Veni, vidi
Deux jours s’étaient écoulés et le soleil ne rayonnait guère à travers les vastes nuages grisonnants, en cette matinée sur la Gaule belgique. Aquilius finissait de mettre sa lorica hamata, cotte de mailles annulaire, et d’aiguiser son arme de prédilection, le gladius, animé par la ferme intention d’éliminer cette femme illuminée. À peine eut-il fini de mettre sa cape que son fidèle tribunus le rejoignit sous la tente.
— Legatus, dit Servilius, les speculatores sont revenus et ont trouvé la pierre levée que vous recherchiez. Elle se trouve à une journée de marche, à l’entrée de la forêt.
— Dans ce cas, nous partons impérativement pour cette forêt où ces barbares séditieux se sont certainement réfugiés.
— Mais nos légionnaires ne sont pas formés pour lutter dans cet environnement !
— Qui vous dit que nous irons les combattre sur ce terrain difficile ? J’ai ma petite idée pour arriver à mettre hors d’état de nuire ces insurgés.
— Et puis-je savoir quels sont vos plans ?
— Je vous les révélerai une fois arrivé à l’orée de la forêt d’Arduinna. Préparez la légion ! Qu’elle se tienne prête à se mettre en marche dans l’heure !
L’ordre du legatus fut aussitôt exécuté. Ses hommes s’équipèrent de leurs cotte de mailles, casque arrondi, gladius à longue lame, lance et bouclier oblong, pour ensuite se rassembler en formation. Habillé de sa tenue de legatus, Aquilius sortit de sa tente avec une prestance digne de son grade et de son rang dans l’aristocratie. Il monta ensuite sur son cheval blanc, et contempla ses légionnaires bien alignés, prêts à le suivre aveuglément dans la bataille. D’un simple regard, le legatus fit comprendre à ses officiers subalternes que le moment était venu de se mettre en marche.
La nuit tombait quand la légion d’Aquilius atteignit l’orée de la forêt ardennaise. Le legatus arrêta la marche de son armée, descendit de son cheval et s’avança vers une longue et lourde pierre dressée, partiellement recouverte de mousse. Des symboles en forme de spirales et des figures humaines ou animales étaient gravés dessus. Plusieurs formaient une scène étrange. Un animal quadrupède à la tête ornée de bois était entouré de sangliers au cœur d’une couronne de flammes. Même si Aquilius ne saisissait pas l’intérêt de cette réunion, il se doutait que pour les Gaulois, cela avait un sens sacré, le sanglier évoquant la bravoure. Après avoir observé la pierre dressée, Aquilius rejoignit Servilius et lui ordonna :
— Que nos légionnaires se mettent en position le long de l’orée de la forêt ! Ils formeront ainsi un filet pour les potentiels fuyards qui tenteraient d’échapper à notre raid.
— Un raid ? Avec quels hommes ? Nous ne pouvons user de nos tactiques de tortues au sein de cette épaisse forêt.
— Raison de plus de faire appel à des guerriers capables de se battre dans ce genre d’environnement, Servilius. Comme d’autres Gaulois.
— Des auxiliaires gaulois ? N’est-il pas risqué de faire appel à ces barbares incapables de suivre un ordre ou une discipline quelconque ?
— Ceux auxquels je pense ont été suffisamment… dressés à la discipline de nos armées. Avant de partir, j’ai envoyé un message à un certain Brennus, lui demandant de nous rejoindre. Il a été d’une grande aide lors de la guerre des Gaules, et si on ne peut pas compter sur ses hommes, on peut cependant compter sur lui.
— Legatus, cria un éclaireur accourant vers les officiers. Une troupe gauloise s’avance vers nous ! Celui qui semble être leur chef, un certain Brennus, souhaite vous voir.
Laissant Servilius, Aquilius rejoignit une troupe de Gaulois aux longues moustaches, habillés de braies à carreaux et équipés de cottes de mailles, de casques ailés et d’armes romaines. À leur tête, un homme à la moustache tressée s’avança vers Aquilius en le saluant à la romaine.
— Ave, legatus Aquilius, salua-t-il avec un affreux accent qui agaçait l’officier romain. C’est un honneur de nous retrouver après avoir contribué à la Pax Romana aux côtés de Caesar.
— C’est justement pour cela que je vous ai appelé, Brennus. Comme vous le savez, la République est troublée par la lutte opposant Octavius, l’héritier de Caesar, et Marcus Antonius. Mais ici, la plus grande menace est un groupe de vos congénères inspirés par les belles paroles d’une druidesse illuminée.
— Oui, la « Louve des Ardennes ». De vous à moi, je n’ai jamais toléré que les druides régissent nos lois et nos chefs. C’est une bonne chose que Caesar ait cherché à les éradiquer et nous libérer ainsi de leurs règles contraignantes.
— Eh bien, vous aurez l’occasion de nous aider dans cette tâche : dans ces bois se trouveraient la « Louve des Ardennes » et ses adeptes.
Aquilius indiqua la pierre levée et Brennus sursauta de peur, tandis que ses guerriers murmuraient entre eux.
— Que se passe-t-il ? demanda Aquilius. Je croyais que votre peuple n’avait peur de rien, à part de la chute de la voûte céleste.
— Cette pierre indique l’entrée du domaine de la déesse Arduinna, répondit Brennus, craintif. De dangereux esprits et autres génies malveillants de l’Autre-Monde y vivraient et pourraient nous infliger les pires châtiments.
— Vous me décevez, vous, un grand guerrier digne de votre peuple. Vous disiez être prêt à affronter les dieux pour la richesse et la gloire ! Si vous m’accompagnez dans cette forêt, vous recevrez les plus hautes distinctions, tout cela accompagné de nombreuses richesses, tant en terres fertiles qu’en pièces de monnaie.
D’abord partagé entre la crainte superstitieuse et la soif de gloire, le chef gaulois finit par se décider. Il s’adressa à ses guerriers avec fougue et hargne dans un dialecte incompréhensible pour Aquilius. Les auxiliaires brandirent leurs armes et poussèrent des cris de fureur guerrière. Satisfait, Aquilius les fit entrer dans la forêt d’Arduinna, où bien des dangers rôdaient.
Annotations