Les ailes de Jamaavat

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« Plaque molle ! »

Un morceau de coque grand comme une maison venait de surgir devant le bombardier. Othon vira sur l’aile en allumant les propulseurs.

« Allez, foutu bus à bombe ! Tourne ! »

La sueur coulait dans ses yeux, brûlante comme l’acide. Le bruit d’outils projetés au sol s’éleva derrière lui. Quelque part sous le plancher, Prajan lâcha une flopée de jurons aussi imaginatifs que fleuris.

« Praj’, j’ai besoin de puissance ! »

Déjà, l’ombre du débris avait recouvert le bombardier. Le vaisseau aux propulseurs agonisant n'avait aucune chance de le distancer, aucun espoir de fuite.

« C’est pas vrai ! C’est une blague ou quoi ? »

Deux autres mastodontes venaient d’apparaitre, bloquant sa route, comme si les âmes des victimes furieuses voulaient les écraser. Le vaisseau heurté sur le flanc fit une embardée, provoquant une nouvelle et riche envolée de juron de Prajan.

« Tu ne veux pas arrêter de te jeter sur tous les obstacles que tu vois ? »

Pris au piège, Othon cherchait une issue, en vain. Il ne lui manquait qu’un peu de poussée.

« Au lieu de râler comme un vieux lézard, donne-moi de… »

Collé au siège, le Caesar ne finit pas sa phrase. Les voyants s’allumèrent sur toute la console. Brusquement projeté en avant, le bombardier filait, tandis que l’espace se refermait devant lui.

« Plus vite ! Vas-y, tu peux le faire, saleté de tas de ferraille ! »

Des tableaux de commande explosèrent dans une nuée d’étincelles et de flammes, enclenchant les extincteurs automatiques.

« Ok ok Je suis désolé ! T’es un super vaisseau, le plus sept de tous ! Casse pas, tiens le coup ! »

Les mâchoires étaient désormais quasiment refermées. Sur les écrans, les jauges de puissance chutaient à mesure que les propulseurs se coupaient.

« On y est presque… »

Les mâchoires claquèrent sur le vide et le bombardier échappa de justesse à la destruction. Othon, le souffle coupé, observait le spectacle qui désormais s’offrait à lui. L’espace se parait de voiles irisés, des décharges d’énergie se déployaient en corolles de lumières aux couleurs riches et vives.

« Les ailes de Jamaavat… Quelle beauté ! »

Les savants n’y voyaient que le résultat de l’interaction entre deux boucliers de défense proches l’un de l’autre. Pour les poètes et les vétérans, ce qu’ils admiraient était les ailes de la Déesse, abritant l’âme des soldats morts veillant sur leurs frères d’armes.

« On est devant le mur Praj’ ! Tu devrais regarder, c’est incroyable ! Une merveille… »

Remontant de l’espace sous le plancher, le consul resta un instant à admirer le spectacle. Il était rare de se trouver aussi près d’un mur de défense de la ligne de bataille. Les cuirassés avaient levé leurs boucliers à la puissance phénoménale, capables d’encaisser des explosions qui réduiraient une ville en cendres.

« Magnifique et mortel. Ces radiations pourraient nous cuire et griller toute notre électronique. »

Othon acquiesça. C’était entre les boucliers, dans la zone mortelle, qu’ils allaient devoir se faufiler.

« Je compte pas m’y éterniser Praj’. On en est où des relais ? »

« On devrait avoir ce qu’il faut de puissance, en dépit de tes acrobaties. »

« Mes acrobaties nous ont sauvé la vie Praj’, tu devrais me remercier au lieu de ronchonner. T’as à peine une ou deux estafilades… Tu veux un bisou qui soigne ? »

Prajan attrapa la trousse de secours et appliqua un spray sur deux vilaines coupures qui ornaient son front.

« Tu m’as ouvert le crâne et maintenant tu veux infecter ma plaie ? Sans façon ! Je me passerai de ta bave ! »

« Pauvre bébé ! Arrête de te plaindre et programme le navigateur pour optimiser la poussée. Pendant que tu saigneras sur les commandes, je nous mets en position et je stabilise notre dérive sur celle des cuirassés. »

Dans un profond soupir de lassitude à peine exagéré — avec la touche de cabotinage appropriée — Praj se tourna vers les contrôles de navigation. Devant lui se trouvaient des écrans fondus et des commandes calcinées d’où s’élevait encore un peu de fumée.

« Othon, tu as cassé les commandes. »

« Je.. Non ! C’est même pas vrai… Je te jure Praj’, quand tout est reparti y a eu des étincelles partout, j’ai rien touché ! »

« T’as raison. Elle s’est simplement suicidée de dépit en te voyant piloter ! »

« T’as une solution à notre problème ou juste des sarcasmes et de la médisance ? »

« J’ai de fait une solution, quand tu seras grand tu verras, toi aussi tu en auras. »

Derrière la pique, le ton badin, quelque chose avait alerté Othon, une gravité à peine audible, il avait répondu comme distrait, préoccupé. Le Caesar connaissait ce ton et il n’annonçait rien de bon.

« Je t’écoute, grand sage… »

Aucune réponse, pas la moindre pique en retour. Son ami tapotait doucement l’accoudoir de son fauteuil, le regard perdu dans le vague. Le silence était seulement troublé par les crépitements d’étincelles.

Les lèvres de Prajan étaient pincées. Le cockpit faisait peine à voir. Des câbles pendaient du plafond, les consoles étaient noircies, l’odeur de plastique brûlé envahissait tout. Othon accorda un coup d’œil au conduit de transfert qui reliait le poste de pilotage à la minuscule cabine située au-dessus de la soute à bombe. Ce qu’il vit n’était pas plus rassurant.

« Donne-moi une des fioles que Seraph t’a passées. »

Othon gronda. Amis depuis leur plus tendre enfance, ils se connaissaient par cœur. C’est ensemble qu’ils avaient fait leurs premières chasses, ensemble qu’ils avaient surmonté l’Académie.

« Hors de question. Le bombardier est foutu de toute façon, jamais il ne tiendra. On a qu’à garder le contrôle de Makran et ils se rendront… »

La voix du consul de la Guerre coupa le Caesar comme un coup de tonnerre.

« Sottise ! Un siège serait une erreur tactique, les Achéménès auraient le temps de réagir, de se renforcer. Les seigneurs réticents y verraient une occasion de frapper. Nos hommes sont épuisés, les vaisseaux poussés au-delà du raisonnable. Nous ne saurions y faire face. »

La flamme dans le regard de Prajan, Othon ne la connaissait que trop bien. Son ami avait envisagé cette option avant leur départ, s’y était préparé. Désormais, la voix du consul était distante, étouffée.

« Ce qu’a fait Atronius ne peut être ignoré. Tu te dois de frapper vite et fort ! D’envoyer un message. »

Le Caesar sortit les fioles de la pochette où elles reposaient. À l’intérieur, un liquide ambré se mouvait, comme animé d’une vie propre. Il sentit le verre glacé dans sa main. Si petites, si lourdes.

« Si tu prends ça, tu pourrais y perdre la vie, ou pire, l’esprit. Rappelle-toi la dernière fois ! Atronius ne vaut pas un ami, un frère. »

La voix sèche de Prajan le frappa plus durement que les épées de ses adversaires.

« Atronius, non. Mais j’ai fait le serment de servir mon Caesar et de protéger l’Impérium. Si ma vie ou mon âme en sont le prix, alors je suis prêt à le payer. »

La mort dans l’âme, Othon ouvrit la main, laissant Prajan prendre une de ses maudites fioles. Les doigts de Prajan se refermèrent sur son épaule.

« Nous savons tous deux le poids du devoir, mon frère. Ne regrette pas, et si je meurs, fais chanter mes exploits. »

« Je te le promets, même si ce sera la plus courte chanson de l’histoire. »

Prajan leva la fiole devant ses yeux. Sa main trembla légèrement. Un dynamiseur alchimique, de quoi augmenter sa connexion avec l’Ouhn. Seul défaut : ce produit était toxique pour lui. Un détail, car grâce à ce poison, il aurait assez de puissance et de réserve pour son plan.

« Alors, ce plan ? »

Le consul se tourna vers la verrière. Dehors, les radiations explosaient en milliers de couleurs. La mort avait revêtu sa tenue de parade.

« Sans le navigateur, il faut un pilote pour allumer les moteurs, atteindre la vitesse idéale et finalement couper tous les systèmes. »

Dehors, des vaisseaux explosaient. Les escortes des cuirassés tentaient de fuir, harcelées par la chasse impériale.

« Othon, tu vas te renforcer avec les sentiers de Gnosae. Tu seras plus rapide, tes sens seront décuplés. Cela devrait compenser l’absence de système d’assistance. »

Dans les voies des Arpenteurs de l’Ouhn, Gnosae était l’union du corps et de l’esprit, Logos la voix de l’esprit qui déchiffre les mystères. Pour la première fois, Othon aurait souhaité être un Kanjo, un sorcier de l’âme et de l’empathie, juste un peu, juste pour le faire changer d’avis. Non ! Jamais de la vie je ne serais un de ces manipulateurs. Il doit y avoir une solution, peut être que…

« Je pourrais aussi me mettre dans l’axe et lancer les moteurs, une fois à la bonne vitesse, je coupe tout et je te rejoins dans l’abri. »

« Non, c’est trop risqué. Le moindre écart et on finit écrasés ou grillés. Je vais rester avec toi et j’utiliserai l’Ouhn pour dévier les radiations. »

La queue d’Othon remuait nerveusement, marquant quelques pauses par moment, dressée ou courbée. Prajan reconnut la manifestation d’une profonde réflexion, un réflexe qui avait le don d’énerver leurs professeurs à l’Académie.

« Bon. Je crois que tout est dit ! Si tu meurs, que l’Idée ait pitié de l’âme d’Atronius et des siens. Moi, je n’en aurai pas. »

Le Caesar saisit les commandes, le regard dur, le cœur lourd. Doucement, ses lèvres formulèrent le mantra des Gnosae.

« Je plonge sans crainte dans les océans de l’Ouhn.

Dans ses profondeurs, j’abandonne les doutes et les fers.

La chair se dissout, je ressens et comprends. Mon esprit est serein, disponible.

J’émerge des profondeurs, pur, libre.

La paix m’a envahi. Je suis l’océan. Je suis l’Ouhn. »

Les picotements familiers l'emplirent doucement, au rythme des vibrations et des sons. Puis, le bruit du sang se précipitant dans ses veines, les crépitements des messages nerveux, prémices de l’explosion. L’impression que son corps se volatilisait en particules d’eau étincelante.

Othon avait atteint un état d’éveil supérieur. Ses sens, ses réflexes décuplés, il lança les moteurs. La brusque accélération provoqua des plaintes métalliques dans le vaisseau. Il filait droit sur l’espace miroitant, ajustant sa trajectoire avec une précision inaccessible au commun des mortels.

À ses côtés, Prajan avala la potion. Un rugissement de douleur remplit l’habitacle, mais Othon l’ignora. Plongé dans la paix du Gnosae, il s’était libéré des entraves, des tensions, de la peur. Il voyait la coque se couvrir de cloques, noircir. L’odeur du sang s’éleva dans l’air. Le consul tremblait et s’agrippait désespérément aux accoudoirs.

Les écrans ionisés émirent une longue note plaintive. Le Caesar coupa les systèmes, ne laissant que les petites fusées de manœuvre pour corriger son cap. Il jeta un coup d’œil à son ami, le visage déformé par une douleur aussi hideuse qu’indicible. Son cœur battait comme le tonnerre, mais Othon pouvait percevoir la mélodie de son cerveau : il tenait bon.

Dehors, tout n’était plus que lumière aux infinies nuance de radiations. Par-delà le spectre visible, il observa la splendeur des tempêtes d’énergie qui les entouraient. Elles chantaient dans une symphonie puissante où s’entremêlaient les voix de ceux qui avaient rejoint l’Ouhn.

« Prajan ! Ils sont là ! Je le savais ! Les poètes avaient raison ! »

Le vaisseau glissait dans la tourmente. Il grésillait, gémissait, mais avançait encore. Devant l’espace se tentait d’un noir piqueté d’étoiles : ils y étaient presque. Déjà, la symphonie s’apaisait. Mais au cœur des mélodies, un air semblait absent.

« Praj ? Praj ! »

Le chant de son ami s’était tu. Plus non plus de tambours. Rien que le silence. Il gisait, affalé sur son siège. Toute la formidable discipline qui faisait sa fierté, sa réputation, vola en éclat. La folie d’Atronius lui avait arraché Prajan. Pris d’une rage et d’une colère inimaginable, Othon rugit. Oubliant les commandes, il se jeta sur son ami, le secouant, lui hurlant dessus.

« Je suis ton seigneur ! Je t’interdis de mourir ! »

Sans pilote, le vaisseau balloté entama lentement une rotation sur son axe. Il progressait dans une spirale de plus en plus excentrique, frôlant les écrans et les murs d’énergie. Le Caesar arracha Prajan à son siège et le posa au sol, saisissant d’une main la trousse d’urgence dans une tentative désespérée de faire repartir son cœur.

« Allez, reviens ! Ne meurs pas… Comment je vais faire sans toi ? Qui me remettra sur le droit chemin quand Athanasia ne sera pas là ? Je t’en prie Praj’, mon frère, me fais pas ça, m’abandonne pas ! »

Dans la pénombre de l’habitacle aux fenêtres noircies par les radiations, le corps du consul était entouré d’un léger halo. Faible mais bien réel, il miroitait, irisé. Il continue d’absorber… Son esprit rôde encore… Se redressant, Othon plongea dans l’Ouhn, unissant sa mélodie à celle de son ami.

Une douleur atroce lui vrilla le cerveau et une presse écrasa son thorax : le lien était établi. Vite ! Avant qu’il m’entraîne loin des rivages de l’Ouhn ! Imposant sa volonté au corps de Prajan, il relançait son cœur, traquait la moindre trace de potion, l’absorbant en lui.

« Othon ! Laisse-le partir ! Il est là pour servir ! Tu es le Caesar, tu es l’impérium ! Cesse de te conduire comme un imbécile. Tu n’as jamais été qu’une déception, l’honneur est dans la guerre, la victoire. »

Cette voix, il la connaissait. Il savait ce qui allait suivre. Sa dernière conversation avec lui, son père, juste avant qu’il ne meure, tellement ivre qu’il avait dévalé les escaliers et s’était brisé le cou.

**************

« Tu n’es qu’un échec, incapable de te comporter selon ton rang ! Ton héritage ! Prajan et cette Athanasia sont des faibles ! Ils veulent détruire notre mode de vie, notre culture, avec leurs idées subversives ! Les devoirs d’un Caesar… »

« Non ! C’est toi qui es une honte, un ivrogne, une brute sans esprit ! Tu as failli détruire notre héritage ! »

Devant lui se dressait son père, grand, musculeux. Ses plaques osseuses hypertrophiées lui donnaient l’air d’un monstre de cauchemar. Il l’ignorait, riait de lui, comme ce soir-là. Il rugissait, sa voix tonnait et fracassait le vide.

« Les Caesars ont des droits, pas des devoirs ! Nous ne rendons de comptes à personne, tu entends ? »

Chaque affirmation était martelée sur sa poitrine.

« La force seule prévaut ! Tu ne peux exister en étant faible, tu dois être un guerrier ! Je te le rentrerai dans la caboche à coup de poing s’il le faut ! »

« Un guerrier ? Tu as oublié l’honneur et les codes ancestraux ! Un guerrier combat pour l’avenir, pas le plaisir. Tu n’es qu’un sauvage qui détruit ! Moi, je veux construire et restaurer la grandeur de l’Impérium ! »

Le poing de son père, Karl le puissant, un surnom qu’il n’avait pas usurpé, lui fracassa la mâchoire.

« J’ai été trop doux avec toi. Tu vas devenir un homme de gré ou de force ! Tes amis Prajan et XXXXXX sont une menace, ce sont des traîtres ! Leurs idées sont un danger pour l’Impérium, pour notre héritage ! »

Le craquement du bois que l’on brise alerta Othon. Karl avait saisi une lance décorative et rompu la hampe sur sa cuisse. L’instant suivant, le jeune Dakshi tentait de se protéger de la pluie de coups qu’il recevait.

« Tu ne comprends pas ? Ils veulent ta place, ton trône ! Tu es trop bête pour le réaliser, mais tu es mon fils et tu seras Caesar parce que la grandeur passe par le sang ! »

Un choc lui brisa la main, un autre le genou. Othon crachait du sang.

« L’Impérium s’est construit par la guerre ! Nos ancêtres ont conquis le trône ! Je fais ça pour t’apprendre, faire de toi un Caesar ! Un jour, je ne serai plus là pour te protéger ! Tu crois qu’ils t’aiment ? L’amour n’existe pas, tes seules maîtresses sont le pouvoir et la force. »

« Comme toi ? Tu es faible, père ! Tes sujets se moquent de toi, aucun d’eux ne t’est loyal ! »

La matraque improvisée frappa de nouveau, explosant l’arcade sourcilière du jeune Othon.

« Tu te crois un homme ? Regarde-toi par terre… Une victime, pitoyable, fragile ! »

De tout son être, Othon désirait lui sauter à la gorge, le frapper en retour. Mais il ne serait pas son père, pas une brute. Il ne laisserait pas ce sauvage le transformer en monstre.

« Tu n’as plus de grands mots maintenant ? Où sont tes envolées lyriques ? C’est pour toi que je fais ça ! Pour ton avenir ! Un jour, tu me remercieras. »

« Mon avenir ? Je refuse de devenir comme toi. Ton cœur est aride et ton règne un cauchemar. Nous ne renoncerons jamais à combattre tes idées et jamais je ne renierai qui je suis. »

« Ho que si ! De mes poings, je vais te reforger, te renforcer ! Tu seras sans pitié, le plus pur des Caesars ! Avant tout, je vais commencer par ta petite bande de traîtres. Tu les regarderas mourir lentement des mains de mes bourreaux ! Plus jamais on n’osera se dresser contre nous ! »

Le bâton s’abattit, mais, cette fois, Othon l’arrêta. La rage avait anesthésié la douleur. Brutalement, le jeune pince arracha la hampe brisée et frappa son père au visage.

« Espèce de salopard ! Tu les toucheras pas ! Jamais ! Je te hais ! Tu as détruit ma mère et tu veux me détruire aussi ? Je refuse ! Je vais te montrer ma force ! »

Le bâton frappa encore et encore jusqu’à se briser sur les plaques osseuses. Karl reculait en riant devant la fureur de son fils.

« Voilà ! C’est ça ce que tu dois être ! Un dominant ! »

Dans un bruit de verre qui se brise, la réalité éclata. La douleur quand son poing heurta la mâchoire de son père. La surprise dans les yeux du monstre alors qu’il basculait dans les escaliers, son corps rebondissant sur les marches en marbre comme un pantin désarticulé.

« Non… Ce n'est pas ce qu’il s’est passé ! »

Le souvenir ne s’arrêtait pas. Lentement, il se voyait descendre, rejoindre la brute, son père. Karl avait une respiration difficile. Il ne bougeait plus. Othon s’agenouilla à ses côtés, observant le monstre comme une curiosité. La voix du Caesar s’éleva avec difficulté. Il gargouillait un peu et du sang coulait au coin de ses lèvres.

« Je t’ai vaincu. Tu es comme moi maintenant. Je t’ai révélé à toi-même. Je suis fier de toi. »

« Tu ne feras plus de mal à personne, plus jamais, père. »

Les mains du prince saisirent la tête du Caesar immobile, paralysé.

« Si tu me tues, tu seras un parricide ! Maudit par l’Ouhn, ta vie sera une succession de douleurs et de tourments. Mais tu n’en auras jamais le cour… »

La nuque de Karl se brisa avec un bruit sec.

« Je le sais… »

Othon pleurait. La folie de son sang, c’était ça son héritage ? La haine, la violence… La promesse d’une vie d’affliction en échange de la vie de ses amis ? Il l’acceptait, sans remords ni regret. Ils le valaient bien. Perdu dans ses pensées, il n’avait pas entendu Prajan s’approcher, poser la main sur son épaule.

« Je vais tout arranger. Je suis là, Othon. Je ne vais pas t’abandonner. »

Comment avait-il pu oublier ? Le remords ? La honte ? Praj’ lui se souvenait, leur lien avait restauré sa mémoire.

Un traître ? Non, père. Tu avais tort : un traître m’aurait dénoncé.

Un parricide. Un crime impardonnable, puni de mort. Les Regaar auraient pu facilement prendre le trône : Prajan aurait été Caesar et épousé leur amour commun.

Il m’a protégé, il m’a soutenu. Il a tout sacrifié et risqué pour moi. C’est ça l’amour, père, mais tu ne l’as jamais ressenti ou compris.

***********

Le souvenir s’estompait, comme la mélodie de Prajan. L’angoisse le sortit de sa stupeur, le manque de maîtrise l’avait fait dériver, mais maintenant, il était en contrôle.

« Tu m’abandonnes ? Là, aujourd'hui ? Alors que notre fils s’apprête à naître ? T’as pas intérêt à nous laisser ! Bouge-toi et reviens ! »

Le Caesar tendit la main vers son ami. Lorsqu’elles se touchèrent, une sensation douce et électrique l’envahit. La mélodie était à peine audible… Il devait la renforcer ! Un exploit impossible sans la surdose de potion venue de Prajan. Mêlant les vibrations de son âme à celle du consul, il le renforçait, retissait le lien entre son esprit et son corps.

« Othon ! Réveille-toi ! Le vaisseau ! »

Brutalement arraché aux griffes de la mort, son ami hurla en pointant le poste de commande. Un choc secoua le bombardier. Dans la foulée, des alarmes stridentes retentirent et les portes de sécurités se fermèrent.

« On a perdu une aile ! »

Le Caesar bondit dans le siège de pilotage, redressant in extremis l’appareil dans un puissant éclat de rire mêlé de sanglots.

« On l’a fait mon frère ! On l’a fait ! »

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