13.1

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En guise de protestation contre son ravisseur, Yue avait adopté la stratégie du silence. Formée par l’exemple de son père à cette sorte de représailles, elle y était douée, si bien qu’à bout de frustration, Isaac s’était mis à larmoyer.

— Pourquoi tu pleures ? l’interrogea froidement Yue au bout d’une bonne heure de mutisme. C’est moi qui suis enfermée, pas toi.

— Je ne pleure pas, gémit-il.

— Si, tu pleures.

Comme pour donner raison à sa sœur, Golem tira un mouchoir d’un placard, puis le tendit à Isaac. Il s’en saisit avec réticence. Quelques secondes plus tard, le pantin de pierres s’effondra, comme si le lien qui avait maintenu toutes les parties de son corps ensemble s’était rompu.

Yue eut un léger sursaut.

— Qu’est-ce qui lui arrive ?

— Je… Je sais pas, avoua Isaac. Il fait ça, des fois.

Les sanglots se mêlèrent aux larmes et devinrent bientôt incontrôlables. Incapable de feindre l’indifférence plus longtemps, Yue s’assis près de lui, le blottit contre son épaule en glissant dans son dos une main réconfortante. Ainsi, elle vint à bout de la crise.

— Les chimères me parlent, raconta-t-elle après qu’Isaac eut fondu sur ses genoux. Pas seulement les chimères, en fait. Toutes les bêtes me parlent. C’est pas vraiment comme des mots, mais je comprends ce qu’elles disent.

Isaac n’eut pas l’air surpris par cette confidence. L’eut-il été, la fatigue ne lui aurait pas permis de l’exprimer.

— Parfois, c’est beaucoup plus clair que des mots, poursuivit Yue. Le jour où on s’est rencontré, j’ai même discuté avec un crabe sur la plage.

Un battement de cil fit couler encore quelques larmes des yeux d’Isaac.

— Pourquoi tu me racontes ça ? demanda-t-il.

— Je sais pas... Je crois que j’avais envie de le dire à quelqu’un qui me crierait pas dessus. J’arrête de parler, si tu préfères.

Isaac ne sut que répondre. Il se recroquevilla.

— Fais comme toi tu préfères, finit-il par dire.

Yue expira un soupir, sans plus savoir ce qu’elle voulait réellement. Qu’un incident soit survenu au cirque ou non, elle avait renoncé à l’espoir que son absence soit passée inaperçue. La peur d’une punition sévère ou seulement d’une mauvaise surprise la tétanisait.

Peut-être pour ne pas penser à l'Héliaque, elle pensait à Lith, au portrait qu'Isaac lui avait montré. Avant ce jour, Yue n'avait encore jamais vu d'enfant aux cheveux aussi blancs que les siens. Elle en était venue à se croire unique au monde, ce avec moins d'orgeuil que de tristesse. Tout un monde de possibilité s'ouvraient à elle depuis cette décourverte. S'ils étaient deux, ne pouvaient-ils être trois ? Six ? Douze ? Toute une troupe ? Ces autre s qui leur ressemblaient entendaient-ils parler les animaux dans leurs têtes ? Étaient-ils malades ou fabuleux ?

— Tu veux pas raconter quelque chose, toi ? demanda Yue à son frère. Je suis fatiguée aussi.

Les pierres du golem se mirent à rouler en cercle, formant une vague rasante sur le parquet de la maisonnette.

— Je n’ai pas d’histoire à raconter, marmonna Isaac. Soit j’ai oublié, soit c’est secret.

— On est à l’intérieur d’un secret, remarqua Yue. A ce stade, est-ce que c'est grave ?

Les pierres du golem se mirent à tournoyer de plus en plus vite, de plus en plus furieusement. La lumière du jour chancela comme celle d’une lampe brûlant ses dernières gouttes d’huile.

— Je crois qu’il y a quelqu’un dehors, expira Isaac d’une voix blanche.

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