Ce fut le pire matin de la vie de Roxanne, mais il fut supplanté par celui du lendemain et du surlendemain. La jeune femme passa les trois jours au lit, pétrifiée. Elle sortait de sa torpeur agitée pour nourrir Gaston, qui, depuis son aventure de la première nuit, ne quittait plus le dessous du sofa. Elle avait eu beau l'appeler, le supplier, l'inviter à la caresse, lui promettre de le bercer de ses bras de maman aimante, rien n'y faisait. Gaston ne se montrerait pas. Il profitait de ses moments de toilette et de ses longues séances de stupeur devant la glace, pour manger et pour utiliser le pipi-pad. Il entendait sa maîtresse se traîner jusqu'à sa chambre. Elle se plantait devant la psyché, où elle vivait, parmi l'effroi que lui faisaient ses cheveux, un nouvel épisode à son feuilleton d'horreur dont le laroh n'était pas sûr de vouloir connaître la suite. Il voyait, comme elle, les cheveux allonger de dix centimètres par nuit. Il l'avait vue mesurer avec angoisse, le matin même, l'étendue de son cauchemar. Il savait, pour l'avoir vue faire des milliers de fois, que, le portable sur les genoux, le dos calé contre deux oreillers, elle écumait le web en quête de réponses. Il l'avait entendue appeler Fred et Gaëlle, sa voix tremblotante quand elle tentait de les faire identifier l'échoppe de la femme qui avait fait de sa vie un enfer.

Le quatrième soir, Roxanne se résolut à se faire à manger. Se forçant à marcher jusqu'à la cuisine, elle croisa en passant le reflet d'une enfant sauvage tenue de porter, pour les besoins de la civilisation, une ample robe de nuit de coton blanc. Le frigo était vide. La dépense contenait, par bonheur, une boîte de gombos bios. Le désir de ces gousses fondantes, douces au palais, la rendait fébrile. Mais bien sûr, les gombos, il faut les manger frais, grillés ou sautés dans l'huile d'olive. Elle les aurait dévorés crus. Elle en bavait. Enfin, elle avait faim. Debout devant la cuisinière, elle suivait, captivée, la subtile danse des dreads dans la vapeur de l'ébullition. Des gombos en canne, réchauffés, pourquoi pas.

Roxanne eut à peine le temps de rafraîchir les légumes au robinet, qu'une horde de dreads affamés se jetèrent sur eux. Ils ne laissèrent rien. La jeune femme regarda avec horreur les rouleaux engloutir, tels des tuyaux d'aspirateur fous, son seul repas en quatre jours. Sous le choc, elle se traîna vers la première chaise, et s'y laissa tomber.

Sa résolution était prise ! D'un bond, elle se leva, chercha des yeux son portable. Chargée à bloc d'énergie biologique, elle appela sa coiffeuse. Trop tard. À vingt et une heures dix, Josiane mettait la clef sous la porte. Non, désolée, trop fatiguée pour prendre une autre cliente. Rappelle-moi demain, ma belle. Cinq minutes ? Voyons donc ! Je n'ai même pas le temps de te raser la tête, en cinq minutes. Quoi...Tu pleures ?