Chapitre 19 ~ And what it's like to feel your pain…

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— J'ai besoin d'un câlin, dis-je à Almia lorsqu'elle prend forme face à moi à peine la nuit tombée.

Elle m'enlace tendrement, avant de m'interroger sur mon humeur légèrement morose et mon besoin d'attention.

— J'ai eu ma mère au téléphone, ça m'a fait un gros coup de blues.
— Mais alors, pourquoi tu ne vas pas les voir ?
— Je leur ai proposé de leur rendre visite dans quelques semaines. Deux ou trois.
— Non, mais en général. Pourquoi tu ne les vois pas plus souvent s'ils te manquent ?
— Parce que... je ne suis pas vraiment comme eux. Leur vie de rêve est la leur. Dans un coin perdu, à vivre un quotidien plus que répétitif, presque en hermites. Quand ils sont partis vivre en province, je suis resté en ville parce que j'en avais besoin. Et je pense que ce qui me manque vraiment, c'est l'état d'esprit que j'avais avec eux. Mais d'ailleurs, Almia, tu ne m'as jamais dit pourquoi tes parents s'étaient opposés à ta relation avec Nolan. Ça te gène de m'en parler ?
— Je ne crois pas, non. Depuis Talya, j'ai beaucoup plus de mal avec le reste du monde qu'avec toi. Comme tu le sais, ils ont toujours eu énormément d'attentes. Trop pour l'enfant que j'étais. Toute cette pression m'étouffait, alors, oui, quand j'ai découvert la liberté je m'y suis jetée à bras ouverts. Tout est allé très vite. Un jour, j'avais quinze ans, je suis rentrée chez moi le crâne rasé. Ils avaient l'impression non seulement que tous leurs efforts n'avaient servi à rien, mais que leur fille se dissipait, se dérobait sous leurs doigts. Je crois qu'ils avaient peur que je disparaisse alors ils ont voulu garder ce qu'ils pouvaient de moi, et empêcher Nolan de tout emmener. S'ils savaient...

Mon mal-être passager oublié, je me plonge dans les méandres de son âme qu'elle me dévoile. Auteur fasciné ou simple curieux un peu envahissant, j'ai toujours été intrigué par les zones d'ombres que chacun protège. Mais celles d'Almia m'obsèdent. Pendu à ses lèvres, je ne peux rien laisser de ce qu'elle me raconte, comme lorsque, enfant, j'écoutais les péripéties de mon père.

— Je crois que c'est précisément à ce moment qu'on s'est mutuellement perdus. Tout a commencé par des disputes. Encore et encore. Et je ne parle pas des sermons que je recevais quand j'étais petite, parce que je n'avais pas atteint tous les objectifs qu'ils m'avaient fixés. Non, je parle de cris, des objets parfois fracassés au sol, des poignées de portes manquant de céder à chaque claquement, toujours plus fort que le précédent. Et ce à chaque broutille. Et puis au fil des années, nous nous sommes essoufflés. Nous ne nous adressions mutuellement plus la parole, les rares repas que nous prenions ensemble se faisaient dans un silence pesant, incassable. Ces guerres quotidiennes sont devenues mépris, une intolérance sous forme de colère froide. Nous nous affrontions sans bruit, les yeux dans les yeux, moi leur reprochant tout ce que je pouvais, eux me traitant de fille indigne. À ce moment-là, j'étais sûre que tout cela était par égoïsme. Ils voulaient certainement me punir de leur déception, aussi ils m'empêchaient de ressentir autre chose que la froideur et l'hypocrisie dans laquelle je grandissais.

Je voudrais la sortir de là, pour toutes les années qu'elle a passé coincée avec eux. Mes mains se font moites, mais je ne bouge pas d'un cil, et je continue à écouter, comme si ma vie en dépendait.

— On pourrait penser que, ne vivant que très peu avec eux, je m'étais détachée de tout cela. Mais au fond de moi, ce qu'il restait de mon enfance n'a jamais compris pourquoi il avait fallu autant d'années, et une telle extrémité, pour qu'ils s'intéressent enfin à moi et non à mon bulletin. Surtout pour une relation en soi si peu extraordinaire. Mes notes ne changeaient pas, j'avais sincèrement l'impression d'être enfin une fille normale. Alors pour protéger cette dernière partie tendre en moi, j'ai joué leur jeu. J'ai mis leur masque froid et j'ai endurci mon cœur. Oh ! Si tu savais ce qu'on se disait parfois ! Avec le temps, les piques et coups bas s'amplifiaient, nos vies n'étaient plus qu'une bataille constante.

Un sourire mauvais étire ses lèvres. Pris d'une soudaine panique, je la prends par les épaules et la secoue.

— Almia ! Réveille-toi, Almia ! Qu'est-ce qui t'arrive là ? Tu racontes n'importe quoi, tu n'es plus comme ça. Ressors de là.

Ses yeux s'écarquillent et elle semble en effet émerger d'un autre monde. De sa voix douce que je lui connais si bien, elle reprend :

— Excuse-moi. Replonger dans ces souvenirs a tendance à me faire retomber dans mon état d'esprit de l'époque.

Elle expire le contenu de ses poumons, les remplit une nouvelle fois, et un sourire franc étire ses lèvres.

Un ange passe, quelques instants supplémentaires s'écoulent, et nous comprenons tous deux que le sujet est clos et oublié. Elle est celle qui lance la conversation :

— Plus longtemps avant le Nouvel An ! trépigne-t-elle.
— Deux nuits, précisément.
— Quelle exactitude ! raille-t-elle en riant.
— Et si je te disais que j'avais une surprise pour ce soir-là ?
— C'est vrai ?
— Si ça ne l'était pas, je ne te le dirais pas !
— Oh tu sais, avec toi, on sait jamais...

Je la regarde d'un air faussement outré, ce à quoi elle répond par un éclat de rire.

— Moi aussi je t'aime ! dit-elle avec un sourire, pour seule justification.

Elle effleure mes lèvres des siennes avant d'ajouter :

— Et cette surprise ? C'est quoi ?
— Si je te le disais, ça n'en serait plus une !

Elle fait la moue et, au fond d'elle, je lis qu'elle compte désormais les jours la séparant de la date en question.

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