18.1
Une senteur sémillante et fruitée accueillit Hiram au seuil de son palais. Tous les esclaves de sa maison s’étaient rassemblés dans la grande entrée pour les accueillir, sa compagnie et lui. Sur leurs bras pesaient de pleines jarres d’eau, de vins et de liqueurs ; de larges plateaux de fruits, de mets chauds et de friandises ; des paniers pleins de savons doux, d’encens et de fleurs…
— Je t’avais demandé de ne pas trop en faire, rappela Hiram à l’attention de Maleka.
— Je ne pensais pas que cela serait trop, s’excusa-t-elle. Pardonne mon initiative si elle t’offense.
— Je suis touché, la détrompa-t-il. Seulement, je n’aspire qu’au repos pour le moment et ne ferai pas honneur à ce festin. Que cela ne vous empêche pas de célébrer ce que bon vous semblera. Je vous confie à tous mon épouse et sa tante Adelpha, ajouta-t-il à l’adresse de ses serviteurs. Veillez à ce qu’elles ne manquent jamais de rien.
Campée sur son mépris, sa seconde épouse lui offrit un sourire cauteleux pour tout merci.
Yue s’agitait dans les bras de l’esclave qui la portait. Hiram ordonna qu’elle fût montée à l’étage pour être soignée au calme. Il donna aussi leur congé à tout ceux dont les bras devaient commencer à fatiguer. L’entrée se vida vers la salle à manger pour ne laisser qu’une poignée de serviteurs alentour.
— Madame, s’éleva une voix mal assurée. Désirez-vous voir votre chambre ?
Mildred avisa la jeune fille suintante d’inexpérience dont le regard oscillait de droite à gauche sans savoir où se fixer.
— Tu dois m’appeler Mestresse et non Madame, la reprit-elle. En outre, ne m’interpelle jamais pour me poser une question directe, à moins d’en avoir reçu l’ordre : c’est moi qui initierai le dialogue. Joue avec tes doigts si tu veux, mais dans ton dos, pas sous mes yeux. Quant aux tiens, fixe-les où tu veux mais ne les promène pas dans tous les sens.
— D’accord, bredouilla-t-elle en tâchant d’appliquer les conseils de Mildred sans défaillir.
— Tara, intervint Maleka, laisse une femme plus expérimentée s’occuper de ma coépouse. Tu seras plus utile au jardin, aujourd’hui. Va.
— Tout de suite, Mad… Mestresse.
— Tu oses congédier une esclave pendant que je lui parle ? s’offusqua Mildred en voyant Tara partir.
— Pour prévenir tout malentendu, sache qu’étant ton aînée, j’ai autorité sur toutes les femmes de la maison à ta seule exception. Je n’ai pas à te commander, mais c’est moi qui mets les esclaves à ton service ou non. Je choisi de t’attacher une femme expérimentée, que tu n’auras pas besoin de reprendre. N’est-ce pas plus convenable ?
— Convenable ? Que tu sapes mon autorité ? Je refuse de dépendre de ton bon vouloir.
— Vous vous partagerez équitablement les femmes, décréta Hiram pour couper court à la querelle naissante. Maleka, pour ne pas t’ôter tout privilège, je te laisse te charger de la répartition. J’espère que vous trouverez cela juste.
Il n’attendit aucune réponse pour gravir le grand escalier et avancer vers ses quartiers. Maleka lui emboita le pas.
— Mon Astre, s’il te plaît, l’arrêta-t-elle. Je voudrais te parler.
Hiram s’immobilisa sur le palier de l’aile droite de la demeure, cherchant en lui la force d’entretenir une conversation.
— Je te réitère mes excuses, poursuivit Maleka, autant pour cet accueil trop faste que pour mon attitude envers ma coépouse. J’oublie parfois que nos mœurs et nos caractères se ressemblent si peu.
Hiram contint un soupir.
— Mildred est loin d’avoir un caractère facile. Je ne peux pas te reprocher d’être irritée contre elle, mais je vous supplie de trouver un terrain d’entente durable. Il est hors de question que vos désaccords troublent le palais.
— J’entends, Hiram. Et je ne demande qu’à te satisfaire, mais je n’ai pas l’impression que ce sentiment soit réciproque de son coté.
— Mon Idole, sois indulgente envers une femme qui n’a ni ton expérience ni ta sagesse. Surtout à l’heure où cette femme pleure la disparition de son fils unique. Mes lettres nous ont devancé. Tu sais l’épreuve que nous traversons.
— Oui, je la sais, mais au risque de paraître cruelle, cela ne me dispose pas mieux pour elle. Tu dis sans arrêt qu’il faut rendre le bien pour le mal et qu’il n’y a pas de magie dans l’apitoiement.
— Il n’y en a pas non plus dans les reproches, souligna Hiram.
— Je ne me permettrais pas de t’en adresser, mais j’aimerais savoir… Puisqu’il est question d’arcanes, avez-vous consulté les Sages ?
— Non. Mildred ne le veut pas, tu t’en doutes. Les impérialistes ont la magie en horreur, c’est tout juste s’ils tolèrent les temples et les religieux dans leurs villes.
— Tu ne me parles que d’elle et de son monde, Mon Astre. Toi, qu’en penses-tu ? Est-ce que tu approuves son comportement ? Est-ce que tu es à l’aise avec le fait de ne pas faire tout ce qui est en ton pouvoir pour ramener ton fils chez toi ?
— Si Ibranhem tombait malade, me laisserais-tu le faire soigner par un médecin étranger ?
— Je te laisserais l’emmener jusque dans l’Éternité si tu pensais pouvoir lui faire du bien de cette façon. D’ailleurs…
— Qu’y a-t-il ? l’encouragea Hiram.
— Repose-toi aujourd’hui, reprit Maleka, mais demain, pense qu’il te faudra parler à ce jeune homme. J’ai des inquiétudes le concernant depuis quelques décans.
— J’en suis navré. Quel genre d’inquiétudes as-tu ?
— Je ne veux pas jeter d’ombre sur tes lumières. Tu te feras ta propre idée. Aie aussi une pensée pour tes filles. Tu leur as beaucoup manqué.
— Je suppose qu’elles dorment encore.
— Plus pour très longtemps, mais oui. Quant à Ibranhem, il doit rentrer ce soir.
— Préviens-moi dès son retour. En attendant, je te confie le palais et les enfants.
Il lui embrassa le front.
— Présente vite Yue à Emaëra, demanda-t-il en dernier lieu. Elles seront contentes de se connaitre, je pense.
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