Toi et moi, juin 2019
Chapitre 3 : Toi et moi, juin 2019
Il faisait très chaud ce jour-là. Khalil était de sortie avec ses amis de la fac. Ils avaient profité d’une longue pause méridienne permise par l’absence d’un professeur pour se promener dans les rues de Paris. Un des quatre compagnons avait alors proposé de manger asiatique, et les autres étaient tous d’accord pour se dire que c’était une bonne idée . Ils mouraient tous de faim, surtout après deux heures passées à ingurgiter un cours magistral sur le droit du commerce international.
Les cinq jeunes hommes avaient fini par trouver un petit restaurant dans le coin d’une ruelle. Il était minuscule : une simple petite pièce carré ne pouvait accueillir que dix couverts maximum. Mais quelque chose à propos de cet endroit était spécial. Khalil ne savait pas si c’était à cause de cette peinture blanche défraîchie et écaillée, ou des figurines de chats maneki-neko alignées sur le comptoir et le saluant toutes avec un sourir espiègle. Une petite radio crachotait de la musique chinoise traditionnelle, sûrement un des plus grands hit de l’Empire du Milieu, se dit le jeune homme. Tout dans cet endroit semblait comme figé dans le temps.
Khalil tira une chaise de la table située juste à côté de la porte d’entrée. Celle-ci lui parut minuscule à côté de son mètre quatre-vingt-cinq. Pourtant il ne regretta pas son choix. De là où il était, il avait une vue imprenable sur le restaurant d’en face. Leur porte était en effet dans le parfait alignement de celle du restaurant asiatique. Khalil pouvait tout voir : les clients en train de déguster leur repas, les serveurs faisant des allers et retours dans la salle, et même les commis de cuisine travaillant sous une chaleur accablante de l’autre côté du bar. Khalil s’en amusa tellement qu’il ne se rendit pas compte que les garçons avaient déjà commandé.
C’est une fois que Khalil s’attaqua à son troisième plat de raviolis qu’elle attira son attention. La jeune femme déjeunant toute seule, dans le restaurant d’en face. Elle dévorait avec entrain ce que Khalil devinait être une salade. Ses yeux noirs pétillaient d’une joie qui le médusa. Comment une simple salade pouvait donner à quelqu’un autant de joie ?
Ses yeux se détachèrent des siens pour observer le reste de son visage. Elle avait la peau satinée, comme si elle avait été dorée à l’ambre. De là où il était, il pouvait distinguer ses lèvres charnues et serties d’un arc de cupidon fier et marqué. De la sauce vinaigrette en dégoulinait et arrosait de gouttes verdâtres son menton pointu. Elle les essuya du revers de sa longue main. La jeune femme remit ensuite une mèche de cheveux brune et frisée derrière son oreille avant de lever la tête. Khalil se heurta à son regard d’onyx. Surpris et intimidé, il baissa instinctivement les yeux. Les garçons n’eurent pas l’air de s’en apercevoir, car ils continuaient de rire et de se charrier les uns les autres.
Le jeune homme continua de jeter des coups d’oeils ça et là, à des intervalles réguliers. La fille du restaurant les interceptait à chaque fois, ce qui le rendait de plus en plus nerveux. Alors qu’il leva la tête une nouvelle fois pour l’observer, son souffle se coupa. La jeune femme était là, juste devant lui, sous le regard stupéfait de ses amis.
_ Je t’ai vu de l’autre restaurant, finit-elle par dire après quelque secondes d’un silence embarrassant. Je te trouve plutôt mignon, et je crois que c’est réciproque.
Khalil ne sut pas quoi répondre. Ses lèvres scellées dans une moue indéchiffrable et ses yeux écarquillés lui donnaient l’air encore plus bête.
La jeune femme fouilla longuement dans son sac avant d’en sortir un carte. Elle la lui tendit d’un geste vif.
_ Tiens, voici ma carte. Je m'appelle Mana. Mana Carreira. Appelle-moi quand tu auras repris tes esprits.
Khalil prit enfin la carte et l’observa brièvement. Celle-ci était cornée et tâchée à plusieurs endroits. Il était évident qu’elle avait vécu toutes sortes de choses dans ce sac encombré. Il pouvait y lire : “Mana Carreira, fleuriste”. Le jeune homme réussit à formuler un timide “merci” avant de redresser la tête.
Mais elle était déjà partie.
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