Violette céda au besoin compulsif de lécher ses blessures dès qu’elle eut une minute de répit.

Garder un œil sur Lith, comme le lui avait ordonné Gerane, n’était pas une mince affaire. Elle aurait probablement failli à sa mission si elle n’avait pas si bien connu l’odeur et l’empreinte magique du Puissant, lui qui la surpassait en agilité et en endurance.

Heureusement pour Violette, il résistait moins bien qu’elle au besoin de dormir. La fatigue avait eu raison de lui peu de temps après qu’il avait franchi le dernier rempart de la ville. Il s’était éveillé avec le soleil plusieurs heures plus tard pour boire ce qui restait d’eau dans sa calebasse avant de s’en débarrasser, comme il l’avait fait de toutes ses reliques, la veille.

Violette l’observait depuis les fourrés de la petite clairière où il s’était établi depuis une heure. Son torse nu d’un blanc de lin portait encore le stigmate de l’arcane de chaleur qu’il s’était gravé sur la poitrine pour ne pas souffrir du froid durant son sommeil.

Il a peut-être faim, lui aussi, songeait-elle.

La forêt était giboyeuse. Plus d’une fois, Violette avait dû lutter contre l’envie de se lancer à la poursuite d’un sanglier ou autre proie potentielle.

Le devoir avant tout.

Elle s’attendait à voir surgir Gerane d’une seconde à l’autre, aussi s’imposait-elle de rester en poste.

Le poil se fit de moins en moins soyeux sous ses coups de langue et le goût de son propre sang la fit subitement grimacer. Formes, couleurs, odeurs et autres perceptions changèrent également de texture. Une lourde mèche de cheveux lui tomba en travers de la figure. Violette comprit alors que, malgré elle, elle avait repris forme humaine.

Elle tâcha d’adopter une position plus conforme à son corps de bipède, sans faire de bruit. Le sol lui irritait la peau et le froid lui arrachait frisson sur frisson. Qu’avait-elle bien pu faire de la cape de… ? Elle poussa un juron qu’elle voulut étouffer trop tard. Lorsqu’elle releva la tête, Lith était hors de portée.

— Non, non, non, non ! se récria-t-elle en se levant d’un bond.

Un poids inattendu s’abattit sur ses épaules. La surprise la poussa à se débattre avant de se rendre compte qu’il s’agissait du vêtement qu’elle cherchait. Elle se laissa alors envelopper par l’épaisse fourrure sombre qui glissa sur la couche de sueur froide dont elle était couverte.

— Tombée il y a deux kilomètres, jeta la voix de Lith.

Violette fit volte-face.

— Tu mériterais punition pour ta négligence, ajouta-t-il impitoyablement. Arrête de me suivre.

Elle retomba à genoux sous l’effet de l’épuisement et de la chute d’adrénaline.

— Est-ce que tu as entendu ? insista Lith. Je ne rentre pas à Arë’n. Pas avec vous. Pas maintenant.

Ecrasée par un sentiment d’impuissance autant que par le poids de ses propres membres, Violette vit Lith s’éloigner. Subitement, sa vue se brouilla. Elle battit des paupières, poussant les larmes qui la gênait à lui dégouliner sur les joues. Ses lèvres s’agitèrent dans le vide jusqu’à qu’un cri proche du feulement s’en échappât.

De ses mains meurtries et tremblantes, elle renoua solidement les cordons de sa cape en laissant juste assez de lâche à son cou animal. D’un même élan, elle reprit sa forme chimérique et se remit à la poursuite de Lith à qui elle finit par barrer la route, déterminée à lui imposer sa présence si elle ne pouvait pas la lui cacher.

Le Puissant sourit et Violette crut entendre par avance la mélodie grave et profonde de son rire condescendant. De la pointe de l’ongle, il se traça un glyphe au creux de la main droite. Il montra sa paume. Violette n’y vit qu’un éclat blanc dont l’intensité lui englua les sens. Elle s’y perdit longtemps. Trop longtemps.

Lorsqu’elle revint à elle, le soleil se couchait, le ciel s’était éclairci et toute trace de Lith s’était volatilisée.