Mélilémots #6
Mots à incorporer : Méditation, cryogéniser, politique, kitsh, dubitatif
Les yeux fermés, le président faisait le vide en lui. Les dernières heures avaient été éprouvantes, il avait grand besoin de cette séance de méditation. Il prit une grande inspiration, la maintint bloquée quelques secondes dans ses poumons, avant de relâcher tout à fait son souffle, vidant tout l’air de son corps. Il recommença encore plusieurs fois, éliminant une à une chaque pensée parasite de son cerveau.
Lorsqu’il fut tout à fait calme, il prit le temps de ressentir chacun de ses membres, de la pointe de ses orteils au sommet de sa tête. Tout était à sa place. Tout était normal. Il n’y avait pas de problème. Il poussa un soupir d’aise, le bien-être parcourant tout son être. Il savait que ce moment de paix ne durait qu’un instant.
Il ouvrit ses yeux bruns lorsque la porte de son bureau s’ouvrit. Un homme chauve se présenta à lui, l’air professionnel. Assis sur un coussin confortable, le président s’obligea à se lever. Ses genoux craquèrent, mais il fit mine de n’avoir rien entendu.
— Monsieur le président, il faut y aller.
L’interpellé hocha solennellement la tête. Il savait que ce moment viendrait un jour où l’autre. Il jeta un œil autour de lui, à ce bureau qu’il ne reverrait certainement jamais, en tout cas pas dans cet état. Il détailla la décoration, les tableaux offerts par des dignitaires d’autres pays, les bibelots un peu kitshs que sa fille lui avait offerts, comme cette adorable peluche rose bonbon qu’il n’avait pas hésité à poser à côté de son ordinateur, ou encore les plantes vertes que sa femme l’avait obligé à installer à des endroits stratégiques de la pièce. Toutes ces choses allaient lui manquer.
— Allons-y, déclara-t-il en passant devant le garde du corps.
Ils parcoururent les couloirs de la maison blanche sans s’arrêter. A leur passage, chaque employé s’arrêtait pour leur adresser un signe patriotique. Sa politique n’avait certes pas été parfaite, mais il avait su imposer le respect à ses subordonnés. C’était un homme juste qui ne faisait pas de différence. Chaque personne était importante ici, du plus haut dignitaire à la femme de ménage qui récurait les toilettes.
Il adressa un signe de tête à chacun d’entre eux. Ils savaient tous que c’était probablement la dernière fois qu’ils le voyaient, aussi ne rataient-ils pas cette occasion de lui dire au revoir. Emu, le président accéléra le pas. Il ne voulait pas montrer de signe de faiblesse devant des personnes qui comptaient sur lui.
— Monsieur, nous avons un problème.
Le président se tourna vers son garde du cœur qui s’était arrêté dans le couloir menant au garage.
— Qu’y a-t-il Georges ?
Une main sur son oreillette, le dénommé George écoutait attentivement ce qu’on lui disait.
— Une manifestation sur le chemin du laboratoire.
— Prenons-en un autre.
— Toutes les voies sont bouchées.
Le président grimaça.
— Aucune échappatoire ?
Georges secoua la tête. Ils étaient piégés ici.
— Aucun hélicoptère non plus. Nous sommes coincés.
— Les souterrains ?
— Nous n’y serons pas assez vite.
— C’est déjà une première avancée.
Sans attendre l’approbation du garde du corps, le président fit demi-tour et s’engouffra dans un autre couloir.
— Monsieur le président, je ne sais pas si…
— Suivez-moi.
Il marcha d’un pas assuré jusqu’à un pan de mur en apparence anodin. Il sortit un médaillon de sous sa chemise et l’approcha de l’interrupteur. Ce dernier émit un bruit sec et le pan de mur s’ouvrit légèrement. D’une main ferme, le président le poussa et pénétra dans un nouveau couloir faiblement éclairé.
Les murs de béton s’étendaient sous toute la maison blanche. Georges se glissa devant son protégé pour vérifier le chemin, prenant garde au moindre bruit suspect. Mais tout était calme, beaucoup trop calme. Rapidement, ils quittèrent la maison blanche pour s’engager sous le reste de la ville. Le silence devint bientôt bien trop pesant.
— Georges…
— Oui monsieur ?
— Plus rien ne sera comme avant, n’est-ce pas ?
Le garde du corps mis quelques secondes avant de répondre.
— Non, monsieur.
— Pourriez-vous arrêter de m’appeler monsieur ? Pour les quelques heures que nous allons encore passer ensemble ?
L’air dubitatif de Georges lui arracha un sourire.
— Si vous le désirez.
Ils marchèrent en silence quelques minutes avant que le président ne reprenne.
— Vous pourrez dire à ma famille que j’ai pensé à eux chacun des instants qui ont précédés ce moment ?
— Bien sûr.
Ils tournèrent dans un nouveau couloir.
— Georges ?
— Oui ?
— Je crois que j’ai peur.
Le garde du corps eut un instant d’hésitation, pourtant, il poursuivit sa route.
— C’est normal d’avoir peur. Vous ne savez pas ce qui vous attend.
— Ce qui m’attend, murmura le président.
— Les secrets doivent être bien gardés. C’est pour cette unique raison que nous allons au laboratoire.
— Je le sais bien. Mais quitter ma famille, comme ça…
L’image de sa fille, cette jolie brune aux yeux pétillants, s’imposa à son esprit. Une larme perla à ses yeux à la pensée qu’il ne la verrait jamais devenir une femme.
— Qui va prendre soin d’eux ? lâcha-t-il d’une voix brisée.
— Je vous promet que je veillerai sur eux.
La gorge nouée, le président hocha simplement la tête, reconnaissant.
— Vous êtes un brave homme, Georges.
Les minutes passèrent, se transformant en heures, sans que le moindre mot ne soit plus échangé. Ils étaient loin du laboratoire, pourtant, aucun des deux hommes ne faiblit devant le chemin à parcourir. Lorsqu’enfin ils arrivèrent à destination, ils passèrent la porte qui les séparait de destin du président.
Il parcourut les derniers mètres qui le séparaient de sa destination avec une raideur qu’il n’avait pas ressentie depuis longtemps. Un laborantin l’accueillit sans un mot, le guidant vers la machine qui devait s’occuper de lui.
— Monsieur le président, l’invasion extraterrestre a quelque peu changé la donne. Nous n’avons plus le choix, il faut conserver les secrets de notre territoire jusqu’au bout. Votre devoir est de conserver coûte que coûte ces informations. Êtes-vous prêts à ce que nous vous cryogénisions pour l’avenir ?
Le prédisent ferma les yeux et prit une profonde inspiration, bloquant son souffle dans ses poumons quelques secondes, avant de relâcher tout l’air contenu dans son corps. Ses paupières se soulevèrent, son regard se dirigea vers son interlocuteur.
— Je suis prêt.
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