Mélilémots #1
Mots à incorporer : bain, ruban, éternuer, alambiqué, étincelle
— Si vous ne me détachez pas je risque de me noyer.
L’elfe ne lui accorda pas un regard. Elle tenait la bride du cheval qu’il montait d’une main pendant qu’elle regardait la rivière de ses grands yeux verts. Charlie soupira et fit une mine boudeuse. Il baissa la tête, laissant quelques mèches rousses lui masquer les yeux.
— Je ne comprends pas pourquoi vous faites ça.
— Tais-toi donc.
Elle tendit son oreille pointue, attentive au moindre bruit suspect. D’une main, elle dégagea une courte mèche blonde de son oreille.
— Je ne suis jamais venu ici, mais je sais une chose, les dragons restent généralement en clan et…
D’un mouvement du poignet, elle attira la longe vers elle, entraînant le cheval et coupant le sifflet à son prisonnier. Charlie finit par se taire. Il regarda dans la même direction qu’elle, tentant de comprendre ce qu’elle attendait.
— Ça a l’air d’être sûr ici. Nous allons pouvoir nous laver.
Charlie leva un sourcil ironique.
— Je ne suis pas vraiment habitué à prendre mon bain dans une rivière.
L’elfe lui jeta un regard mauvais. Il se ratatina sur lui-même.
— Vous pourriez au moins me donner votre nom.
Elle l’ignora superbement. Il poussa un soupir sonore. Depuis le début de leur trajet, il avait tenté maintes fois d’engager la conversation, de comprendre pourquoi elle l’avait assommé puis kidnappé, mais rien n’y faisait. Elle n’ouvrait la bouche que pour le strict nécessaire.
Il n’y avait aucun arbre auquel attacher Fang, mais le cheval était bien dressé. Lorsque l’elfe aida Charlie à descendre, il resta sur place, renâclant simplement avant de se pencher pour manger de l’herbe. La Plaine des Géants Ailés, couvrant la majeure partie de la Terre des Dragons, n’était constituée que d’une immense plaine herbeuse, à peine entachée par la Forêt des Fées et le Lac du Repos. Le fleuve devant eux devait être la rivière Lomeam, issue du lac en question et l’un des deux seuls cours d’eau du continent.
Le regard méfiant, l’elfe commença à dénouer les liens qui maintenaient la tunique de Charlie en place.
— Une seconde je vous prie ! Nous ne sommes pas encore assez intimes pour que vous me déshabilliez !
Elle l’ignora une fois de plus. Mécontent, il se contorsionna pour lui compliquer la tâche. Agacée, sa geôlière tira d’un coup sec sur le cuir retenant ses mains. Avec un cri de douleur, Charlie cessa de bouger.
— Si vous ne vous laissez pas faire, je vous assomme. Je peux vous assurer qu’une personne inconsciente a bien plus de chances de se noyer qu’une personne attachée.
Charlie déglutit et se raidit. Elle l’avait déjà assommé une fois, pourquoi pas deux ? L’elfe reprit ce qu’elle était en train de faire. Lorsqu’il se retrouva en caleçon de coton, le rouge sur ses joues parvint presque à cacher ses taches de rousseur. Son corps était plutôt maigre et il était gêné de le montrer à la jeune femme. Il possédait quelques muscles, mais curieusement, ces derniers n’apparaissaient pas sous sa peau.
Une étincelle dans ses yeux noisette, il lança malicieusement :
— A votre tour ?
Contrairement à ce qu’il pensait, elle n’hésita pas à retirer sa tenue de cuir. D’un geste expert, elle tira sur les rubans retenant son corset. Le teint plus écarlate encore, Charlie resta bouche bée devant l’elfe à moitié nue. Ne portant plus qu’une culotte de coton, il put apprécier son corps délicatement musclé. Sentant une réaction venir à la vue de sa poitrine menue, il détourna les yeux. L’elfe ricana.
— Et bien quoi ? Tu n’as jamais vu une femme nue ?
— Vous avez l’esprit bien alambiqué, marmonna-t-il.
Elle n’était pas nue, mais c’était déjà bien plus qu’il n’avait déjà vu. Aucune fée ne s’était jamais présentée nue devant lui. Les plus âgées ne l’aimaient pas, seules les enfants appréciaient sa compagnie. Il sourit à la pensée des histoires de dragons que les petites aimaient tant.
La jeune femme le saisit par le bras, prenant garde à ne pas le toucher avec autre chose que sa main. Charlie la remercia intérieurement. Son bas-ventre se contractait déjà bien assez comme ça. Sans ménagement, elle le fit entrer dans l’eau. Un long frisson remonta le long de son corps. L’eau glaciale avait eu un effet radical sur sa réaction naissante.
— Elle est gelée !
L’elfe ne répondit rien, se contentant d’entrer à son tour. Elle l’entraîna plus loin avec elle. Pris d’une irrésistible envie d’éternuer, Charlie se tourna sur le côté pour ne pas l’éclabousser. Imperturbable, la jeune femme le lâcha pour s’enfoncer plus loin dans l’eau. Bien qu’elle soit plus petite que lui, elle nagea jusqu’au centre du cour d’eau, faisant quelques brasses pour détendre ses membres alanguis. Le jeune homme la suivit du regard, appréciant le spectacle.
Un léger tremblement parcourut ses membres, lui rappelant que l’eau était glacée. Profitant qu’elle ne regardait pas dans sa direction, il commença à faire chauffer ses mains. Rapidement, l’eau les entourant chauffa à son tour. Ce n’était pas grand-chose, mais la sensation glaciale qui le tenait s’effaça petit à petit. Il soupira d’aise. Augmentant la température, il commença à se sentir mieux. Lorsque l’elfe le rejoignit, il se dépêcha de couper sa magie. Elle leva un sourcil dédaigneux.
— Tu peux continuer si tu veux. Ce cuir résiste à la chaleur. Tes pouvoirs de feu ne lui feront rien, et si ça peut te permettre de ne pas tomber malade…
Avec un sourire au coin de ses lèvres fines, elle passa à côté de lui pour rejoindre la berge. Elle ébouriffa ses cheveux courts pour les sécher. Son vêtement mouillé collait à ses formes. Charlie se détourna rapidement, préférant se concentrer sur la chaleur de ses mains. Maladroitement, il plongea la tête dans l’eau qu’il venait de chauffer. Il s’ébroua en sortant la tête et décida que c’était bien assez. Si son odeur indisposait sa geôlière, elle n’avait qu’à le libérer.
Il remonta difficilement sur la berge, trébuchant sur des rochers qui lui écorchèrent les pieds. Il fronça les sourcils lorsqu’il sentit une pierre plus tranchante que les autres lui entailler le talon. La douleur lui fit perdre l’équilibre. Un cri s’échappa de sa bouche tandis qu’il tombait dans une gerbe d’éclaboussures.
L’eau s’engouffra dans sa bouche, le faisant étouffer. La panique s’empara de lui. Avec des gestes désordonnés, il tenta de retrouver la surface, ne sachant plus si elle se trouvait devant ou derrière lui. Les bulles provoquées par ses mouvements lui bloquaient la vue, gonflant sa peur. Un cri voulut sortir de sa bouche, mais seules de nouvelles bulles en sortirent. Sa vue s’assombrit, l’inconscience le gagnait.
Alors que la folie lui disait de sortir ses ailes, qui ne lui serviraient absolument à rien sous l’eau à part à l’alourdir, une main ferme lui saisit le bras. Il s’ancra à ce contact pour ne pas perdre connaissance. La main le tirait dans une direction qu’il espérait être la surface. Il essaya de se faire le plus léger possible, malgré la douleur qu’il ressentait au bras qui se tordait sous la traction. Lorsque sa tête creva la surface, il étouffa. De l’eau sortit de ses poumons alors qu’il essayait d’aspirer tout l’air possible. Il n’avait passé que quelques secondes sous l’eau, mais elles lui avaient parues des heures.
La main le tenait toujours. Avec force, elle le tira vers la berge. Il se laissa échouer sur la terre humide, crachant tout ce que ses poumons avaient ingurgité. Lorsque son souffle commença à reprendre un rythme normal, il se détendit.
— Merci, chuchota-t-il.
Il n’entendit pas la réponse de l’elfe. Il avait sombré dans l’inconscience.
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