Une bête de cauchemar

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 Aquilius marchait dans la fraîcheur du soir, le long de l’allée, tout en réajustant sa toge afin de supporter les froides températures des nuits gauloises, quand il fut soudain intrigué par un vent soufflant dans les bosquets et les cultures de céréales. Plus il l’écoutait, plus il trouvait que cela ressemblait à un murmure ou à un râle fantomatique. Ces vents étranges cessèrent et Aquilius, soulagé, rejoignit son épouse aimée dans la chambre à coucher.

 Lucretia s’endormit aisément, au contraire d’Aquilius qui attendit le sommeil que lui prodiguerait le divin Somnus. À peine eut-il fermé les yeux qu’il entendit de nouveau le vent mystérieux soufflant à l’extérieur de sa chambre, qui ressemblait à un murmure avec des échos fantomatiques. Malgré la peur, Aquilius quitta son lit et sortit de la chambre sur ses gardes. Dans l’atrium, il chercha d’où provenaient ces bruits étranges et eut l’impression qu’il n’était pas seul. Le vent s’était tu et un râle attira l’attention de l’ancien legatus.

 Il contourna une colonne et se retrouva dans un monde sylvestre et sauvage, entouré de gigantesques arbres, dont les sommets montaient jusqu’au ciel. Ne comprenant pas comment il avait pu atterrir dans ce lieu, Aquilius se retourna et une vision d’horreur s’offrit à lui. Il vit, malgré l’obscurité ambiante, un guerrier gaulois cloué à un arbre, le ventre ouvert. Le cadavre releva la tête et regarda l’ancien legatus qui recula, effrayé. Le talon d’Aquilius cogna une masse molle. En se retournant, il vit à ses pieds un carnage composé à la fois d’hommes, de femmes, d’enfants, de guerriers, de paysans mais aussi de prêtres, de mages et druides. Aquilius reconnut des victimes des campagnes qu’il avait menées au nom de la gloire de Rome. Les cadavres se mirent debout un par un et s’avancèrent vers lui en poussant des grognements et des râles. Le cœur battant brutalement, Aquilius s’enfuit.

 Dans sa course effrénée, il voyait les arbres défiler plus vite que ce à quoi il était accoutumé. Même si les fantômes de ses victimes de guerre étaient loin derrière, le legatus sentait qu’une autre menace le suivait. Il l’aperçut dans son ombre étalée sur le sol devant lui. Elle se transforma en une grande créature d’apparence humaine, dotée de quatre pattes et d’oreilles pointues. Tout en continuant à courir, Aquilius regarda derrière lui et vit un gigantesque loup encore plus noir que la nuit le poursuivre. Ce prédateur avait des yeux rouges brillants et sa mâchoire était composée de dents tranchantes. Il bondit sur Aquilius et planta ses griffes acérées dans son dos, ce qui le fit tomber et crier de douleur.

 Couché sur le sol, face contre terre, Aquilius se réveilla et constata qu’il n’était plus dans une forêt obscure mais dans sa chambre, à côté de son lit. Il se releva et s’aperçut avec stupéfaction que sa tache de naissance avait changé. Elle était désormais moins floue et avait pris la forme vague d’un animal quadrupède à la queue longue et à la gueule énorme. Il fut interrompu dans son observation par un esclave qui entrait précipitamment dans la chambre, réveillant Lucretia au passage.

 — Dominus ! Dominus ! cria-t-il, paniqué, la bête a encore frappé cette nuit.

 — Que s’est-il donc passé ?

 — Le… le… le chariot qui devait… pa... partir… hi... hier soir... a… a été… a… a… attaqué par… ce… ce… monstre. Seul le… le… le vivivillicus en est revenu vivant. Il… il… il est soigné dans le logement… des… des… des esclaves !

 Après s’être rapidement vêtu de sa toge, Aquilius se précipita vers le logement des esclaves en passant par la cour agricole. Une fois entré, il vit le régisseur amputé de son bras droit, assis sur un tabouret, en train d’être soigné par un médecin.

 — C’était un spectacle horrible, dominus, expliqua l’Africain effrayé, une bête monstrueuse nous a attaqués et a tué les bœufs ainsi que le cocher.

 — Calmez-vous. Racontez-moi ce qui s’est passé.

 — Aucun cocher ne voulait diriger le chariot, craignant d’être attaqué par le monstre et prétextant que cette nuit était propice aux mauvais esprits. Je me suis résolu à y aller moi-même, accompagné d’un esclave sicilien pour le déchargement. Nous avons donc pris la route longeant l’orée de la forêt et les bœufs ont commencé à s’agiter de peur. Le Sicilien est ainsi descendu du chariot afin de les calmer. À ce moment-là, j’ai eu le pressentiment que nous n’étions pas seuls puis j’ai cru entendre des grognements bestiaux provenant de la forêt. C’est alors qu’a surgi un grand loup squelettique au poil gris, marchant sur deux pattes et aux yeux rouges brillants. La créature s’est attaquée au Sicilien effrayé en le mordant avec sa grande mâchoire. Pour le sauver, j’ai bondi du chariot, pris le fouet et frappé la bête dans le dos. Elle a lâché sa victime, déjà morte. Avant que je ne puisse le fouetter à nouveau, le loup m’a sauté dessus et mordu le poignet de ma main armée. Dans un intense et douloureux effort, j’ai réussi à me libérer en laissant ma main dans la gueule du monstre. Malgré mon bras amputé, j’ai pu m’enfuir tandis que la bête s’attaquait aux bœufs. J’ai marché péniblement toute la nuit jusqu’à arriver au petit matin aux portes du domaine.

 — Et que sont devenus le chariot et sa cargaison ?

 — J’ai envoyé deux esclaves les chercher mais ils les ont retrouvés, totalement détruits et irréparables, ainsi que les carcasses des bœufs et de l’esclave sicilien. Ce spectacle les a tellement effrayés qu’ils n’ont pas osé rester sur place, de crainte que la bête ne revienne pour les dévorer.

 — Nous récupérerons d’abord les débris et ce sous la bonne garde des légionnaires. Quant à la bête… nous la traquerons et la tuerons comme je l’ai fait avec mes précédents adversaires.

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