40.4

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— J’oubliais que tu as été élevé à Réelle, reconnut Hiram. Je frapperai, une prochaine fois, mais tâche de ne hausser le ton contre personne. Ce n’est pas de cette façon qu’un foyer doit fonctionner.

Bard opina piteusement. Au fond, Hiram se sentait le plus honteux des deux, à parler de morale domestique pendant qu’il laissa sa maison se faire piétiner.

— Je veux seulement que tout le monde se sente bien ici, ajouta-t-il pour lui-même pour que pour Bard.

— Je comprends. Je vous demande encore pardon.

Hiram lui offrit un sourire qui n’atteignit pas ses yeux.

— Tout va bien, Mon Père ? s’inquiéta Ibranhem.

— Non, figure-toi. Je suis contrarié que tu ne te reposes pas correctement. Tu es encore souffrant.

— Je vais déjà beaucoup mieux que ce matin.

— Quand bien même. Retourne te coucher, s’il te plait.

Le concerné se renfrogna. Il ne comprenait pas vraiment le bienfondé de cette requête.

— Je peux me reposer ici, s’obstina-t-il.

— Retourne te coucher dans ta chambre et n’en sors pas, insista une ultime fois Hiram.

Sans tout à fait se départir de son scepticisme maussade, Ibranhem consentit à obéir.

— Ta chambre est tout à toi, jeta-t-il Bard à en passant sa porte.

Seul à seul, Hiram et son fils se considérèrent dans la gêne. Hiram s’en voulu de ne pas avoir mieux réfléchi à ce qu’il comptait lui dire. Il s’éclaircit la gorge.

— J’espère que tu sais que… j’aurais aimé que tu… la part de toi qui est mon fils a toujours eu une place importante dans ma vie. J’aurais dû faire plus d’efforts pour lui être un bon père.

De la contrition à la confusion, Bard ne savait plus où se mettre. Ibranhem avait raison, quelque chose n’allait pas.

— Sache de que ces efforts, je les fais, aujourd’hui, conclut Hiram. Pardonne-moi s’il est trop tard ou si j’échoue.

Il approcha d’un pas prudent, presque timide, déposa un baiser pudique sur le front de son fils pour la seconde fous de sa vie seulement, offrit un dernier sourire pâle…

Son départ laissa un vide dans la chambre de Bard. Il se surprit à regretter tous ceux qui l’avaient successivement envahi, puis abandonné. Le silence reprit sa place ordinaire à ses côtés. Il reprit sa lecture malgré les larmes qui lui brouillaient la vue.



Maleka travaillait consciencieusement lorsque son époux se présenta à son cabinet de couture. Occupée à fignoler le tissage d’une tenture qu’elle destinait à la chambre d’Isaac – un motif d’inspiration qessaranne – elle ne remarqua Hiram que lorsqu’il s’éclaircit la gorge.

— Bonjour, Mon Astre, lui sourit-elle. Comment se passe ta journée ?

— Mal, Mon Idole, déplora-t-il en s’asseyant près d’elle. J’ai à te parler, si tu veux bien.

Maleka de détourna tout à fait de son métier à tisser pour lui consacrer toute son attention. Il ne lui fallut pas longtemps pour soupçonner un problème grave : les yeux voilés d’Hiram fuyaient les siens.

Il lui parla de la visite du frère de Mildred, de ses exigences et de ses menaces, des décisions qu’il fallait prendre avant peu. Chacune de ses phrases fit à Maleka l’effet d’une fissure déchirant les murs du palais. Pour peu, elle se serait attendue à ce que le plafond s’effondre au-dessus d’eux. Lorsqu’Hiram se tut pour lui céder la parole, Maleka chercha longtemps ses mots.

— Tu… Qu’as-tu décidé ?

— De te consulter, Maleka, s’impatienta son époux. Je veux que cette décision soit la nôtre.

— Tu as bien un avis sur la question ?

— En effet, mais je veux connaître le tien.

Maleka poussa un profond soupir et s’arma d’un sourire de convenance.

— Non, Mon Astre. Tu ne le veux pas. Je connais ton cœur et je connais ta position. Tu veux que je la soutienne pour te donner meilleure conscience, que tu aies raison ou tort.

Hiram demeura sans voix. Son air donna à Maleka l’impression de lui avoir appris une énormité là où elle se contentait de souligner une évidence ; celle de ses concessions répétées à leur harmonie familiale.

— N’aie pas l’air si surpris, le pria-t-elle. Je n’ai aucune raison de vouloir engager un combat perdu d’avance pour Yue. Et pour lui éviter quoi ? Une vie qu’elle préfère peut-être à la nôtre ? Tu sais où en est ma relation avec cette petite. Elle est constamment en révolte contre moi sans que je sache pourquoi et je suis fatiguée de m’inquiéter pour elle. Crois-tu normal qu’il faille enfermer une petite fille à clef pour la faire obéir ? Envisagerais-tu de procéder de la sorte avec Ismé ou Emaëra ?

— Si l’une de mes filles se trouvait un jour déboussolée au point de devenir un danger pour elle-même, oui, je l’envisagerai. Mais je ne songerais pas à les abandonner si leur comportement me causait du souci.

— Tu envoies Ibranhem à l’université quatre ans plus tôt que prévu. Pourquoi, sinon par démission parentale ?

L’accusation le blessa au point de lui contracter la mâchoire.

— Tu penses que c’est par démission parentale que j’ai pris cette décision ?

— Je pense que tu disposais d’autres moyens d’exercer ton autorité, et que la sévérité de la punition dépasse de beaucoup la gravité de la faute.

— Je n’ai pas cherché à être répressif, mais à faire ce qu’il y a de mieux pour notre fils. Il a besoin de poursuivre son éducation et de gagner en maturité. Il ne peut faire ni l’un ni l’autre, ici. Nous le couvons beaucoup trop, et sa soif de connaissance est trop grande pour Hizaar.

— Tu ne me feras pas croire qu’aucun homme en ville n’est suffisamment savant pour enseigner quoi que ce soit à un garçon de seize ans.

— Ibranhem est déjà très instruit. Il qui a besoin d’être accompagné dans son développement intellectuel à hauteur de son potentiel.

— Pourquoi ne pas lui trouver un nouveau précepteur ? Ou plusieurs ? L’un dans l’autre, je trouve injuste de l’éloigner de nous ainsi. Tout comme je trouve injuste que tu veuilles mettre l’avenir de tous nos enfants en péril pour engager un bras de fer juridique avec ce Léopold.

— Yue aurait pu être notre enfant, Maleka. Isaac aussi. Et quoi qu’en dise Mildred, je sais que Bard est mon fils, au moins en partie.

Maleka se leva.

— Il n’est pas question d’Isaac ! objecta-t-elle. Lui se plaît ici, et n’a jamais fait de mal à personne. Mais Yue ne veut pas être notre fille. Et si ce fabuleux est réellement ton fils, songe qu’il a failli tuer Ibranhem. Si Krisha n’avait pas été épuisée par sa lutte contre lui, elle n’aurait peut-être pas perdu son bras. Tu ne peux pas faire comme s’il ne s’était rien passé ! Cela pourrait recommencer ! Nos enfants sont peut-être en danger !

— Tes enfants, rectifia Hiram. J’ai le sentiment d’en avoir deux fois plus que toi.

— Je t’ai donné mon avis, Hiram, conclut Maleka en reprenant son ouvrage et son calme. À présent, laisse-moi travailler, s’il te plaît.

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