feu d'été

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J'ai tout de suite su que je souffrirais. Rien qu'à te regarder bouger et rire. Partager ces blagues dont je ne suis pas. Parce que nous ne faisons pas partie des mêmes cercles.

Tu es cool. Tu as les cheveux un peu longs, que tu aimes attacher quand il te prend l'envie de sortir, ton skate sous le bras.

Tes amis et toi vous enfermez dans la chambre de l'un, et l'on ne vous revoie pas souvent. Lorsque par bribes votre porte s'ouvre, des volutes s'échappent, avec quelques notes. C'est votre monde. C'est votre univers. Des mecs, quelques filles. Tous sur un mode qui ne sera jamais le mien.

Pourquoi alors ?

J'ai mes propres amis, qui sont également drôles. Peu importent les classements, peu importe le star

system. Je me sens bien avec eux, et ils me trouvent naturel au milieu de notre cercle. Nous avons nos habitudes, nos private joke. Les mecs, les filles. Les satellites qui gravitent et parfois entrent en collision pour ne plus jamais repartir.

Pour rien au monde je ne voudrais d'autres amis. Pour rien au monde je ne voudrais faire partie des tiens.

Alors pourquoi ?...

Je sais dire où tu es. Dans une salle de cours je remarque si tu suis, ou si tu es distrait. Si tu t'es endormi, pour avoir trop fait la fête la veille. Parfois il me plaît de croire, qu'en m'endormant aussi je te rejoindrai peut-être. Peut-être. Dans ce monde de coton sans règle ni logique, où il nous serait naturel de parler, d'égal à égal sans barrière ni gêne.

Vous prévoyez un barbecue à la base de loisirs. Normal, c'est bientôt l'été. Vous allez faire les courses. Il y aura quelqu'un à tes côtés sur le siège passager. Pourquoi mes propres plans ne me paraissent pas aussi funs, alors que les tiens semblent te combler de joie ?

Pourquoi me jettes-tu ce regard étrange, avant de monter dans ta voiture comme si de rien n'était ?

Nous connaissons nos prénoms respectifs, pour faire partie de la même promo depuis deux ans. Des familiers qui ne le sont pas, et qui n'ont comme seule habitude que de se croiser de temps en temps. De se saluer vaguement. De se reconnaître dans une foule, comme ultime intimité.

La première fois que je t'ai parlé, je devais être saoul. Semaine d'intégration, nous étions tous les deux nouveaux. J'avais bu mon enthousiasme d’avoir été admis, et trouvais tout le monde accessible. Je n'avais pas encore de freins, ni de pudeur à aborder les autres. J'avais assisté au concert des troisièmes années à tes côtés. Tu avais adoré la batterie, et j'avais appris que tu en jouais. J'avais échangé des bêtises avec toi, et on avait ri avant de tomber sur un mec qu'on connaissait un peu plus.

Si j'avais su. J'aurais fait durer ces moments de liberté, où ma conscience de toi ne m'empêchait pas de t'approcher. J'aurais pu devenir ton ami, faire partie de tes projets, et de tes confidences.

Et qui sait...

Mes potes m'appellent. Ils sont prêts à y aller. J'ai prévu un duvet si jamais la nuit est fraîche, et une

armada de paquets de clopes, si la soirée est longue.

Le trajet dure un peu, mais ma mélancolie m'accompagne. Avec elle je ne suis jamais seul, sans que je

sache si je doive m'en plaindre ou non.

Les portières claquent. Les coffres s'ouvrent. On sort les sacs, certains vont chercher du bois.

Le lac est frais, la soirée encore douce. Le crépuscule n'est pas loin, et les oiseaux chantent déjà moins.

Les vaguelettes captives clapotent au loin, couvertes par les éclats de rire et les danses improvisées.

Quelqu'un a amené un djembé. D'autres sortiront une guitare sans doute. La routine habituelle.

D'habitude elle me sécurise, parce que faire partie d'un tout rend plus fort. Mais aujourd'hui je me sens

seul, au milieu de ces gens si proches.

J'allume une clope en m'occupant du feu. Il parait qu'il n'y a que les fous ou les amoureux qui le

réussisse. J'aimerais bien pouvoir prétendre à la folie. Ça serait sans doute moins compliqué.

D'autres voitures arrivent, et encore plus de monde en sort. Dans nos rangs certains ont déjà entamé l'apéro.

La nuit s'installe, et je contemple les braises rougeoyantes en les caressant du bout de ma branche.

Les fesses sur mon duvet, je n'ai pas froid. Et pourtant j'aimerais sentir un bras autour de moi. C'est

ridicule. Parce qu'avec la veine que j'ai, ce sera celui de mon pote qui vient me raconter la dernière que je connais déjà.

Les feuilles bruissent autour de nous. Les gens bougent, et se remplacent, sans qu'aucun d'eux n'aie

réellement de visage. À mes côtés s'installe un bermuda aux genoux blonds. Je n'y prête pas attention. Il sera bientôt parti.

-t'as du feu ?

Je hochai la tête en tendant mon briquet. La main qui s'en saisit me parut familière. Je levai les yeux, et dans la pénombre des flammes, le sourire bienveillant qu'il me tendit me fit cogner le cœur.

- merci, fit-il en me le rendant.

Ses doigts effleurèrent les miens. Était-ce fait exprès ? Était-ce un de ces hasards de la vie qui vous

tombent dessus avant de se sauver quatre à quatre ? Je déglutis et trinquai avec lui.

- à la tienne.

Il ne dit rien pendant un moment. Je sentais son flanc chaud contre le mien. À moins que je ne sois celui de nous deux qui irradie l'espace entre nous. Je voyais son profil, et j'avais du mal à me faire discret. Il

n'avait jamais été si près.

- Tu crois qu'ils vont se faire tout le répertoire de leurs années scouts ? me demanda-t-il en désignant du menton une paire de copains de promo connus pour leurs talents de boutes- en- train.

- Sans doute ! Les paroles de ces chansons pourries sont écrites dans leur ADN depuis leur naissance !

ajoutai-je en riant, heureux de trouver un sujet de discussion qui me permette de lui parler.

Il ne relança pas beaucoup, mais il ne s'échappa pas non plus. C'était étrange. Entouré de ses amis, je l'avais toujours trouvé très animé. Presque bavard. Peut-être comme moi en fait. À cette heure-ci, j'étais normalement au milieu de mon cercle, en train de revivre des anecdotes entrées dans notre histoire commune, et outrancièrement drôle, pour le plaisir de tous.

- Tu n'es pas avec eux ? me demanda-t-il doucement, sans me regarder.

Je réfléchis un moment avant de lui répondre, et finis par avouer :

- Non. Je suis bien là.

Je mis une autre minute avant de lui demander à mon tour:

- Et toi ? Pas d'envie de te joindre aux musiciens ?

- Non plus. Je dois être bien là aussi, faut croire, ajouta-t-il en plantant ses yeux dans les miens.

Jusque là, je n’avais jamais été très fort pour sentir quand je plaisais aux gens. Mais là, j'étais à peu près sûr de ne pas me tromper.

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