Chapitre 8 : Confidences

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Robin avait eu de la chance, ses blessures n’étaient que superficielles. Quelques bleus, des éraflures, sa lèvre était fendue et son œil gauche s’était noirci d’un coquard, qui lui cependant n’était pas très beau à regarder. Mais le plus important était qu’il était en vie et j’avoue avoir vraiment eu peur pour lui. Je l’avais aidé à se relever et à marcher jusqu’au nuage, pendant que lui me guidait à travers les tunnels comme il le pouvait.

Lorsque nous arrivâmes à la maison, je me hâtai de le déposer dans le canapé et d’aller chercher la trousse à pharmacie qui se trouvait en haut d’un placard dans la cuisine. Je l’avais aperçu le matin même en descendant l’escalier. Je revins en trottinant vers Robin et commençai à fouiller dans la boîte. Je trouvai du désinfectant, quelques disques de coton et des bandages et me mis à nettoyer son visage. Il grimaçait quand je touchais ses plaies, mais je tentais de le détendre en lui répétant qu’il n’y avait rien de grave et qu’il l’avait échappé belle.

Lorsque je voulus ranger le désinfectant, je cognai son bras sans le faire exprès et il eut brusquement un sursaut de douleur et serra les dents, ce qui me fit sursauter.

-Qu’est-ce-que tu as au bras ? demandai-je.

Je n’attendis pas sa réponse et commençai à doucement soulever la manche déchirée de sa chemise, qui laissa apparaître une méchante entaille au niveau de son avant-bras. Il perdait du sang.

-Oh ! m’écriai-je en la voyant. Comment est-ce-que tu t’es fait ça Robin ?!

-Les Syrus m’ont intercepté à l’entrée des tunnels. Je me suis défendu comme j’ai pu, mais ils ont sorti un poignard pour me calmer et me tirer à l’intérieur. Ils ne voulaient pas me tuer, juste me blesser, mais il fallait que je reste conscient sinon ça n’aurait pas fonctionné.

Il parlait avec difficultés et commençait à s’agiter sur le canapé.

-OK, ne bouges pas, restes là. Il faut compresser la plaie pour éviter que tu ne perdes trop de sang. Tiens, appuies avec ça.

Je lui avais fait une sorte d’éponge avec plusieurs bandages, l’ avait posée sur l’entaille et plaçai sa main dessus pour la tenir.

-Tu as du fil et des aiguilles ? demandai-je. Il faut que je te recouse.

-Oui… je crois. Regardes dans la salle de bain, dans un des tiroirs sous le lavabo.

Je me dépêchai de monter à l’étage et entrai dans la salle de bain pour chercher le matériel nécessaire à l’opération que je me m’apprêtais à tenter. Je n’avais jamais fait ça, mais j’avais plusieurs fois vu mon père recoudre en deux temps trois mouvements les multiples blessures que se faisait mon plus jeune frère Théo quand il était petit. C’était un vrai casse-cou et rien ne l’effrayait. Je ne me sentais pas très sûre de moi à cet instant, mais je savais que j’en étais capable. Je connaissais les gestes par cœur, c’était instinctif, je ne pouvais pas l’expliquer. De toute façon je n’avais pas le choix, il n’y avait pas moyen de l’emmener à l’hôpital vu notre situation, où plutôt « ma » situation.

Je finis par trouver ce que je cherchais et redescendis auprès de Robin qui m’attendait sagement. Je dégageai les bandages et pris une grande inspiration. Le garçon me regardait de son œil valide, avec une pointe d’inquiétude, qu’il finit par formuler.

-Euh… tu… tu es sûre que tu sais ce que tu fais ?

Je lui lançai un sourire et acquiesçai d’un mouvement de tête.

-Je vais essayer de faire le mieux possible, lui dis-je pour toute réponse.

Je me concentrai sur l’entaille et me mis à recoudre comme j’avais vu mon père le faire. Je reproduisais exactement les mêmes gestes, je réagissais avec les mêmes réflexes et rassurais Robin du mieux que je pus tandis qu’il gémissait par moment et serrait son poing dans sa bouche. Quinze minutes plus tard, tout était terminé et refermé à la perfection, tel une peau neuve. J’étais plutôt fière de mon œuvre et pouvais enfin laisser exploser mon soulagement.

-Merci beaucoup Aélys, je crois bien que tu m’as sauvé la mise et je t’en serai éternellement reconnaissant, me dit-il de sa douce voix qui me fit frémir.

-Je t’en prie, ce n’était pas grand-chose, répliquai-je.

C’était vrai. J’avais recousu son bras avec une facilité qui m’avait étonné au plus haut point.

-Non vraiment, tu es incroyable. On aurait dit que tu avais fait ça toute ta vie, tu n’as pas hésité une seconde.

-C’est que… je savais que si je ne le faisais pas tu te serais vidé de tout ton sang. J’avais déjà vu mon père le faire sur mon petit frère. Ce n’était que de l’observation, tentais-je de lui expliquer.

-Je suis quand même impressionné. D’ailleurs… je me rends compte que je ne t’ai jamais demandé si tu avais des souvenirs de ta vie passée, de chez toi.

-Je me rappelle de tout, à ce niveau je n’ai rien oublié, répondis-je avec une sensation de nostalgie.

Je m’assis à côté de Robin sur le canapé avant de poursuivre, car je voyais qu’il était désireux d’en savoir plus.

-Avant d’atterrir à Christoval, j’habitais dans la grande ville de Paris. J’imagine que tu ne dois pas connaître ?

Il secoua la tête négativement.

-Ce que j’aimais dans cette ville, c’est que nous étions tellement nombreux que personne ne se connaissait vraiment et on ne prêtait pas trop attention à moi. J’avais une petite vie sans beaucoup d’importance et personne n’avait l’air de s’en soucier ou de vouloir changer quoi que ce soit. J’avoue que j’appréciais ce statut de « fantôme » si on peut dire.

-Je pense voir ce que tu veux dire. C’est un peu ce qu’il nous manquerait ici, de l’anonymat. Toutes les personnes qui gèrent la ville connaissent les noms et visages de tout le monde, mais ne sommes considérés que comme des numéros en vérité, des petits pantins au service de l’évolution humaine, rien de plus. Ce n’est pas notre personnalité qui va les intéresser.

-Eh bien, tu vois, je pense qu’avant j’aurais rêvé de vivre dans une société comme celle-la, mais je commence à en avoir marre de me laisser faire. Je me suis tellement habituée à ne pas agir, à vouloir n’être qu’un numéro, que je reste bloquée dans ce schéma infini et j’aimerais vraiment pouvoir en sortir.

Robin me regardait maintenant et je me plongeais dans ses yeux bleu ciel, ou du moins ce qu’il en restait.

-Je ne peux pas croire que tu n’étais qu’un numéro, pas après le courage que tu m’as démontré ce soir.

-Oh si… répondis-je tristement. Tu sais, mes parents ont des métiers très respectables et en attendent beaucoup de moi. Je n’ai jamais su les satisfaire. Je n’étais pas très bonne à l’école, je n’avais aucun talent, aucune envie particulière pour mon futur.

Robin m’écoutait attentivement, plus que personne ne l’avait jamais fait en réalité. J’eus un instant une pensée pour mon frère Charlie.

-Je sens que tu ne me dis pas tout Aélys. Il y avait autre chose, pas vrai ? demanda-t-il, de cet air que je ne saurais expliquer, mais qui me donnait envie de lui faire confiance et de m’ouvrir à lui.

-Tu as raison, c’était pire. La vérité c’est que… j’ai finis par tomber en dépression, avais-je lâché plus naturellement que ce à quoi je m’attendais. Je n’avais plus aucune volonté, même la vie en elle-même n’avait plus de saveur. J’avais honte de ce que je faisais du corps et de l’âme que la nature m’avait offert et je n’avais aucune excuse, aucune explication pour agir ainsi.

-Je suis vraiment désolé… j’ignorais tout ça… ça doit être terrible comme sensation…

Soudain je me mis à rire sans raison, devant l’expression interrogatrice de Robin, qui ne comprenait pas ma réaction.

-Excuses-moi, c’est que, je ne sais pas pourquoi je te raconte tout ça alors qu’on se connait depuis à peine deux jours ! lui expliquais-je. Je dois t’ennuyer avec mes histoires sans intérêt, alors que tu viens de te faire attaquer par des hommes de la pire espèce !

-Mais non ne dis pas n’importe quoi, s’empressa-t-il de répondre en se redressant. Tu m’intéresses pour ce que tu es, pas pour tes exploits.

Je ne pus m’empêcher de rougir à ce qu’il venait de me dire et me mis de nouveau à m’interroger sur ce qui s’était passé dans le tunnel.

-Au fait, ces hommes ont dit s’appeler les Syrus. Tu m’avais déjà parlé d’eux lorsqu’on s’est rencontré. Qui sont-ils exactement et qu’est-ce-qu’ils te voulaient ?

-C’est vrai que j’en avais parlé… je t’avoue que j’espérais ne jamais y avoir à faire, encore moins avec toi. Les Syrus sont un gang de révolutionnaires très dangereux. Ça fait un moment qu’ils perdurent en se cachant dans les coins les plus refoulés de la ville et œuvrent toujours dans l’ombre, mais ces derniers temps ils se font de plus en plus remarquer et multiplient leurs attaques. C’est à cause de ça que la cité à installé un couvre-feu.

-Mais quel est leur but et pourquoi est-ce-qu’ils t’ont choisi, toi ? demandai-je, intriguée.

-Les Syrus sont ce qu’on appelle plus communément des « chasseurs de souvenirs ». Tu as vu les capteurs qu’ils utilisent ?

-Les petites spirales qui s’illuminent ?

-Oui. C’est avec ça qu’ils procèdent pour voler les souvenirs de leurs victimes. Ils fouillent dans leurs esprits et prennent ce dont ils ont besoin pour leurs affaires. Ils ont volé les capteurs au gouvernement d’après ce que j’ai entendu dire.

-Sérieux ? m’écriai-je, outrée qu’une telle chose soit possible. Oh mon dieu… et je les ai laissé faire… ça veut dire qu’ils t’ont volé des souvenirs!

-Tu ne pouvais rien y faire, ce n’est pas ta faute et comme ils l’ont dit ils ont eu ce qu’ils voulaient. Mes souvenirs sur les actions de rébellion de mon père et son groupe, des détails et messages importants que j’aurais pu voir ou entendre j’imagine. Je ne me rappelle de rien. Je ne me souviens plus de l’une des meilleures choses qu’il ai faite dans sa vie.

Sur ces paroles de regret, Robin ferma la discussion.

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