du quartier où logeait Robin. Je levai les yeux vers les nombreuses petites maisons biscornues qui se dressaient devant moi et les ouvris grand, d’émerveillement. C’était encore plus beau que tout ce que j’avais pu imaginer. Je nageais en plein rêve et ce n’était pas qu’une façon de parler. Toutes les habitations semblaient venir tout droit du ciel, mais elles se trouvaient pourtant bien sur la terre. Des nuages, des planètes, des arcs-en-ciel, des étoiles me faisaient face, formant un univers à part, unique. Je ne me rendis pas compte que j’avais cessé de marcher pour admirer ces exploits d’architecture. Robin s’était retourné vers moi, m’offrant un sourire amusé et me sortit de ma rêverie. Je me dépêchai alors de le rejoindre. Il m’interpella lorsque j’arrivai à sa hauteur.
-Alors, qu’est-ce-que tu en dis ?
-Cet endroit est juste, incroyable ! Je n’ai jamais rien vu de tel, c’est impressionnant ! lui répondis-je, toute enjouée.
-Ah ah ! Je vois ça, mais je parlais de ma maison. Tu en dis quoi de vivre ici quelques temps? me répliqua t-il, amusé par ma réaction qui devait sûrement lui paraître quelque peu surdimensionnée, pour lui qui avait toujours vécu ici.
Je me mis alors à chercher autour de moi, essayant de deviner laquelle de ces constructions originales pouvait être la sienne. Il tendit son index devant lui, pointant une des maisons en forme de nuage, qui semblait aussi léger et vaporeux qu’un vrai.
-Non sérieux ?! Tu vis vraiment dans un de ces nuages?! m’écriai-je, sans parvenir à retenir mon enthousiasme. Waouh. C’est juste incroyable.
Robin se mit à rigoler ouvertement devant ma réaction.
-N’exagères pas, ce n’est qu’une maison ! Allez viens, entrons. Il commence vraiment à faire nuit et les patrouilles de contrôleurs ne vont pas tarder.
Sur ce, il s’avança en direction du nuage et sortit une clé de sa poche, elle aussi adoptant une forme de nuage qui collait parfaitement avec le trou de serrure qui lui était associé. Robin ouvrit la porte et me fit entrer, avant de refermer à clé derrière nous.
La maison n’était pas très grande, mais plus colorée à l’intérieur que ce à quoi je m’attendais. Les murs étaient toujours argentés, sculptés de ce fin métal brillant et suivaient les courbes des petites poches creuses du nuage. Cependant, tout le reste semblait assez ordinaire. Le rez-de-chaussée était divisé en deux parties : le salon à droite, avec canapé, table basse, deux fauteuils et un grand écran plat accroché au mur et la cuisine-salle à manger à gauche, des placards longeant les murs et au milieu de la pièce trônant une table et quatre chaises de bois.
-L’intérieur paraît plus… naturel. Je suis plutôt étonnée, dis-je à mon nouvel ami.
Il se posta devant moi et appuya son poing sur la table de la cuisine.
-Oui. Il faut dire, que notre famille aimait l’authentique.
Une pensée me vint à l’esprit et je ne pus m’empêcher de lui poser la question, même si je fus pratiquement certaine de sa réponse.
-Donc… tu vis ici seul avec ta sœur, c’est ça ?
Il acquiesça d’un signe de tête.
-Et vos parents ? S’ils ne vivent pas avec vous, que sont-ils devenus? osai-je d’une petite voix.
Presque immédiatement, je regrettai ce que je venais de lui demander lorsque je le vis baisser la tête et rester fixé sur le sol d’un air triste. Il chercha à le cacher en relevant la tête et en me souriant, mais je savais que son expression joyeuse n’était qu’une façade. Il me répondit posément :
-Eh bien… pour tout te dire… ça fait trois ans que je n’ai pas parlé de cette histoire. Avec Enora nous avions fait une sorte de pacte. On s’était juré de ne plus jamais en parler, mais je veux bien faire une exception pour toi. Tant qu’elle ne le sait pas…
-Excuses moi, je suis désolée. Je ne voulais pas te faire de peine et je ne veux pas que tu ais des problèmes avec ta sœur. Ne t’en fais pas, ce n’est pas grave. Je me suis mêlée de ce qui ne me regarde pas.
-Non ce n’est pas toi, c’est normal que tu veuilles savoir et je préfère que tu sois au courant de ce qu’ils font. Il faut que tu saches à quoi tu es exposée.
Robin tira une chaise pour s’asseoir et me proposa celle qui se trouvait juste à côté de lui. Je m’assis lentement et attendis, prête à l’écouter attentivement.
-La vérité, c’est qu’aucun de mes parents n’a survécu au système. C’était il y a cinq ans. Ma mère était très malade, elle avait contracté un cancer très violent, qui progressait rapidement. À cette époque, nous avions plus d’hôpitaux que maintenant et un traitement lui était administré et était censé ralentir la maladie au minimum, voir l’en guérir. Enora, papa et moi allions la voir là-bas quasiment tous les jours pour s’assurer qu’elle allait bien. Peu de temps après, ils ont mis en place cette foutue réforme. Ils allaient encore réduire les effectifs parmi les cas les plus graves, ceux qui ne pourraient sûrement jamais reprendre le travail ou du moins, pas avant un très long rétablissement.
Robin avait de plus en plus de difficultés à parler et fit une pause avant de reprendre son histoire.
-Les contrôleurs ont fait le tour de tous les hôpitaux, ils ont trié les patients et ont fait leurs choix. Ils ont pris ma mère et nous n’avons rien pu faire pour les en empêcher. Ils l’ont dématérialisé. Maman avait demandé qu’ils conservent son esprit, pour nous. Le lendemain matin, on a reçu une boîte dans lequel se trouvait un petit écran. Aujourd’hui elle vit avec nous à travers cet écran et nous allons lui parler de temps en temps, mais à chaque fois c’est toujours aussi dur ne pas pouvoir la voir, la serrer dans nos bras.
La main de Robin, posée sur la table, commençait à trembler et ses yeux étaient humides. Lentement, je pris sa main entre les miennes et je la serrai, dans une tentative de réconfort. Je me sentais terriblement coupable de l’avoir lancé sur ce sujet délicat. Il me regarda de ses beaux yeux bleus et me sourit, comme pour me dire « merci », sans dire un mot.
-Mon père, lui, n’a pas bénéficié de cette chance malheureusement. Après ce qu’ils ont fait à ma mère, il a rejoint un groupe de révolutionnaires. Ils ont tous été tués. Quand je dis tués, c’est vraiment tués cette fois. Même leurs âmes n’existent plus. Je suppose que le gouvernement a dû considérer qu’elles étaient trop corrompues pour rester en vie. Ça aurait été trop dangereux pour l’équilibre de Christoval.
-Si tu savais comme je suis désolée pour vous… c’est horrible ce qu’ils vous ont fait. Je n’arrive pas à imaginer comment on peut agir de la sorte, lui répondis-je émue.
Soudain, nous sursautâmes en entendant une clé tourner dans la serrure. Quelqu’un était sur le point d’entrer. Je tournai la tête vers la porte et vis entrer une jeune femme brune aux longs cheveux et aux yeux bleu clair comme le ciel. Elle devait avoir environ vingts ans. Elle était très belle et élégante, avec son chemisier blanc et son pantalon droit noir. Lorsqu’elle m’aperçut, elle referma brusquement la porte, fronça les sourcils et entrouvrit la bouche de surprise.
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