Prologue (Repris)

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Camp de concentration de Dachau, 30 avril 1945.

  L’heure de ma mort approchait, je le savais. La sidération des soldats américains, les visages compatissants de mes compagnons d’armes, les râles des survivants et les cadavres que j’enjambais me laissaient de marbre. Je me foutais pas mal de cette scène d’apocalypse. Seules mes souffrances comptaient. Ou plutôt, celles de la femme que je tenais dans mes bras. Son crâne rasé et son corps squelettique couvert de blessures me dévastaient. Je la reconnaissais à peine.

 Après toutes les épreuves endurées, les semaines à sillonner les routes pour la retrouver, j’arrivais trop tard. Son décès remontait à deux ou trois heures environ. Je payais le prix de ma lenteur et de ma négligence. Un constat cruel, implacable, insoutenable.

 L’enfilade de dortoirs se profila devant moi. De chaque côté, les baraquements immondes masquaient la lumière du jour. Les barbelés et les miradors s’étalaient à perte de vue, les relents d’urine, d’excréments, de chair en décomposition me retournaient l’estomac. J’imaginais ma moitié, enfermée dans l’un de ces clapiers dégueulasses. Lequel de ces taudis lui avait-il servi de dernière demeure ? Quelles horreurs avait-elle subies ? Ces sombres pensées me harcelèrent tout au long de mon chemin de croix.

 Arrivé à destination, j’ouvris la porte du réfectoire. Miteux, sinistre, comme tout le reste. Un futur hôpital de campagne remplaçait les tables et les bancs, poussés contre les murs. Le battant grinça sur ses gonds et se referma derrière moi. Le silence de mort, rompu par les couinements de mes chaussures sur le parquet poisseux, me tomba dessus.

 J’allongeai délicatement mon amour sur l’un des lits de camp, lui caressai la joue, embrassai son front une dernière fois. Ici, elle reposerait à l’abri des regards. Du moins, je le croyais… avant d’apercevoir un type en uniforme GI[1] au bout de la pièce.

 Mes muscles se figèrent quand il retira son casque. Il dégaina, pointa son pistolet dans ma direction, me rejoignit sans se presser. Une haine glacée brillait au fond de ses iris.

 — Que… qu’est-ce que tu fais là ? soufflai-je.

 — Désolé, je n’ai pas le choix.

 Il visa ma poitrine. Je n’en revenais pas. Cet enfoiré, pour qui j’aurais pu sacrifier ma propre vie, s’apprêtait à m’abattre de sang-froid. Sa main ne tremblait pas. Moi non plus. Je ne ressentais ni peur ni soif de vengeance. Juste l’envie de crever. À quoi bon tenter de le raisonner ? Cette ordure avait tout gagné, et moi, tout perdu. Mon destin était donc tracé depuis le début.

 La détonation du tir me déchira les tympans. Le souffle coupé par l’impact de la balle, je m’écroulai aux pieds de ce sale traître dans la poussière du plancher. Jamais je n’aurais pensé que l’héritage de mon arrière-grand-père me mènerait aux portes de l’enfer.

[1] GI : surnom donné aux soldats américains

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