Je n'aurais pas dû...
Il y a de ça de nombreuses années, j'avais été appelé pour une intervention de dépannage dans un très grand garage, concessionnaire Peugeot de l'Est parisien, 54-56 bd de Charonne Paris 12ème.
Le garage n'existe plus aujourd'hui. A sa place se trouve un immeuble grand standing !
Ce client subissait des coupures intempestives sur ses communications. Tous les services étaient concernés, de la direction aux vendeurs en passant par les ateliers.
Imaginez ! Vous êtes en pleine conversation et hop ! Coupé ! Et quand vous avez mis du temps à joindre un correspondant, je ne vous décris pas l'état d'esprit dans lequel vous vous mettez, du vendeur qui perd un client au gars qui a mis une heure à joindre le chef d'atelier quand ce n’est pas le directeur lui-même qui devient fou parce que coupé au cours d’une négociation.
Ça durait depuis un bon moment et évidemment quand les dépanneurs intervenaient la panne ne se produisait pas. Les pannes intermittentes, il n'y a rien de pire !
On en était aux courriers recommandés avec mise en demeure entre le client et ma société.
Je ne voyais qu’une solution à mes yeux pour constater la panne : se positionner devant le meuble (précisément "tout à relais" 8/48 Alcatel) complètement ouvert, à l'affût de tout ce qui se passe : Telle ligne réseau avec tel enregistreur, avec tel circuit de connexion, dans quelle condition et avec quel poste, bref, une observation de tous les instants qui dure, qui dure... un temps infiniment long, jusqu'au moment où la coupure arrive. Et évidemment, vu le temps que vous y passez alors que rien ne survient, vous n'êtes pas forcément attentionné à la seconde précise où le problème surgit. Alors vous vous replacez, redoublez d'attention, vous procédez par élimination, isolez des circuits pour les essayer tous, les uns avec les autres... Et au bout d'un certain temps, il m'a fallu tout de même une bonne demi-journée, je tombe dessus. Je reproduis le problème plusieurs fois pour bien m'assurer que la panne provient bien de là et pas d'ailleurs, et je répare.
Puis après un passage au standard pour signaler que leur problème est résolu, je sors de chez le client tout auréolé de ma gloire nouvelle. Sur le trottoir, je suis tellement sûr de moi que je fais comme Artaban, Fier à Bras, Tartarin de Tarascon... et Raymond Barre réunis, je me gausse !
Bref, l'autosatisfaction au summum...
Mais le lendemain, je me retrouve en réunion au bureau en présence de mon directeur technique (mon cauchemar encore aujourd'hui).
Ce type commence à me railler sur le temps que j'ai mis pour trouver cette "simple" panne devant tout le monde, il m’invective, me taxe d’incapable.
Il est vrai qu'une fois le problème résolu, que répondre ? Je me prends les remarques en pleine face et je m'aplatis. Au moins en apparence, car monte en moi une rage qui ne peut se contenir. Et d’un coup me vint une idée folle : là, justement derrière moi, dans cette salle qui nous accueille le temps de la réunion se trouve l’installation téléphonique de la société.
Et je suis particulièrement bien placé pour savoir que ce meuble est exactement le même qu'au garage Paris-Nation-Automobile : une "tout à relais" 8/48 Alcatel, là, qui me tend les bras juste à côté de moi dans un angle de la salle de réunion.
C'est trop beau, je suis tenté, je ne peux laisser passer l'occasion.
Une fois la réunion terminée, je vais dans ma voiture, sort mon fer à souder rapide, retourne dans la salle de réunion et en moins de temps qu'il faut pour le dire, comme Lucky Luke, je colle aussi discrètement que possible en une goutte de soudure la fameuse panne exactement entre deux contacts, précisément au même endroit où se trouvait celle de Paris-Nation-Automobile !
Je refermai le meuble et me rendis aussitôt au bureau de ce tortionnaire.
Je cognai à sa porte, oui, je suis poli, l'ouvrai à moitié après y avoir été invité, et je lui jetais :
- « J'ai mis effectivement une journée pour remédier au problème de Paris-Nation-Automobile. On va voir combien de temps, vous, vous allez mettre pour trouver cette même panne. Elle est maintenant dans le meuble de la société !... Au moins, vous ne perdrez pas de temps pour vous déplacer ! »
Je refermais la porte en le laissant avec son air hébété et régulièrement, les jours suivants, j'appelais le bureau pour me renseigner auprès de la standardiste.
C'était variable, quelquefois une à deux coupures pendant la journée, quelquefois plus, voire une succession de coupures non-stop pendant une heure. Bref, suffisamment de quoi piquer une crise de nerf : Je nageais dans le bonheur !
J’attendais un appel de sa part afin de l’entendre s’excuser et émettre des regrets pour ce qu’il m’avait dit devant tout le monde, j’aurais souhaité qu’il reconnaisse son erreur, mais rien, rien ne se passa. Trouver la panne par lui-même était hors de ses compétences et tenter de faire intervenir un autre dépanneur aurait été reconnaitre ma supériorité.
L'installation téléphonique fut entièrement remplacée au cours des semaines suivantes par une autre nouvelle génération.
Je ne reçus aucune remarque, aucune réflexion. En émettre une eut été de sa part avouer son insuffisance.
Inutile que j'évoque la suite des évènements... ce serait trop long !
Il n'aurait pas dû me railler et me provoquer, je n’aurais pas dû répondre et me laisser tenter, je n'aurais rien dû dire en dévoilant mes intentions...
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