Sommeil...
Plongée dans l’obscurité rassurante de ma chambre, j’écoutais hurler le vent derrière les fenêtres tremblantes, couvertes d'un poussiéreux rideau. Les minutes passaient mais comme toujours le sommeil ne venait pas. Je me tournai, me retournai, réajustai mes draps, tapotai mon oreille, recalai mon ours en peluche entre mes bras et fermai de nouveau les yeux. Mais rien, rien ne vint, ni le noir du sommeil, ni les couleurs d’un rêve, ni le jour derrière le rideau. Je me redressai, il faisait chaud, peut-être trop chaud. Je me glissai dans le couloir, dévalai en silence l'escalier, trébuchai sur l’immonde tapis de notre salon, et m’assis sur le rebord de la cheminée. Quelques braises crépitaient encore et l’odeur du bois brûlé me chatouilla les narines, je me laissai hypnotiser par les petites flammes qui grignotaient ce qu’il restait de bois. Doucement, très doucement, le feu faiblit, pour finir par s’éteindre dans un petit nuage de fumée qui me piqua les yeux aux larmes. La pièce, jusque-là était éclairée par la faible lueur rouge des braises, fut plongée dans le noir, un noir calme et chaleureux, dont le silence n’était brisé que par les craquements de la vielle maison. Quand ma nuque devint raide et que la chaleur me monta à la tête, je me redressai et m’époussetai, remontai dans ma chambre, me recouchai et me remit à la recherche du sommeil. Cette nuit-là, il fut particulièrement difficile à trouver, caché entre mon trop plein d’énergie et mes trop nombreuses pensées. Je le sentis finalement pointer le bout de son nez, mes paupières devinrent lourdes comme si un poids pesait dessus, comme si on m'enveloppait d'une douce étreinte. Ma respiration se calma, mes muscles se détendirent et, enfin, je m'endormis sans même m’en rendre compte.
Quand j’ouvris les yeux, je fus éblouie par la lumière qui filtrait à travers le rideau, je tirai la couette sur ma tête pour tenter de me cacher du soleil mais rien n’y faisait. Il illuminait la pièce et chassait le sommeil que j’avais tans attendu. Résignée, je poussai mes couettes et me levai en baillant et en me frottant les yeux. Un peu d’eau sur le visage, une veste sur le dos et me voilà dévalant encore les escalier. Manquant de tomber, je réussis néanmoins à arriver en un seul morceau dans la cuisine. J'avalai en vitesse une tasse de thé pour aussitôt me propulser dans le jardin, attrapant mon livre au passage. Le soleil réchauffait la façade de notre maison pour mon plus grand bonheur, le vent s’était calmé, le ciel était dégagé et l’odeur sucrée des fleurs du pommier embaumait l’air et me collait à la peau. Je m’assis sur notre banc, profitant de l’herbe sous mes pieds nus, j’ouvris mon livre et continuai la lecture brusquement interrompue hier par l’arrivée d'un mystérieux invité qui ronflait encore dans la chambre d’ami. Silencieusement le soleil s'élevait et la chaleur augmenta, je me débarrassai rapidement de ma veste et m’allongeai dans l’herbe pour profiter des dernières gouttes de fraîcheur qu’elle gardait pour elle.
C’était ma mère qui vint me tirer de ma rêverie pleine de sorcières et de monstres pour m’annoncer que le déjeuner était prêt. Abandonnant mon livre sur place je la suivis, me rendant compte que je mourais de faim et de soif. Il commençait à faire particulièrement chaud et je me demandai si je n'allais pas devoir rapidement enfiler un short à la place de mon bas de pyjamas. Tandis que ma mère mettait la table je montai en vitesse dans ma chambre pour changer ce pantalon. C’était en sortant de celle-ci, boutonnant mon short que l’inconnu sortit de la chambre d’ami. Encore à moitié endormi, les cheveux en bataille et le col de sa chemise de travers, je pus enfin mettre un visage sur la voix que j’avais entendue se disputer la veille avec ma mère, tard dans la nuit. Plutôt grand, les cheveux noirs et la peau un peu mate. Il ressemblait à un espagnol mais seul ses cheveux était touffus et sombre, il était presque imberbe pour le reste. Quand il leva un regard encore plein de rêve, je pus constater qu'à l’antipode de ses cheveux, ses yeux étaient très clairs, presque blancs. C’en était troublant, voire un peu terrifiant. Il esquissa un signe de main timide que j’ignorai en continuant mon chemin vers la cuisine, la nourriture d’abord, la politesse ensuite.
Assis tous les trois à table, l’atmosphère était loin d’être joyeuse, mais personne ne semblait décidé à rompre ce silence gênant. Quand l’indésirable se tourna vers ma mère pour lui demander la confiture de rhubarbe je ne pus m’empêcher de dire d’une voix haut perchée :
- Au fait ‘man tu comptes me dire qui c’est ou je suis censée lui ouvrir la tête pour chercher son identité ?
Ma mère s’étouffa une seconde avec le morceau d’œuf qu’elle avait dans la bouche mais se reprit bien vite, comme à son habitude elle ne laissa rien interférer avec son apparence parfaite.
- Chérie, ce n’est pas une façon de parler.
- Et c’est une façon de débarquer à presque 3 h du matin dans la maison d’une famille sans s’annoncer et en réveillant tout le monde ?
Ma mère se tut un instant et sembla réfléchir, je ne lui laissai pas le temps de se justifier, ni elle ni lui ;
- Et vous ? Vous pourriez peut-être vous présentez et expliquer la raison de votre présence ici. Vous semblez connaitre ma mère, mais personnellement je ne vous connais ni d’Eve ni d’Adam alors faisons les présentations pour que l’ambiance puisse enfin changer ! Je suis Sophie, fille de Marie et de Luck Fernand, mon père est mort il y a quatre ans, j’ai 23 ans, je suis bélier et comme vous avez pu le constater je ne mâche ni mes mots ni mes manières!
Ma mère fit mine d’ouvrir la bouche, mais se ravisa en voyant mon regard. Je n’avais pas envie de jouer, à force de me réfugier dans les livres, je m’étais façonnée caractère bien trempé. L’inconnu prit le temps de terminer de mâcher son bout de pain, de poser son couteau plein de rhubarbe et de lever les yeux vers moi. Il sourit, amusé sans doute de la scène qui se déroulait, une scène bien plus divertissante que le début de ce déjeuner.
- Il est vrai que je ne me suis pas présenté, je m’appelle Alex, et je viens du nord, j’ai 25ans, je n’ai plus de parents et Marie est une vielle amie de ma mère. J’ai eu quelques problèmes personnels et j’ai eu besoin d’un endroit où me retrouver. Je suis arrivé tard hier car ma voiture est tombée en panne plusieurs kilomètres avant votre maison, j'ai du marcher jusqu'ici.
- Vous auriez pu appeler un taxi.
- Mon téléphone n’avait plus de batterie.
- Étrange mélange de coïncidence vous ne trouvez pas ?
- Ce que je trouve étrange c’est nous en train de nous vouvoyez alors que nous avons presque le même âge! Il sourit de plus belle.
- Je trouve cela plus agréable aux oreilles que le tutoiement, ne trouvez-vous pas ?
- Certes mais bien moins pratique.
Il marquait un point. Ce vouvoiement le faisait paraître important alors que ce n’était pas le cas, maintenant que je savais qui il était, il n’avait plus rien de mystérieux.
Pour le moment en tout cas.
- C’est vrai, tu as raison, répliquai-je aussitôt, alors soit ! Tutoyons-nous.
Il me lança un sourire plein de dents, ma mère, toujours silencieuse dans son coin, se racla la gorge et enfourna une madeleine dans sa bouche comme si le temps lui manquait. J'engloutis en vitesse mon assiette, la posa dans l’évier et retourna à ma lecture sans attendre une nouvelle réflexion de ma mère. Ce déjeuner avait été plus épuisant que mes cours d’histoire médiévale et pourtant ce n’était vraiment pas ma tasse de thé! Le temps n’avait pas changé pendant le repas et je fus ravie de retrouver la température de l’extérieur qui me tiendrait compagnie pendant la fin de ma lecture. J’en étais au dénouement et il me tardait de découvrir comment l’auteur aller se dépêtrer de son histoire plus que complexe.
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