Chapitre 23 ~ We’re just two ghosts standin’ in the place of you and me

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Face à cette tombe si noire, si triste, une première larme roule le long de ma joue. Elle en suit la courbe, modifie sa trajectoire, attirée par la commissure de mes lèvres et achève sa course sur la pointe de mon menton. Elle chute de toute ma hauteur avant de finir sur la dernière chose qui représente la femme de ma vie ici-bas. Une plaque noire, quelconque, si triste, ne portant que noms et dates. Quel hommage pitoyable. Est-ce vraiment la dernière chose qui représente Almia ? Tout ce qu’il me reste d’elle ?

D'autres larmes suivent la première, muettes, identiques et pourtant si différentes car leur prédécesseure est la seule à avoir atterri sur la tombe d'Almia. La poitrine secouée de sanglots douloureux, je lui demande silencieusement pourquoi il a fallu qu'elle parte aussi tôt. J'ai pour seule réponse le silence de la campagne.

L'amertume de mon humeur se lit sur mes traits tirés, mais je reste face à cette pierre tombale, le regard vide, tentant de lui adresser un dernier message d'amour. Il y a tant de choses que j’aurais voulu lui dire, tant de choses d’elle que j’ignore encore. Comme si ces quelques mois de lumière ne devaient que rendre le reste de ma vie insipide.

— Je t'aime Almia, murmuré-je au vent et au ciel gris de janvier. J’aurais tant voulu passer ma vie avec toi. Je t’aurais aimée un peu plus chaque jour. J'aurais tout fait pour toi, tout sacrifié. Je t'aimais tellement que si tu m'avais demandé de partir je l'aurais fait. Car j'étais incapable de vouloir autre chose que ton bonheur. Alors pourquoi es-tu partie ? Et surtout comme ça, du jour au lendemain ?

Un animal hurle alors. Serait-ce une réaction à mon désespoir ? Mon expérience de la semaine passée m'a laissé sur une faim de réponse. Malheureusement, un autre animal lui réplique. Je suis seul en ce monde.

Je dépose sur la pierre gelée un bouquet. Te plaisent-elles ? Quelle idée, d’aller arracher davantage de vie à la nature, comme si la mort n’était pas déjà omniprésente. Comme la peine et la solitude.
Pas le moindre reste de fleurs, de messages, de photos… Rien, sur cette tombe, mis à part mon pauvre présent pour Almia, ne laisse penser que quelqu'un la regrette et a rendu visite à ce seul point de repère, si dérisoire, pourtant si symbolique pour mon âme perdue.

Ce cimetière, gris, bétonné, les rangées calculées au centimètre près, manque d’authenticité. N'importe qui s'y sentirait étranger. Une poussière tachant le décor. À moins que je sois coupé du monde encore plus que je ne le croyais, pour me sentir de trop même dans un lieu pareil.

Le gravier crisse sous mes pieds, alors que je déambule entre les allées. Ma vie est absurde. Vais-je réellement continuer ainsi ? A prétendre vivre en attendant gentiment la sénilité pour oublier ? Pourquoi est-ce qu’on continue ainsi à se battre chaque jour, en allant simplement au devant de davantage de malheur ? J’avance aussi longtemps qu’il me faut pour que les questions elles-mêmes perdent leur sens.

Une fois mon pèlerinage accompli, je m'en retourne chez moi, vide de toute raison d'être. Je n'ai plus rien à faire, à aimer. Je sens dans ma poitrine les battements d'un cœur meurtri et dévasté, dont le désespoir a dépassé les limites communément admises. Je suis épuisé de tout ça. J'avais enfin trouvé le bonheur et il m'a été arraché, emmenant au passage les débris gisant dans ma poitrine. La plaie, à vif, laisse couler mon sang, ma volonté et ma vie. J'ai à la fois peur et hâte de voir mon dernier souffle arriver, franchir mes lèvres, laissant derrière lui un corps froid, inerte.

Y aura-t-il du monde à mon enterrement ? Réaliseront-ils mon ultime souhait, mentionné dans mon testament ? Celui que mes cendres soient dispersées dans un vent marin, laissant les pauvres restes de mon corps faire à jamais partie de ces belles écumes, les laissant rouler au rythme des vagues de tempêtes, compter les bateaux passant ou encore demeurer avec les poissons des fonds marins.

J'imagine que non. Trop dérangeant moralement pour eux...

***

Je suis allongé sur mon matelas, dans mon studio si vide de présence. Mes yeux refusent de se fermer. Dehors, la tempête fait rage. Les éclairs illuminent le ciel nocturne. Paris, invisible sous la pluie et la brume qui se déploie, m’a totalement abandonné à mon malheur. Mon isolement se renforce.

De temps à autre, la chambre, par flash, s'éclaire, me laissant voir Koridwen qui me fixe. Pendant plusieurs minutes, je plonge mon regard dans le sien, me demandant si lui aussi s'est rendu compte qu'Almia ne vient plus ou s'il ne l'a jamais vue.
Et si c’était le cas ? Si tout se temps elle n’avait existé que pour moi ? Non, quand même pas. Je ne suis pas fou.
Le chat me fixe avec insistance, et je me demande si le malade de nous deux n’est pas lui. Le blanc autour de ses pupilles semble s’agrandir, grignotant son poil millimètre par millimètre. Ses yeux deviennent alors oppressants. Sa tête se penche vers la droite, se redresse, penche vers la gauche, se redresse. Ce manège dure un moment, bien trop long pour moi, mon rythme cardiaque augmente considérablement. À chaque éclair, la lumière capte son regard et j’angoisse un peu plus. Je finis, comme un enfant, par me retourner vers le mur en me cachant dans ma couverture. Cette protection dérisoire me laisse le temps de me calmer et je m'interdis de rouvrir les yeux avant demain.

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